C’est un fait divers, quelques colonnes dans une rubrique « Société », placées plus ou moins bien en vue, selon la richesse de l’actualité. Cela se produit à quelques encablures de Paris, un de ces lieux qui paraissent si loin à ceux qui vivent dans les centres-villes. A sa lecture, on éprouve, « horresco referens », quelque chose qui tient de la stupeur et du tremblement, à la manière des citoyens grecs assistant au spectacle du destin d’Œdipe, ou compatissant au sort du déplorable Oreste. A Clichy-sous-Bois, dans le 93, c’est-à-dire déjà ailleurs, il y a eu une bagarre devant un lycée, des couteaux qui sont sortis, des blessés plus ou moins gravement atteints, et puis un mort. Rivalités de bandes, défis entre cités, lutte des Bosquets contre le Chêne Pointu, ceux de Clichy contre ceux de Montfermeil, comme ailleurs, les Montague contre les Capulet.
Pareil drame attire les mêmes commentaires divergents, les uns qui y voient la confirmation de la dangerosité de ces lieux mais aussi de ceux qui les habitent, ce couple infernal jeune et banlieue, toujours synonyme d’insécurité, les autres n’y trouvant que la preuve de l’écrasante fatalité sociale qui condamne des adolescents à la délinquance.
Deux choses, cependant doivent être dites dans ce qu’il faut bien appeler une tragédie : ce n’est pas du théâtre, mais les acteurs en sont connus. Comment imaginer que des élèves que vous avez côtoyés, admonestés, punis, collés aient pu franchir, au nom d’une logique, d’un code qui vous échappent, l’immense distance qui sépare l’adolescent difficile du criminel ?
Ceux que vous avez fréquentés, affrontés, mais aussi avec lesquels vous avez plaisanté, discuté souvent même dans le contexte protégé et protecteur d’un établissement scolaire, se sont peu à peu détachés des obligations d’un règlement intérieur pour rejoindre les rigueurs de la loi, celle de la cité avant celle de la République. Et les deuils, les douleurs, le gâchis n’ont rien de symbolique.
Et puis, au théâtre, le désordre est toujours le prélude à un retour à l’ordre, un retour à la normale une fois la crise surmontée : du désastre renaît l’espoir. Ici, le désordre risque toujours d’entraîner le désordre, la chaîne sans fin des vengeances et des rivalités, une guerre des boutons sans joie, sans enfance, dans laquelle nul, sinon « eux », ne se reconnaît.