Stephane Delpeyrat (avatar)

Stephane Delpeyrat

Maire de Saint Médard en Jalles VP Bordeaux Métropole député suppléant 6 eme de Gironde et Militant de Gauche.

Abonné·e de Mediapart

85 Billets

0 Édition

Billet de blog 19 septembre 2025

Stephane Delpeyrat (avatar)

Stephane Delpeyrat

Maire de Saint Médard en Jalles VP Bordeaux Métropole député suppléant 6 eme de Gironde et Militant de Gauche.

Abonné·e de Mediapart

Pour une émancipation réelle contre l’illusion individualiste

Stephane Delpeyrat (avatar)

Stephane Delpeyrat

Maire de Saint Médard en Jalles VP Bordeaux Métropole député suppléant 6 eme de Gironde et Militant de Gauche.

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Il est des mots que l’histoire traverse et que notre époque croit posséder alors même qu’elle les dénature. Émancipation en fait partie. Dans le droit romain, il signifiait l’acte rituel par lequel un fils sortait de l’autorité paternelle. À la Révolution française, il désigna l’accès des Juifs, des protestants, puis des esclaves et des femmes à la citoyenneté. Avec Marx, il devint la ligne de partage entre l’émancipation politique — purement juridique, formelle — et l’émancipation humaine, matérielle, seule capable de transformer réellement les conditions d’existence. Gramsci, enfin, en fit une praxis : un processus éducatif et collectif, par lequel les dominés deviennent sujets de leur propre histoire.

De cette longue tradition, il reste une vérité : l’émancipation n’a jamais été donnée, elle a toujours été arrachée. Elle n’a jamais été une affaire individuelle, mais un horizon collectif, conquis dans le conflit et dans la solidarité.

Or, le néolibéralisme a confisqué ce mot pour le réduire à une caricature. Dans le discours dominant, être libre se résume à pouvoir consommer, cliquer, voyager, s’endetter, changer d’opérateur ou de téléphone. L’émancipation se confond avec l’autonomie de l’acheteur. Mais cette liberté est une illusion. Derrière le masque de l’individu roi se cache une réalité de dépendance accrue : dépendance à des marchés financiers lointains, à des plateformes numériques opaques, à un système économique qui multiplie les inégalités et fragilise les plus vulnérables.

Le triomphe de l’individualisme consumériste produit une société de solitude, de compétition généralisée, d’indifférence. Il détruit les solidarités, il érode la démocratie, il laisse chacun nu face à des puissances anonymes. Là où le discours promettait l’autonomie, il livre en réalité de nouvelles servitudes.

C’est ici que les travaux d’Axel Honneth nous éclairent. Dans « La Lutte pour la reconnaissance et La société du mépris » , il a montré qu’aucune liberté ne peut être réelle sans reconnaissance mutuelle. On ne s’émancipe pas seul. La liberté n’est pas l’absence de contraintes, mais la capacité à être reconnu comme sujet digne, légitime, capable de contribuer au monde commun. Sans reconnaissance, il n’y a que mépris, invisibilisation, relégation. Avec la reconnaissance, il y a appartenance, confiance en soi, puissance d’agir.

Cette reconnaissance se joue sur trois plans :
 • Reconnaissance affective, dans les liens de soin et d’amour, qui donnent à chacun la confiance nécessaire pour exister.
 • Reconnaissance juridique, dans l’égalité des droits, sans laquelle l’émancipation reste formelle et inachevée.
 • Reconnaissance sociale, dans la valorisation des contributions de chacun, qui permet à tous de se sentir partie prenante du commun.

Sans ces trois dimensions, la société devient un théâtre de mépris ; avec elles, elle devient une démocratie vivante.

Cynthia Fleury, dans ses travaux sur la démocratie et le soin, prolonge cette exigence. Elle nous rappelle que la démocratie n’est pas seulement une architecture institutionnelle : c’est une éthique du prendre soin. Prendre soin des plus vulnérables, mais aussi du monde commun, de la nature, des institutions elles-mêmes. Le soin est la condition de la démocratie parce qu’il est l’antidote à l’indifférence et à la brutalité. Là où le capitalisme de marché neutralise les liens humains et détruit le vivant, la démocratie doit réapprendre la considération, la protection, la fragilité partagée.

C’est dans cette perspective que le projet républicain du XXIᵉ siècle doit s’inscrire. Non plus seulement une gauche de redistribution, mais de l’émancipation réelle, fondé sur la reconnaissance et le soin.

Concrètement, cela signifie :
 • Reconnaître le travail invisible du soin, de l’éducation, de la culture, comme fondement de notre société, et le valoriser par des droits sociaux et une juste rémunération.
 • Garantir des droits effectifs : santé, logement, éducation, travail digne, non pas comme marchandises, mais comme conditions de la liberté.
 • Refonder la valeur sociale : cesser de glorifier les activités spéculatives et reconnaître celles qui régénèrent la société et le vivant.
 • Renforcer la démocratie : donner à chaque citoyen un pouvoir réel de participer, de débattre, de transformer, et non de subir.

Ainsi se dessine un nouvel humanisme républicain pour une gauche qui refuse le mensonge de l’individualisme consumériste et qui choisit la puissance démocratique de la reconnaissance et du soin.

L’émancipation véritable, c’est la certitude que nous ne sommes pas condamnés à subir, mais capables d’inventer, ensemble. C’est la dignité partagée, la liberté réelle, la capacité à être reconnus et à reconnaître en retour.

Voilà la tâche qui nous incombe aujourd’hui : redonner à l’émancipation sa vérité, et au peuple sa fierté.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.