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Billet de blog 18 octobre 2015

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Pour une « exception alimentaire » à la française

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Stéphane LINOU, après avoir été le fondateur il y a plus de dix ans des premières AMAP de l’Aude, a été le premier locavore de France en 2008 (www.mangeonslocal.fr), très médiatisé, il s’est nourri pendant un an uniquement dans un rayon de150 km), puis élu Conseiller Général EELV sur le Canton de Castelnaudary-Nord dans l'Aude. En première ligne pendant l'affaire dite Spanghero, il est aujourd'hui candidat aux élections régionales en Midi-Pyrénées / Languedoc-Roussillon sur la liste de Gérard ONESTA.

Pourquoi cette analyse-proposition en pleine crise de l'agriculture ?

Tout simplement parce que l’éclairage qu’il avait justement avancé il y a 7 ans a sa pertinence aujourd’hui. Une des pistes, jusque là inexplorée (Alimentation et Ordre Public) peut faire également écho à une autre actualité (crise et vision de l'Union Européenne).

Pensez-vous vraiment que nourrir notre population est une affaire réglée ? Non. Hélas. Mais voici une solution pour assurer notre souveraineté et sécurité alimentaires.

On pourrait penser que la modernité de nos sociétés, contrairement aux structures antiques, aurait permis de nous éloigner du spectre de la pénurie alimentaire. Il n’en est rien !

Les pouvoirs publics doivent, comme à l’époque de la Rome antique, se préoccuper de nourrir les populations, en particulier dans les villes. L’ordre public et la sécurité alimentaire reposent sur une police efficace et sur une armée puissante, c’était vrai à Rome et nous l’avons sans doute trop vite oublié.

Il en est de même de la « politique agraire » grâce à laquelle la société assure sa propre indépendance et sa propre sécurité alimentaire en organisant une politique agricole donnant toute sa place à la paysannerie nourricière. La société fonde sa prospérité, son indépendance et sa sécurité alimentaire sur une classe paysanne libre, jouissant d’un accès égalitaire à la terre. Elle administre avec sagesse l’agriculture, pour qu’elle soit en mesure de fournir un surplus notable tout en améliorant autant que possible le potentiel de production du territoire, par des aménagements fonciers appropriés.

On sait que les Romains ne réussirent pas à conserver une paysannerie capable de fournir une production locale suffisante pour assurer leur autonomie alimentaire et les disettes impitoyables provoquées par des transports dont la sécurité et la régularité n’ont plus été assurées.

Plus tard, au Moyen Age, les édiles des villes tenaient leur légitimité de leur capacité à assurer plusieurs « sécurités ». La sécurité intérieure des biens et des personnes (création de l’ancêtre de la police) ; la sécurité sanitaire (création de services de luttes contre les épidémies) ; la sécurité contre les agressions extérieures (construction et entretien des remparts et mobilisation d’hommes en armes) et la sécurité… alimentaire.

Il fallait assurer la présence suffisante denourriture dans l’enceinte de la ville. Dans le cas contraire, la population avait légitimement le droit de se révolter contre le pouvoir. Ont été ainsi créées la police des grains et la police de la viande.

Aujourd’hui, cette question est complètement sortie du champ politique. Nourrir les populations est indirectement assumé par les nouveaux grands féodaux du monde moderne que sont Monsieur Leclerc ou Monsieur Carrefour. Ainsi, aujourd’hui, les camions et les quelques plates-formes centralisées assurent une fausse sensation de sécurisation des approvisionnements. Mais ces grandes surfaces, dans lesquelles 80 % de notre alimentation est achetée, n’ont que quatre jours de stocks devant elles.

Nos territoires sont donc sous perfusion alimentaire. C’est un secret bien gardé car la conscience de cette dépendance alimentaire à la grande distribution serait de nature à créer la peur, puis le stockage, et la violence à terme. Il n’y a qu’à voir les linéaires vides quand un épisode neigeux s'annonce, et l'agressivité des acheteurs pour s’en convaincre. 

La souveraineté alimentaire n’est plus assurée puisque la production et la consommation ne sont plus territorialisées. Cet état de fait peut devenir en quelques jours un enjeu de maintien de l’ordre public. Et l’ordre public est encore un pouvoir de l’Etat national…

Il faut donc sortir l’alimentation du champ concurrentiel et des règles imposées par l’Union Européenne ! Et créer une « exception alimentaire » à la française comme on a pu le faire pour l’audiovisiel au niveau de la culture, qui pourtant n’est pas un besoin élémentaire… L’alimentation des populations est un enjeu stratégique. Il faut donc en tirer les conclusions règlementaires qui s’imposent.

Aujourd’hui, la moitié des Français est favorable à une sortie de l’Union européenne parce qu’elle est perçue – à tort ou à raison - comme créatrice de normes au détriment de la qualité alimentaire, du bien-être et de nos entrepreneurs et des emplois nationaux...

En européen convaincu, je crois que l’on doit pouvoir concilier Europe, agriculture et alimentation. Sortons l’alimentation des champs auxquelles s’appliquent les règles de concurrence, au moins, dans un premier temps, dans les marchés publics. Cela pourrait faire office de "soupape de sécurité" dans ce contexte ambiant de grande défiance envers « l’Europe »

Que penser du Président de la République, voyant débarquer des tracteurs sous sa fenêtre le 23 juillet, qui tweete : « Il y a encore dans les cantines deux tiers de l’approvisionnement qui ne viennent pas de France » ? 

Comment peut-il être crédible lorsqu’il dit qu’il faut manger français et que dans le même temps, l’armée française s’alimente pour 40 % de viande étrangère ? Aujourd’hui, les 250 000 militaires français défendent notre pays mais ne défendent pas nos éleveurs comme, « logiquement », ils le pourraient (Sources Interbev France).

Continuerons-nous, à travers la dérégulation et l’ultra-libéralisme, à laisser à d’autres le soin de nous nourrir ou profiterons-nous de cette actualité pour enfin refaire de la politique ? Notre « Contrat Social » est en jeu, il est grand temps de revenir au bon sens…paysan et…politique, pour le bien et…la sécurité de tous.

L’exception culturelle sur le volet audiovisuel a permis de protéger la création audivisuelle et ses emplois. Ainsi, l’exception alimentaire pourrait, de son côté, protéger l’existence de nos « créateurs alimentaires » sur un de nos besoins stratégique et élémentaire...

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