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Billet de blog 6 octobre 2025

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"Gaza brûle"

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"Gaza brûle (...)", le ministre israélien de le Défense, M. Israël Katz l'affirme.

Je lis cette phrase. Elle hante et obsède. "Gaza brûle". Je ne cesse de me demander. Pourquoi ? Pourquoi la prononce-t-il ? C'est aussi demander "Pourquoi Gaza brûle ?"

La question a elle-seule soulève le cœur. Elle signifie que les corps à l'intérieur de Gaza qui brûle brûlent. Gaza brûle et ça ne sert à rien. Des milliers de personnes meurent à Gaza et c'est injustifiable. D'aucune manière. Aucun "mais". Aucun "oui mais". Juste le désir de mise à mort comme tel. La pure destruction. Pour la destruction.

Gaza brûle pour rien. Ni pour répondre au massacre du 7 octobre. Ni pour libérer les otages. Et si l'on veut du concret pour étayer cette affirmation, il suffit de lire militaires, chefs d'état-major et autre expert israéliens qui depuis des mois clament combien il n'y a plus aucune justification possible à ce que le gouvernement de M. Netanyahou ordonne de faire à l'armée à l'intérieur de Gaza. Un massacre.

Je me souviens ne pas avoir compris, pendant longtemps, une formule dont le psychanalyste Jacques Lacan avait le don : "La jouissance c'est ce qui ne sert à rien". La phrase "Gaza brûle" est une phrase de jouissance.

Ce n'est pas tout. Le Ministre de la Défense écrit "Gaza brûle" parce qu'il décide de brûler Gaza et donc Gaza brûle. C'est une sorte de tautologie ou d'hyperperformativité du langage du pouvoir autoritaire. La cruauté de cette langue a une fonction. Elle pose la volonté de destruction des corps gazaouis. Elle fait ce qu'elle dit d'une part. Elle dit ce qu'elle fait d'autre part. Cela n'est pas caché. Au contraire. On a beaucoup dit, et on a toujours à juste titre beaucoup dénoncé, qu'il n'y ai pas d'images (ou presque) de ce qui se passe à l'intérieur de Gaza. Désormais il y a cette phrase. Elle affirme, elle pose, elle montre. Elle assassine. On comprend ceci : les pouvoirs dits illibéraux, autoritaires, fasciste (qu'importe leur nom car Gaza brûle et l'exode recommence pour les gazaouis en ce moment même et tous nos débats sémantiques - "génocide"/"pas génocide" - nous détournent de la seule chose qui compte, devant laquelle nous devons faire et dire, vite, trouver comment faire pour que le massacre cesse) disent ce qu'ils vont faire et le font. Toujours en avance car nous commençons par ne pas croire ce que nous entendons. Ecoutons-nous suffisamment bien?

Gaza brûle et M. Netanyahou isole Israël du reste du monde. Ce faisant, il nasse à sa façon la foule israélienne qui descend dans la rue et lutte pour mettre fin à son régime. La voilà seule. Il fait la solitude de la gauche israélienne.

C'est ici qu'il reste quelque chose à faire.

La lutte contre le gouvernement israélien est par définition politique. Une lutte politique consiste à établir des rapports de force. Pour cela l'addition des forces est déterminante. La logique soustractive dite de résistance aux actes du gouvernement de M. Netanyahou, dont on peut comprendre l'idée, étouffe le combat qui a cours dans les rues israéliennes. Elle retire les forces qu'elle pourrait partager à ce dont à besoin l'opposition politique. Les combats sont multiples et se mènent en même temps. A la fois faire face au gouvernement israélien afin de mettre fin à la destruction des corps palestiniens, à la fois dénoncer la politique du Hamas qui jamais n'a cessé de prôner sa volonté d’annihilation des corps juifs. J'appelle "logique soustractive" tout ce qui relève de l'abandon, du rejet et du retrait. Boycott est le nom que l'on donne à cela et qui agit aveuglément. N'est-il pas grand temps d'essayer une politique collective qui plutôt que de se retirer en abandonnant à son propre sort la gauche israélienne, se pose par l'affirmation d'une solidarité de toutes les gauches avec toutes les forces qui luttent pour mettre fin à la possibilité de la jouissance à énoncer que Gaza brûle ? Pour mettre fin à la destruction de Gaza. Pour mettre fin à la destruction des corps dans Gaza. Pour mettre fin à l'exode à l'intérieur de Gaza.

Résister ne consiste plus à dire non. Résister sera articuler la lutte des gauches mondiales aux luttes de la gauche israélienne afin de rendre impossible la poursuite de la politique de destruction mise en œuvre par le gouvernement Netanyahou.

Aujourd'hui, mercredi 17 septembre 2025, en passant devant les cinémas de France on peut voir l'affiche du film du réalisateur israélien Nadav Lapid dont on lit et entend partout l'opposition nette et radicale au gouvernement. Il n'y a pas de hasard à ce que son film porte pour titre : Oui.



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