La loi du 23 mars 2019 de programmation 2018–2022 et de la réforme pour la justice a prévu, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, le jugement en premier ressort des personnes majeures accusées d’un crime puni de 15 à 20 ans de réclusion par une Cour criminelle départementale (CCD).
Ainsi, certains crimes n’ont plus été jugés par une Cour d’Assises composée de trois magistrats professionnels et de six jurés, simples citoyens tirés au sort sur les listes électorales, mais par cinq magistrat.e.s professionnel.le.s.
Sans attendre la fin de l’expérimentation, sans véritable retour d’expérience et sans prendre en considération les grandes réserves du rapport de la commission Cour d’Assises et Cours criminelles départementales (janvier 2021), la loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire généralise ces CCD à l’ensemble du territoire à compter du 1er janvier 2023.
Un rapport du comité d’évaluation et de suivi de la Cour criminelle départementale a été rendu au Garde des Sceaux fin octobre 2022.
En qualité d’avocat de la défense des intérêts de victimes, Il convient de faire un bilan.
D’une part, sur le papier la CCD pouvait apparaitre comme une juridiction idoine pour juger des affaires de viol. En effet, le but affiché était de restituer leur véritable qualification pénale à certains crimes, massivement correctionnalisés (c.à.d jugés par un tribunal correctionnel avec des peines encourues moindres) et notamment les crimes de viols requalifiés en délits d’agression sexuelle.
Or, par ce tour de passe-passe, c’est la qualification de pénétration sexuelle qui disparait et donc le cœur du traumatisme des victimes.
Si cette correctionnalisation ne peut se faire sans l’accord de la victime, c’est souvent par résignation, au regard des délais d’instruction, de l’apprêtée d’une instruction criminelle (expertises, confrontation…) et du délai d’audiencement par devant la Cour d’Assises. Il n’empêche que cela est souvent ressenti, par elles, comme une justice au rabais.
Ainsi, les victimes pouvaient penser que cette nouvelle institution permettrait de juger leur affaire à leur juste hauteur.
Mais, le rapport constate que « la création des CCD n’a pas eu d’effet sur la correctionnalisation » et « souhaiterait qu’une étude soit menée à cette fin ».
De plus, nous savons que durant l’expérimentation, 387 affaires ont été jugées dont près de 90 % étaient des affaires de viols. Or, par l’effet de la dé-correctionnalisation des viols, dont aucun rapport n’a pu estimer l’ampleur à venir et donc l’augmentation du nombre d’affaires supplémentaires à juger, le risque sera de voir la CCD se transformer en Super Tribunal du viol et finalement apparaître, là aussi, comme une justice au rabais.
D’autre part, on aurait pu penser que le caractère moins solennel de l’audience des CDD réduirait la charge émotionnelle pour les victimes.
Je l’accorde volontiers, mais combien de fois n’ai-je pas entendu de la bouche des victimes « des gens comme moi m’ont cru », en parlant des Juré.es, avec toute la charge symbolique que cela représente pour elles, leurs proches ou leurs entourages.
Je l’accorde volontiers, mais lorsque le rapport constate que le taux d’appel pour les affaires jugées par les CCD (21 % toutes affaires confondues et 23 % pour les viols) est supérieur à celui pour les affaires jugées par les Cours d’Assises (Pour la période 2012–2015, 18 % toutes affaires confondues et 17 % pour les viols), la réduction de la charge émotionnelle est bien moins effective lorsqu’une victime sait qu’elle va devoir repasser de nouveau devant des juges, d’autant plus, lorsqu’elle apprend que la Cour d’Assises d’appel sera composée cette fois-ci de trois magistrat.e.s professionnel.lle.s et neufs juré.e.s, simples citoyen.ne.s tiré.e.s au sort sur les listes électorales.
De troisième part, les tenants de cette réforme estimaient que le temps d’audience devant une CCD serait bien plus court que par-devant une Cour d’Assises traditionnelle. Les victimes pouvaient donc se réjouir de voir réduit le délai d’une audience particulièrement pesante pour elles.
Or, à contentieux identique, le rapport constate que le temps d’audience devant la CDD est environ 12 % moins long que celui devant une Cour d’Assises. La réduction de la charge émotionnelle dans le temps se trouve donc résiduelle.
De quatrième part, l’autre but, voir le principal, de la Loi était de désengorgement des Cours d’Assises et raccourcir des délais d’audiencement.
Tellement sûr de lui, le législateur avait prévu un délai de six mois (renouvelable) pour un audiencement par devant la CCD contre 12 mois par devant une Cour d’Assises classiques.
Les victimes voyaient de bon augure leur calvaire judiciaire se réduire dans le temps entre le moment où un.e Juge d’instruction ordonnait le renvoi de son ou ses agresseurs devant la Cour et le jour de la condamnation.
Or, le rapport n’a pas pu déterminer de façon exacte la réduction effective de ce délai d’audiencement moyen devant les CCD. Toutefois, il constate qu’une seule CCD sur 15 a pu tenir le fameux délai de six mois.
De plus, il convient de prendre en considération, non seulement, la potentielle augmentation du nombre d’affaires supplémentaires à juger par l’effet de la dé-correctionnalisation, mais aussi, l’augmentation du taux d’appel des affaires jugées par les CCD.
Le différentiel du délai de jugement entre les CCD et les Cours d’Assises sera, à terme, réduit à peau de chagrin.
Enfin, à raison du nombre plus important de Juges professionnel.le.s pour composer les CCD dans les Tribunaux Judiciaires, ceux-ci ou celles-ci seront dans l’obligation de délaisser plus longtemps leur cabinet au détriment de leurs dossiers et donc des justiciables. Ainsi, par un effet de vase communiquant, d’autres victimes, notamment de délit (Agression, vol, violence…) verront le traitement de leurs dossiers s’allonger.
Pour les victimes, il semble que le législateur ait joué à l’apprenti sorcier.