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Stephane Delpeyrat

Maire de Saint Médard en Jalles VP Bordeaux Métropole député suppléant 6 eme de Gironde et Militant de Gauche.

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Billet de blog 15 août 2025

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1938-2025 : la même tentation de soumission.

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Dans les heures où un pays doute de lui-même, une tentation revient toujours : confier son destin non pas à la justice, mais à la force ; non pas à l’émancipation, mais à l’ordre. Elle porte les habits du patriotisme, mais parle la langue de la peur. Sous ses drapeaux, on retrouve souvent la même alliance tacite : une partie de la droite et l’extrême droite, unies non pour défendre la liberté, mais pour conjurer un ennemi commun — la gauche — et ce qu’elles jugent insupportable : l’égalité démocratique réelle, avec sa conséquence concrète, le partage des richesses, perçu comme inefficace et dangereux face aux périls du temps.

En 1938, la France n’échappe pas à cette pente. Face à la montée de l’Allemagne nazie et aux désordres du monde, une partie des élites conservatrices, au lieu d’unir le pays, concentre ses attaques sur Léon Blum et le Front populaire. La presse de droite martèle que le vrai danger n’est pas Hitler, mais le socialisme français, coupable de relever les salaires, protéger les travailleurs, donner à chacun droit de cité. Dans les congrès politiques, on parle plus volontiers « d’excès d’étrangers » et de « charges sociales » que de réarmement idéologique face à l’agression fasciste.

Ce scénario n’est pas propre à la France. En Allemagne, en Italie, en Espagne, les forces conservatrices — soutenues par le patronat et les milliardaires de l’époque — avaient déjà choisi : mieux valait Hitler que la gauche allemande, Mussolini que les socialistes italiens, Franco que les républicains espagnols. 
Comme l’a montré Johann Chapoutot « Les irresponsables » ce choix n’était pas seulement idéologique. Il était social : le fascisme garantissait aux possédants que la question de la propriété et du partage ne serait pas posée. S’agenouiller devant une puissance étrangère valait mieux, pour eux, que de céder sur cet ordre social.

Aujourd’hui, le décor a changé, mais la logique demeure. Le Rassemblement national, qui se proclame dernier rempart de la souveraineté française, tisse des liens idéologiques et stratégiques avec Donald Trump et Vladimir Poutine. Ce ne sont pas seulement des affinités électorales, mais des convergences profondes sur un modèle où l’État protège les frontières, mais pas les travailleurs ; où l’on brandit une identité nationale fantasmée pour éviter de parler d’égalité , de démocratie et de justice sociale.

Et face à cette extrême droite, que font une partie de la droite française et européenne, ainsi qu’une fraction des libéraux au pouvoir ?
Hélas, ils glissent, pas à pas, vers ses positions, dans l’espoir d’un accord tacite. Les mots changent, les alliances se déguisent, mais l’esprit reste celui de 1938 : mieux vaut céder sur la démocratie que de risquer un compromis avec la gauche. Tout cela au nom du « redressement » mené par ceux-là mêmes qui ont provoqué l’affaissement.

La soumission, dans ce cas, ne s’avoue jamais. Elle se drape dans la prudence diplomatique, la recherche de stabilité, la « realpolitik ». Mais le prix reste le même : la dépendance. En 1938, la France, croyant préserver la paix par les accords de Munich, s’est liée les mains face à Hitler. Aujourd’hui, l’Europe, en cherchant à ménager Trump et Poutine, fragilise son indépendance stratégique et moralise son renoncement. Mme von der Leyen et son parti en portent une très lourde part de responsabilité.

Cette mécanique est vieille comme la peur : pour éviter la redistribution des richesses, pour préserver l’ordre hérité, on préfère s’accommoder de ceux qui menacent la liberté. On accepte l’ombre d’un pouvoir étranger plutôt que la lumière d’une égalité partagée.

Pourtant, tout n’est pas perdu. Une partie de la droite républicaine, plus rare mais précieuse, tient bon. Des voix comme celle de Dominique de Villepin rappellent que la souveraineté ne se négocie pas avec les puissances autoritaires, et qu’elle n’a de sens que si elle repose sur le droit, la dignité et l’universel. Elles refusent la confusion des drapeaux et la compromission des valeurs. Elles rappellent que la grandeur d’un pays ne se mesure pas à la hauteur de ses murs, mais à la fidélité de ses principes.
Pendant que des Ciotti ont déjà basculé — remplaçant l’ancien « péril rouge » par le fantasme du « wokisme » — d’autres feignent de voir un danger équivalent entre gauche et extrême droite. Cette équivalence insulte l’histoire des années 1930 et de la Seconde Guerre mondiale. Elle balaie l’union sociale et républicaine héritée du Conseil national de la Résistance, de De Gaulle à Jean Moulin.

De son côté, la gauche doit tirer les leçons de l’histoire. Comme le rappelle Michaël Foessel dans « Récidive », elle ne pourra éviter la « répétition générale » qu’en rassemblant, au-delà des frontières partisanes, toutes celles et ceux qui croient aux valeurs de la République. Qui préfèrent un patriotisme républicain — l’amour des siens — plutôt qu’un nationalisme réactionnaire — la haine des autres.
Encore faut-il qu’elle sache sortir de ses querelles internes et de ses radicalités d’opérette, pour se hisser au niveau de l’Histoire et défendre, avant tout, l’intérêt général et national. L’égalité, la liberté, la fraternité ne sont pas la propriété d’un camp : elles sont un bien commun. Elles doivent être le socle de l’unité face à la soumission.

Camus écrivait : « La servitude est préférée à la justice par ceux qui ne peuvent imaginer l’ordre que dans l’obéissance. »
En 1938, cette servitude prit le visage du fascisme. En 2025, elle s’exprime avec des mots plus polis et des visages moins uniformes. Mais elle reste là, tapie dans les discours qui affirment que l’égalité coûte trop cher, que la solidarité est une faiblesse, et que la démocratie doit reculer quand les temps sont durs.

L’histoire ne nous demande pas de revivre 1938 et ses suites désastreuses. Elle nous demande de rompre le cycle. Car dans les grands moments de bascule, ceux qui reculent devant la justice sociale ouvrent toujours la porte à la servitude politique. Si nous voulons éviter demain la honte et la défaite, il nous faut, dès aujourd’hui, refuser d’un même mouvement l’extrême droite, ses soutiens étrangers et ses miroirs complaisants — en unissant toutes celles et ceux qui croient encore à la République, à son honneur et à sa promesse.

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