Dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014, le jeune Remi Fraisse mourait, atteint par une grenade offensive lancée par un gendarme qui "défendait" une zone grillagée où il n'y avait rien, sur le chantier du barrage de Sivens.
S'en suivront toute une série de déclarations. Entre enjeu politique et gestion de crise, entre compassion et bon sens et propos abjects. Rappelons cette phrase « Mourir pour des idées, c'est une chose mais c'est quand même relativement stupide et bête », prononcée par le président du conseil départemental du Tarn Thierry Carcenac.
Au-delà de l’indignation et du choc émotionnel, le pays à cet instant mesure que aucun projet ne mérite la mort d’un jeune homme. Les jours qui suivront nourriront une réflexion sur le déroulé d’un tel drame. Pas uniquement dans les heures qui ont précédé le lancé de cette grenade mais plus en amont. Sur la méthode d’instruction des dossiers, sur le parcours de l’instruction, sur la place laissée à l’expression d’une opposition, sur le traitement in fine et la prise de décision.
Quelques semaines plus tard, lors de la conférence environnementale, dans une solennité absolue, le président de la république se déclarait "Conscient des limites qui existent aujourd'hui dans le débat démocratique" , il estimé alors que "Sivens exige d'accomplir des progrès supplémentaires dans la participation des citoyens à l'élaboration de la décision publique. Tout doit être fait pour que sur chaque grand projet, tous les points de vue soient considérés, que tous les points de vue soient posés. Que tous les enjeux soient pris en compte. Nous devons donc renforcer les procédures et assurer la transparence. J'ai demandé au gouvernement d'engager un chantier sur la démocratie participative." .
Pour beaucoup cela pouvait laisser entrevoir une nouvelle place pour l’expression citoyenne, pour l’élaboration des politiques publiques, sur la place de l’administration dans le développement et l’instruction des dossiers.
Entre temps une élection présidentielle est passée. On nous a vendu la fin de l’ancien monde et l’émergence d’un nouveau monde. On a positionné le développement économique mais « en même temps » le leadership français sur la protection de la planète et la lutte contre de le changement climatique. On a mis la transition écologique à des fonctions importantes au sein de l’appareil d’Etat avec un Ministre d’Etat médiatique en la personne de Nicolas Hulot.
Pourtant au-delà des déclarations la réalité s’est dégradée. 15 mois après son accession au Ministère, Nicolas Hulot claque la porte en direct sur France Inter. Les causes ? La politiques des (trop !) petits pas, la présence des lobbys au sein de l’appareil d’Etat, les combats entre les Ministres et les arbitrages trop nombreux allant contre les causes qu’il est censé incarner.
Cette vision du dysfonctionnement de l’appareil d’Etat nous pouvons la mesurer mieux que quiconque en Alsace autour d’un projet des années 70 qu’on voudrait nous faire croire moderne et nécessaire aux mobilités d’aujourd’hui : le Grand Contournement Ouest de Strasbourg.
Je ne rentrerai pas ici sur les détails techniques qui font de ce projet « une mauvaise solution à un vrai problème » mais je m’attacherai plus à retracer une partie des atermoiements de ce dossier. Pour ne pas remonter à des temps très lointains, nous allons repartir du rapport Mobilité 21 rendu par M. Philippe Duron en Juin 2013 et qui considérait que le GCO n’est pas un projet de « première priorité », mais de « seconde priorité, quel que soit le scénario financier considéré ».
Le rapport soulignait alors que le projet soulève de nombreuses interrogations quant à sa pertinence comme réponse aux problèmes que rencontre l’agglomération de Strasbourg. La commission n’avait donc pas retenu le projet dans la catégorie des premières priorités sur la base d’analyses comparatives des enjeux nationaux des différents projets.
