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Maire de Saint Médard en Jalles VP Bordeaux Métropole député suppléant 6 eme de Gironde et Militant de Gauche.

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Billet de blog 25 juillet 2025

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Pour une République des limites : refonder la gauche à l’ère des seuils Planétaires

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Nous vivons une époque de basculement. L’humanité a franchi 6 des 9 seuils nécessaires à la vie sur terrede tolérance de la planète. Le climat se dérègle, les espèces disparaissent, l’eau se raréfie, les sols s’épuisent. Ce n’est plus une hypothèse : c’est une réalité scientifique, vécue chaque été dans les incendies et les canicules, chaque hiver dans les inondations et les tempêtes, chaque année dans des pertes de récoltes. Cette crise écologique n’est pas isolée. Elle se conjugue à une crise démocratique – montée des extrêmes, polarisation, désinformation –, à une crise sociale – explosion des inégalités, précarisation du travail, augmentation de la pauvreté –, et à une crise de sens – solitude, perte de repères, fatigue des institutions. Les promesses du néolibéralisme se sont dissoutes : la croissance illimitée n’a pas apporté ni bonheur, ni justice, ni paix. Il nous faut donc refonder. Non pas simplement adapter ou corriger à la marge, mais changer de boussole. Placer au centre une vérité physique et morale : il n’y a pas de liberté humaine possible en dehors des conditions qui rendent la vie possible. Ce manifeste se veut universel et concret. Il propose une nouvelle doctrine socialiste adaptée à l’ère des limites planétaires : une économie régénérative et distributive, une démocratie du soin, une prospérité fondée sur le bien-vivre et non sur l’accumulation. Il s’adresse à la France, à l’Europe, mais aussi à toutes les sociétés qui cherchent un chemin de liberté durable.

1. Depuis la révolution industrielle, nous avons confondu progrès et croissance. Le PIB est devenu l’alpha et l’oméga des politiques publiques. Or, ce chiffre ne dit rien de l’essentiel : la santé des écosystèmes, la dignité des personnes, la qualité des liens. Une marée noire et une forêt préservée ont le même poids dans ses calculs si elles génèrent la même dépense. Face à cette impasse, certains ont proposé la décroissance. Mais ce mot aussi enferme le débat : il réduit l’avenir à une question de plus ou moins, quand il s’agit de faire autrement. Nous n’avons pas besoin de moins ou de plus de croissance : nous avons besoin de prospérité juste et régénérative. Le cadre nouveau, ce sont les neuf limites planétaires définies par la science. Elles dessinent la carte du monde habitable. Les respecter n’est pas une option morale mais une condition de survie. Les franchir, c’est s’aventurer dans l’inconnu, déclencher des bascules climatiques et écologiques irréversibles. La question politique centrale devient alors : comment garantir la liberté économique et sociale dans ce cadre physique ? Comment inventer une prospérité qui respecte les seuils de la Terre tout en assurant la justice entre les humains ?

2. En 2009, Johan Rockström et Will Steffen, avec une équipe internationale, ont identifié neuf processus clés du système Terre qui conditionnent la stabilité de l’Holocène, période où s’est développée l’humanité. Ces processus sont : Climat : seuil de sécurité à +1,5°C, déjà presque franchi (2023 : +1,3°C). Biodiversité : taux d’extinction des espèces 100 à 1 000 fois supérieur au taux naturel. Cycles azote et phosphore : excès entraînant zones mortes dans les océans. Utilisation des sols : déforestation tropicale massive (Amazonie, Congo, Bornéo). Eau douce : 2,3 milliards de personnes en stress hydrique structurel. Acidification des océans : menace sur les récifs coralliens et la chaîne alimentaire. Couches d’ozone : en voie de réparation grâce au Protocole de Montréal. Aérosols : perturbations régionales des moussons et des pluies. Nouvelles entités chimiques : plastiques, PFAS, perturbateurs endocriniens, métaux lourds. Selon l’actualisation 2023, six limites sont déjà franchies. Cela signifie que l’humanité vit dans une zone d’instabilité, hors de l’espace sûr. Les conséquences se lisent partout : canicules records, incendies géants, sécheresses et inondations, effondrement des insectes pollinisateurs, baisses de productions agricoles, maladies émergentes. Ce diagnostic impose un renversement : la politique économique ne peut plus être indifférente aux seuils écologiques. Elle doit s’y arrimer.

3. La pensée libérale classique définissait la liberté comme absence de contraintes. Mais dans un monde fini, l’absence de contraintes pour certains devient la privation pour d’autres. Le droit illimité d’exploiter l’eau, l’air ou les sols nie la liberté des générations futures et des plus pauvres, qui en subissent les dégâts. Nous proposons une autre définition : la liberté durable. Elle n’est pas la négation des limites, mais leur reconnaissance comme conditions de l’égalité et de la démocratie. Ce nouveau contrat social repose sur trois piliers : 1. Les limites planétaires comme fondement juridique et politique. 2. Un plancher social universel : santé, éducation, alimentation, logement, dignité. 3. Une économie régénérative et distributive : produire dans le respect du vivant, redistribuer pour garantir la cohésion. C’est l’esprit du modèle du Donut (Kate Raworth) : entre un plancher social et un plafond écologique, se dessine l’espace sûr et juste pour l’humanité.

