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Billet de blog 17 août 2025

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Le capitalisme de la finitude et la fin du libre échange

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On croyait que la mondialisation avait effacé les frontières. On nous répétait que les guerres appartenaient au passé, que le commerce relierait les peuples, que le multilatéralisme arbitrerait les conflits. Pendant trente ans, cette illusion a dominé le monde. Aujourd’hui, elle s’effondre sous nos yeux.

Nous entrons dans une nouvelle ère : celle du capitalisme de la finitude, où les ressources naturelles se raréfient, où les routes commerciales se ferment, où les nations et les empires se réarment pour défendre leurs intérêts vitaux. L’économie n’est plus la promesse d’une prospérité partagée, elle devient le théâtre d’une compétition sans merci, ouverte, parfois militaire.

Le crépuscule du libre-échange

L’Organisation mondiale du commerce (OMC), créée en 1995 dans l’élan d’un monde « globalisé », est aujourd’hui paralysée. Depuis 2019, son organe de règlement des différends ne fonctionne plus, faute de juges nommés par Washington. Les grands accords de libre-échange sont contestés ou vidés de leur substance. Même l’Union européenne, jadis championne du multilatéralisme commercial, érige ses propres barrières : taxe carbone aux frontières, restrictions à l’exportation de technologies sensibles, protection de ses chaînes d’approvisionnement.

Le libre-échange était censé baisser les prix et rapprocher les nations. Il ne produit plus que tensions et fractures. La pandémie de Covid-19 l’a démontré : chacun a fermé ses frontières, accumulé ses vaccins, cherché à sécuriser ses propres stocks. La guerre en Ukraine a accéléré ce mouvement : ruptures d’approvisionnement en blé, en gaz, en pétrole ; sanctions massives ; corridors maritimes escortés par des frégates. La mondialisation libérale, qui promettait fluidité et abondance, se transforme en mondialisation de la rareté et du contrôle.

Le capitalisme de la finitude

Ce basculement n’est pas conjoncturel. Il est structurel. Les ressources s’épuisent. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la demande mondiale de minerais stratégiques (cobalt, lithium, nickel, cuivre) va être multipliée par quatre d’ici 2040 pour répondre aux besoins de la transition énergétique. Dans le même temps, les nappes phréatiques s’assèchent, les terres arables se réduisent, les stocks halieutiques s’effondrent.

Le capitalisme du XXIᵉ siècle n’a plus besoin de promettre la croissance pour tous. Il vit désormais de l’appropriation des dernières ressources rares, de leur accaparement par quelques acteurs dominants – qu’ils soient États ou multinationales. C’est un capitalisme rentier, prédateur, militarisé.

Ses nouvelles caractéristiques sont claires :
 1. La fermeture des océans : les grandes puissances revendiquent des zones économiques exclusives, militarisent leurs routes, contrôlent les détroits stratégiques. La « liberté des mers » chère à Grotius est devenue une fiction.
 2. La privatisation des ressources : terres rares, eau, semences, brevets pharmaceutiques… tout est désormais source de monopoles et de rentes.
 3. Le recul du marché au profit de la force : là où jadis le prix et la concurrence réglaient les différends, ce sont désormais les sanctions, les blocus, les armées et les alliances militaires qui tranchent.

Le retour des empires

Dans ce monde de rareté, les nations redeviennent les acteurs centraux. Les États-Unis et la Chine structurent le XXIᵉ siècle comme deux empires rivaux. Washington pratique une politique de découplage technologique, interdit l’exportation de semi-conducteurs de pointe vers Pékin, subventionne massivement ses industries stratégiques (Inflation Reduction Act). Pékin, de son côté, sécurise les routes de la soie, déploie sa marine de guerre en mer de Chine, achète des terres en Afrique, contrôle 70 % du raffinage mondial des terres rares.

La Russie, marginalisée par les sanctions, a fait de ses exportations d’hydrocarbures une arme géopolitique. L’Inde, la Turquie, l’Iran cherchent à se positionner comme puissances régionales capables de tirer profit de la fragmentation du monde. Même l’Europe, malgré ses divisions, redécouvre la nécessité de parler le langage de la puissance : protection de ses infrastructures énergétiques, investissements militaires, sécurisation de ses filières industrielles.

Le multilatéralisme, qui devait réguler ce jeu, est affaibli. L’ONU est paralysée par le veto des grandes puissances. Le G20, censé représenter la gouvernance mondiale, est éclaté entre blocs antagonistes. L’ordre mondial se transforme en un archipel d’alliances et de coalitions temporaires, souvent liées à l’accès à une ressource ou à un corridor maritime.

L’Europe face au choix

Face à ce basculement, l’Europe et la France ne peuvent pas se contenter de nostalgie. Le vieux récit du libre-échange, de l’ouverture sans conditions et du marché autorégulateur, est mort. Nous devons choisir : être les spectateurs impuissants d’un monde d’empires, ou redevenir des acteurs capables de peser.

Cela suppose trois ruptures :
 • Réinventer notre souveraineté : garantir l’accès à l’énergie, à l’eau, aux minerais critiques, à la nourriture. C’est un impératif vital.
 • Construire une puissance maritime et militaire crédible : pour protéger nos routes et nos approvisionnements, non pour conquérir, mais pour garantir notre autonomie.
 • Refonder un internationalisme écologique et démocratique : seule une alliance des nations qui refusent la prédation pourra éviter que la rareté ne débouche sur des guerres permanentes.

Un monde à repenser

Nous sommes à un carrefour. Le capitalisme de la finitude peut nous mener vers une ère de prédation et de confrontation permanente, où les océans deviennent des murs, les ressources des armes, et la planète un champ de bataille. Mais il peut aussi ouvrir la voie à une nouvelle conception du monde : un internationalisme de la sobriété, une économie du commun, une politique de la dignité.

Le retour des empires ne doit pas être la fin de l’histoire. Il peut être le point de départ d’un sursaut. La France, l’Europe, les démocraties ont une responsabilité immense : inventer un autre horizon que celui de la fermeture et de la guerre. Redonner sens à la coopération, à la justice, au respect du vivant.

Car si nous laissons le capitalisme de la finitude dicter sa loi, c’est l’humanité elle-même qui sera confisquée.

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