En septembre 2013, deux experts du Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable (CGEDD), Messieurs PANHALEUX et RENVOISE rendaient leur lecture de la situation au travers d’un rapport intitulé Expertise sur les déplacements dans la périphérie de l'agglomération strasbourgeoise et proposaient une solution basée sur la construction du GCO, la mise en oeuvre de l’Ecotaxe, le déploiement d’un Plan de Déplacement Urbain et enfin, la déqualification de l’A35 en boulevard urbain.
Il n’en aura pas fallu plus pour relancer le projet…mais uniquement celui du GCO oubliant au passage toutes les autres préconisations. Dès lors, les choses s’accélèrent malgré une opposition qui questionne la pertinence et argumente sur les mesures alternatives et efficaces. Pourtant l’administration et quelques élus locaux n’auront de cesse de réclamer le GCO et de mettre tous l’énergie possible à l’obtenir. Tous les arguments seront bons : ça va désengorger l’A35, on peut pas laisser une telle pollution sur Strasbourg, etc Or, si sur ces deux points tout le monde est d’accord pour dire que le statu quo n’est pas envisageable c’est bien sur la réalité des effets de cette route que les problèmes perdurent. Tant les documents officiels d’instruction que les études menées par des organismes spécialisées (Atmo Grand Est par exemple) montrent que non le GCO ne règlera rien sur l’engorgement de Strasbourg et n’apportera pas plus de solutions à la question cruciale de la pollution.
Mais revenons au débat démocratique qui nous préoccupe. Où en sommes nous aujourd’hui ?
De nombreuses personnes qui sont opposées au projet, ont suivi les règles démocratiques pour faire entendre leur voix au sein de l’instruction de ce dossier. De manifestations en interventions lors des consultations publiques, de rassemblements aux occupations de terrains pour empêcher l’irréversible. Or, les uniques réponses apportées par les services de l’Etat ont été le mépris des avis émis et la répression policière disproportionnée.
Le 10 septembre dernier, à Kolbsheim, Le Secrétaire Général de la Préfecture du Bas-Rhin, devançant quelques 500 gendarmes mobiles faisait donner l’assaut contre des villageois sous couvert de démantèlement de la « ZAD du Moulin ». Les élus en premières lignes n’ont pas été épargnés des gaz lacrymogènes et des « poussées » des militaires. S’en suit une semaine d’état de siège où le moindre déplacement se fait sous les yeux des gendarmes, de leur hélicoptère, des drones et autres appareillages de surveillance déployés. Orwell n’est pas loin… Dans la foulée l’ordre d’abattage des arbres est donné. A Vendenheim (à l’autre bout du tracé), les arbres tombent dès le 10 au matin.
Les citoyens révoltés ne peuvent qu’observer leurs forêts centenaires se faire terrasser à raison d’un arbre toutes les 5 ou 10 secondes. Révolte, colère mais le pacifisme perdure. Pendant un mois tous les chantiers seront encadrés par le gendarmes mobiles, tous les travaux illégaux seront couverts par les services de l'Etat, diverses arrestations auront lieu et des bénévoles, citoyens se retrouveront devant le Tribunal de Grande Instance avec, à la clé, des lourdes condamnations au regard des faits qui leur sont reprochés.
Depuis le 22 octobre les choses prennent une toute autre tournure puisque 10 militants sont en grève de la faim dans l'indifférence de nos dirigeants. Où sont les belles promesses ? Où est la continuité de l'Etat ? Où en est le débat démocratique dans le contexte actuel ? L’une des dernières prise de parole des pro-gco est de dire que dans les rangs des opposants figurent des personnes avec des fiches S…
Ce mépris, ce déni démocratique, cette politique des terres brulées, ne peuvent que conduire à des débordements et à la violence tant dénoncée.
Rappelons, les propos tenus après la mort de Rémi au sein de l’Assemblée Nationale « Les citoyens […] doivent pourvoir compter sur le gouvernement pour qu’il assume, en toutes circonstances, les consignes données, les conséquences des opérations menées et qu’il en tire les conséquences ». Ces propos sont ceux de François De Rugy chef de file du groupe écologiste à l’Assemblée Nationale. Mais ça c’était avant…