4. Les crises écologiques frappent toujours les plus vulnérables en premier : les canicules tuent davantage dans les quartiers pauvres mal isolés ; les pollutions industrielles se concentrent autour des zones populaires ; les catastrophes climatiques provoquent des migrations forcées dans les pays du Sud. Séparer écologie et justice sociale est une erreur politique et morale. Une transition injuste échouera : les Gilets jaunes l’ont prouvé. Mais une transition juste peut fédérer : rénover les logements réduit les émissions et les factures ; développer les transports publics baisse la pollution et relie les territoires. Objectifs : rénovation énergétique de 700 000 logements/an ; transports publics gratuits pour les jeunes et zones rurales ; fiscalité progressive intégrant un impôt sur la fortune climatique.

5. Industrie : relocaliser les filières stratégiques (santé, énergie, numérique) en Europe ; conditionner les aides publiques à la décarbonation et à l’emploi de qualité ; développer l’hydrogène vert, l’acier bas-carbone, l’économie circulaire. Agriculture : passer à l’agroécologie : polyculture-élevage, réduction des intrants, restauration des sols ; soutenir les circuits courts et la souveraineté alimentaire ; reforestation massive et protection des zones humides. Énergie : sortir progressivement des énergies fossiles (interdiction nouveaux forages) ; accélérer le solaire, l’éolien, l’hydro et le nucléaire de 4e génération sous contrôle public ; réduire la consommation par la sobriété et l’efficacité énergétique.

6. La question n’est pas “combien cela coûte” mais “combien cela coûtera de ne rien faire”. Selon la Banque mondiale, chaque euro investi en prévention climatique évite quatre euros de dégâts futurs. Financement public : plan vert équivalant à 3 % du PIB/an ; réforme fiscale : IS progressif, impôt sur la fortune climatique, suppression des niches fossiles ; euro-obligations vertes à l’échelle de l’UE. Financement privé : taxonomie verte contraignante, obligations vertes, régulation bancaire ; conditionnalité stricte des aides publiques et subventions.

7. La technologie n’est ni neutre ni salvatrice par nature. Elle doit être orientée par le bien commun. L’IA, la biologie de synthèse, l’hydrogène vert ou le nucléaire peuvent être émancipateurs ou destructeurs selon les choix politiques. Inspirons-nous de Cynthia Fleury : prendre soin des humains, des institutions, du vivant. Cela implique : évaluer les innovations selon leur utilité sociale et écologique ; interdire celles qui aggravent les inégalités ou détruisent les écosystèmes ; soutenir les communs numériques et la recherche ouverte.

8. La transformation ne sera pas seulement technique : elle sera culturelle. Il faut réinventer l’imaginaire. Sortir de l’obsession de la consommation, retrouver le sens du lien, du temps, du beau. Éducation au vivant et à l’écologie dès l’école ; conventions citoyennes permanentes sur les transitions ; rôle des artistes et écrivains pour réenchanter la sobriété.

9. La France doit entraîner l’Europe dans cette refondation : inscrire les limites planétaires dans la Constitution ; porter un Green Deal social européen : convergence sociale et écologique ; réformer le Pacte de stabilité pour intégrer la transition dans les règles budgétaires ; taxe carbone aux frontières et plan industriel commun.

10. La véritable liberté n’est pas l’absence de limites : c’est leur reconnaissance. Sans climat stable, sans eau potable, sans biodiversité, aucun système économique stable, aucune démocratie n’est possible. Ce manifeste propose une économie régénérative et distributive, une démocratie du soin, une prospérité fondée sur le bien-vivre. Nous devons bâtir une République des limites : non pour restreindre la liberté, mais pour la sauver.

Annexe – Dix mesures clés : 1. Inscrire les limites planétaires dans la Constitution française et européenne. 2. Créer un impôt sur la fortune climatique et une fiscalité verte redistributive. 3. Conditionner toutes les aides publiques aux entreprises à des critères sociaux et écologiques. 4. Lancer un plan de rénovation énergétique massif (700 000 logements/an). 5. Relocaliser les filières stratégiques industrielles bas-carbone. 6. Passer à une agroécologie nationale et protéger les zones humides et forêts. 7. Investir 3 % du PIB/an dans la transition via un plan d’investissement public/privé. 8. Développer des communs numériques et énergétiques sous contrôle démocratique. 9. Instaurer des conventions citoyennes permanentes sur les transitions. 10. Porter un Green Deal social européen avec plan industriel et convergence sociale.

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