Saint-Médard-en-Jalles, le 14 août 2025
Objet : Alerte officielle – Inaction climatique et entrave aux capacités d’adaptation des collectivités locales
Monsieur le Président de la République
En tant que Maire de Saint-Médard-en-Jalles, j’ai le devoir de protéger mes concitoyens, leur sécurité, leur santé et leur qualité de vie. Ce devoir prend aujourd’hui une dimension nouvelle et urgente face à la gravité de la crise climatique.
Les scientifiques du GIEC, tout comme les observations de terrain, confirment que nous avons déjà franchi plusieurs limites planétaires. Les effets se manifestent ici même : épisodes de chaleur extrême, sécheresses prolongées, pluies diluviennes, inondations soudaines, feux de forêts plus fréquents. Ces phénomènes mettent directement en danger la vie des habitants, la pérennité des infrastructures, l’approvisionnement en eau, la biodiversité et l’économie locale.
En 2022, notre commune a subi un grave épisode de grêle qui a endommagé des centaines de toitures, d’équipements publics et d’espaces verts, sans qu’aucune aide significative de l’État ne nous soit apportée.
Nous devons pourtant investir chaque année pour réparer, adapter et protéger notre territoire face aux aléas climatiques, avec un soutien national limité.
Pire encore, les choix budgétaires récents – réduction du Fonds vert, baisse de la dotation globale de fonctionnement, prélèvement sur le DILICO, suppression de la CVAE et de la taxe d’habitation – ont directement amputé nos capacités d’action, alors même que les besoins augmentent.
Le budget de l’État actuellement en préparation va gravement aggraver cette situation budgétaire pour les villes, en réduisant encore leurs moyens d’investissement au moment où elles devraient au contraire les renforcer pour faire face aux crises climatiques.
Dans le même temps, les entreprises – notamment les plus grandes – continuent de bénéficier chaque année de près de 211 milliards d’euros d’aides publiques, sans contrepartie sociale ou environnementale.
Selon la commission d’enquête sénatoriale, ces aides, versées en 2023, incluent les subventions de l’État, les aides de Bpifrance, les allégements de cotisations sociales et les dépenses fiscales.
Elles ne comprennent pas les aides des collectivités locales ni celles de l’Union européenne, ce qui en fait un plancher réaliste mais non exhaustif.
Une estimation plus restrictive, dite « au sens strict », élaborée par le Haut-commissariat à la stratégie et au plan, chiffre ces aides à environ 111,9 milliards d’euros pour la même année.
Le rapport sénatorial souligne en outre :
l’absence de suivi rigoureux et d’évaluation de l’efficacité des aides ;
la complexité des dispositifs, rendant opaque la répartition des fonds ;
la faiblesse des contreparties sociales et environnementales imposées aux bénéficiaires.
En raison de l’impact direct de ces décisions budgétaires nationales, les collectivités locales voient leurs capacités d’investissement sévèrement contraintes.
Cette situation compromet gravement notre aptitude à engager, dans les délais nécessaires, les travaux et aménagements indispensables pour préparer nos villes à l’adaptation au changement climatique et à la réduction de ses effets.
Or, l’urgence est avérée : retarder ou limiter ces investissements reviendrait à exposer délibérément les populations aux conséquences prévisibles du dérèglement climatique, et à priver les collectivités territoriales de leurs moyens d’action, alors même qu’elles sont en première ligne pour protéger le vivant.
Je tiens également à souligner que certaines grandes entreprises, parmi les plus émettrices de gaz à effet de serre en France, continuent d’aggraver la situation par des activités incompatibles avec l’Accord de Paris, tout en bénéficiant parfois d’avantages fiscaux ou d’aides publiques.
Il est de la responsabilité de l’État de conditionner strictement ces soutiens et de contraindre, par la loi, ces acteurs économiques à une réduction drastique et vérifiable de leurs émissions.
Sur le plan juridique, plusieurs décisions majeures de justice administrative ont reconnu la responsabilité de l’État pour inaction climatique.
En février 2021, le Tribunal administratif de Paris a jugé que l’État devait réparer le préjudice écologique causé par le non-respect de ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Par ailleurs, en novembre 2020, le Conseil d’État, saisi par la commune de Grande-Synthe, a reconnu pour la première fois la recevabilité d’une action climatique portée par une collectivité, estimant que l’État devait démontrer la compatibilité de son action avec ses engagements climatiques.
Enfin, en mai 2023, le Conseil d’État a jugé que le bilan climatique présenté par le Gouvernement n’était pas conforme aux objectifs de la Stratégie nationale bas carbone, renforçant ainsi un contrôle juridictionnel contraignant sur la politique climatique de l’État.
Ces jurisprudences établissent que :
Le droit à un climat soutenable est une exigence juridique opposable à l’État.
Les collectivités peuvent agir en justice pour faire respecter cet objectif.
La justice peut ordonner à l’État de corriger sa trajectoire climatique et de se conformer à ses engagements, sous peine de sanctions.
À défaut d’une réorientation rapide et significative des politiques publiques et des investissements, nous courons collectivement vers un scénario de crise permanente, où les collectivités seront placées devant des catastrophes qu’elles ne pourront plus gérer.
C’est pourquoi, au nom de la sécurité et de la santé des habitants de Saint-Médard-en-Jalles, et conformément à l’article 223-1 du Code pénal relatif à la mise en danger délibérée de la vie d’autrui, j’alerte officiellement le Gouvernement sur sa responsabilité directe dans l’aggravation des risques climatiques et la réduction de nos capacités d’action locale.
Je vous demande solennellement, au nom de ma commune, que :
Les décisions budgétaires nationales cessent de réduire les moyens d’investissement des collectivités, en particulier pour les projets liés à l’adaptation et à la limitation du changement climatique.
L’État instaure un fonds national dédié à l’adaptation locale au changement climatique, doté d’une gouvernance partagée avec les collectivités.
Les aides publiques aux grandes entreprises soient conditionnées au respect strict des trajectoires de réduction des émissions de gaz à effet de serre validées scientifiquement.
Sans ces mesures, le Gouvernement portera une responsabilité politique, morale et potentiellement juridique face aux dommages humains, économiques et environnementaux qui résulteront de son inaction.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération.
Stéphane Delpeyrat-Vincent
Maire de Saint-Médard-en-Jalles
Vice-président Bordeaux Métropole