« La France dépense trop. » Ce refrain est devenu un mantra. Il est brandi pour justifier toutes les coupes : dans les hôpitaux, dans l’école, dans les retraites, dans les collectivités locales. Mais que veut dire « dépenser trop » dans un pays où la santé est accessible, où les études ne vous endettent pas à vie, où les retraites garantissent un revenu digne ? Ce qu’on appelle « dépense publique » n’est pas du gaspillage : c’est un choix de société. Et ce choix, la France ne devrait pas en avoir honte — elle devrait en être fière.
Dépenser plus… pour dépenser mieux
Oui, la France affiche l’un des taux de dépense publique les plus élevés du monde : environ 58 % du PIB, contre 43 % aux États-Unis ou 45 % au Royaume-Uni. Mais cette comparaison brute est trompeuse. Dans les pays libéraux, ce que l’État ne finance pas, ce sont les ménages qui doivent le payer de leur poche. Résultat : le total des dépenses (publiques et privées) est à peine plus bas — voire plus élevé — mais moins équitable, moins protecteur et moins efficace.
Prenons l’exemple de la santé. Aux États-Unis, le pays de la liberté individuelle, les dépenses de santé atteignent 16,6 % du PIB, un record mondial. La moitié provient de paiements privés, y compris des assurances hors de prix. En France, on dépense 12,1 % du PIB, en grande majorité via la Sécurité sociale, pour de meilleurs résultats sanitaires et une prise en charge bien plus solidaire. Aux États-Unis, des millions de personnes renoncent à se soigner faute de moyens. En France, l’Assurance maladie prend en charge les soins de chacun.
Mutualiser ou privatiser : deux modèles
Le même constat vaut pour les retraites. En France, le système est public et par répartition. Il assure un taux de remplacement de 74 % du dernier salaire en moyenne. Aux États-Unis ou au Royaume-Uni, ce taux dépasse rarement 55 %, sauf pour les plus riches. Et pour y parvenir, il faut cotiser individuellement à des fonds privés… avec tous les risques et les inégalités que cela implique.
En éducation, la France garantit la gratuité de la maternelle à l’université. Aux États-Unis, les familles s’endettent à hauteur de plus de 35 000 dollars en moyenne pour envoyer un enfant à l’université. En congés payés, la France impose cinq semaines légales ; aux États-Unis, il n’y a aucune obligation fédérale de jours de congé.
Ce que les autres paient cher, nous le finançons ensemble
Quand on additionne les dépenses obligatoires, qu’elles soient publiques ou privées, le portrait change :
• France : 31 % du PIB en dépenses sociales totales (OCDE, 2023)
• États-Unis : 30 %
• Allemagne : 27 %
• Royaume-Uni : 22 %
Autrement dit, les Français ne vivent pas au-dessus de leurs moyens. Ils ont simplement choisi un autre chemin : mutualiser les grands risques de la vie, garantir à tous un socle de sécurité, faire de la solidarité un pilier de la République. C’est cela que traduisent nos chiffres. Ce n’est pas un excès : c’est une civilisation.
Un modèle plus efficace, plus éthique, plus juste
Alors pourquoi ce dénigrement permanent du modèle français ? Parce qu’il gêne les tenants d’un capitalisme radical, pour qui la protection est un fardeau, et l’autonomie une illusion rentable. Pourtant, les chiffres sont clairs : la mutualisation coûte moins cher et couvre mieux. Elle produit moins d’inégalités, plus de sécurité, et plus de cohésion sociale.
Abandonner ce modèle reviendrait à substituer à la cotisation une dette privée, à remplacer le service public par le service à crédit. Ce serait un renoncement moral autant qu’un non-sens économique.
La dépense publique française est le reflet d’un projet collectif : celui d’une société qui refuse de laisser les plus faibles sur le bord de la route. Dans un monde de précarité, de réchauffement climatique, de tensions sociales, c’est une force, pas une faiblesse.
Ne laissons pas ceux qui veulent privatiser nos vies nous faire croire qu’il faut renoncer à la solidarité. En France, la République sociale est un choix. Elle est aussi notre meilleure protection.