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Billet de blog 24 janvier 2024

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Instrumentalisation politique et juridique du Conseil Constitutionnel

Le 19 décembre 2023, avant l’adoption de la Loi pour contrôler l'immigration, et améliorer l'intégration, le ministre de l'Intérieur, à la tribune du Sénat, a affirmé que certaines mesures de ce texte étaient «manifestement et clairement contraires à la Constitution » et que « Le Conseil Constitutionnel fera son office ». Cette saisine Interroge grandement à plusieurs égards.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le 19 décembre 2023, avant l’adoption de la Loi pour contrôler l'immigration, et améliorer l'intégration, le ministre de l'Intérieur, à la tribune du Sénat, a affirmé que certaines mesures de ce texte étaient «manifestement et clairement contraires à la Constitution » et que « Le Conseil Constitutionnel fera son office ».

Le sur-lendemain, le Président de la République saisissait les 9 sages du Conseil Constitutionnel, en vertu de l’alinéa 2 de l’article 61 de la Constitution qui dispose que « les lois peuvent être déférées au Conseil constitutionnel, avant leur promulgation, par le Président de la République, le Premier ministre, le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat ou soixante députés ou soixante sénateurs ».

Or, cette nouvelle saisine Interroge grandement à plusieurs égards.

D’abord par son utilisation.

En effet depuis le 4 octobre 1958, date de l’avènement de la Constitution, le Conseil Constitutionnel n’a été saisi que 4 fois par un Président de la République au titre de cet article.

Il y eu François Hollande en 2015 concernant la loi relative au renseignement, puis Emmanuel Macron en mars 2019 pour la loi dite « anti-casseurs » et en mars 2020 pour  la loi dite sur l’état d’urgence

On constate, alors qu’en plus de 60 ans le Conseil Constitutionnel n’a été saisi qu’une fois, et qu’en 4 années Emmanuel Macron vient soumettre 3 lois à la validation constitutionnelle.

Par ce systématisme, pour des lois particulièrement attentatoires aux libertés publiques et en période de crise (gilets jaunes et covid), il y a là une volonté d’obtenir la bénédiction de la Cour Suprême de sa politique qui empêcherait toute critique postérieure.

Ensuite, dans sa formulation.

Dans sa saisine, le Président de la République explique que « Eu égard à l'ampleur de l'évolution du texte par rapport à sa version initiale et à l'importance pour notre nation des droits et principes constitutionnels en cause, je souhaite au nom de la mission que me confie l'article 5 de la Constitution, que les dispositions de la loi ne puissent être mises en œuvre qu’après que le Conseil constitutionnel aura vérifié qu'elle respecte les droits et libertés que la constitution garantit. 

Ainsi, j'ai l'honneur, en application du 2e alinéa de l'article 61 de la Constitution, de déférer au conseil constitutionnel la loi visant à contrôler l'immigration et améliorer l'intégration »

De façon explicite le Président de la République, d’une part, ne vise aucune disposition ou aucun article précis de cette « petite loi » (texte adopté définitivement par le Parlement, et qui fait l'objet d'une saisine du Conseil Constitutionnel) et d’autre part ne fait aucun grief particulier d’inconstitutionnalité.

C’est ce que l’on nomme une saisine blanche.

On pourrait penser, au 1er abord, que le Président de la République laisse toute l’attitude au Conseil Constitutionnel de se saisir de tel ou tel article pour les dire conforme ou non à la Constitution.

Il n’en est rien, car, comme il l’a déjà jugé, lorsque « les requérants n'invoquaient aucun grief particulier à l'encontre de ce texte et qu'au demeurant, aucun motif particulier d'inconstitutionnalité ne ressortait des travaux parlementaires », le Conseil Constitutionnel estime qu'il n'y a « pas lieu qu'il examine spécialement ces dispositions d'office. » (Décision n° 2011-630 DC du 26 mai 2011).D’ailleurs, le Président de la République semble pertinemment le savoir puisque dans ses 2 précédentes saisines était visé expressément les dispositions qu’il entendait soumettre au Conseil Constitutionnel, certes sans invoquer de motif particulier d'inconstitutionnalité, mais en mettant en avant « le respect des droits et libertés garantis par la Constitution »

Ainsi, dénuée de visa des dispositions contestées et sans grief d’inconstitutionnalité, cette saisine, non plus blanche mais, « vide » apparait, de fait, comme purement politique, comme un effet d’annonce et une volonté d’obtenir un pass-constitutionnel incontestable.

De toute évidence, il y a le choix d’instrumentaliser non seulement le Conseil Constitutionnel mais aussi la Constitution.

En troisième lieu, par l’absence d’observation du gouvernement auprès du Conseil Constitutionnel.

Certain.es relèvent que les 3 premières saisines, qu’ils ou elles qualifient de blanche, sont généralement compensées par les observations du gouvernement auprès du Conseil Constitutionnel qui viennent au soutien de la conformité de la loi déférée.

Tel fut le cas concernant la loi renseignement, la loi anti-casseurs et la loi autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire

A ce jour, signe d’une grande fébrilité et d’importantes dissensions au sein du gouvernement, aucune observation du gouvernement n’a été déposé auprès du greffe du Conseil Constitutionnel.

Ce blanc-seing laissé par le gouvernement au Président de la République renforce l’idée qu’il est le seul est à la manœuvre.

D’aucun.e pourrait affirmer que ses trois interrogations ne reflètent que le vœu du Président de la République de soumettre le plus largement possible cette Loi à l’analyse de la Cour suprême, que c’est le jeu démocratique et qu’il n’y a aucune instrumentalisation de l’institution dans cette saisine.

C’est sans compter sur deux principes énoncés par le Conseil Constitutionnel, que le Président de la République ne peut ignorer.

D’une part, le Conseil Constitutionnel annonce depuis de nombreuses années « que l'objectif de lutte contre l'immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l'ordre public qui est une exigence de valeur constitutionnelle » entérinant ainsi «la priorité donnée par les pouvoirs publics à la maitrise des flux migratoires au détriment des droits et libertés des étrangers ».

Par voie de conséquence, cette saisine par le Président de la République affirmant « que les dispositions de la loi ne puissent être mises en œuvre qu’après que le Conseil constitutionnel aura vérifié qu'elle respecte les droits et libertés que la constitution garantit » est une véritable hypocrisie voir une escroquerie intellectuelle.

Le Président de la République sait pertinemment que le Conseil Constitutionnel sera empêché, par sa propre jurisprudence, de sanctionner une grande partie du texte.

D’autre part, le Conseil Constitutionnel affirme que «lorsqu'il est saisi en application de l'article 61 de la Constitution » il ne lui appartient pas « d'examiner la conformité d'une loi aux stipulations d'un traité ou d'un accord international » (Décision n° 74-54 DC du 15 janvier 1975) et que « si le contrôle de la supériorité des traités par rapport aux lois ne peut être effectué dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois, il doit être effectué par les juridictions ordinaires sous le contrôle de la Cour de Cassation et du Conseil d'Etat » (Décisions n° 86-216 DC du 3 septembre 1986 et n° 89-268 DC du 29 décembre 1989).

Le Président de la République ne peut ignorer que le Conseil Constitutionnel ne pourra pas, sauf revirement de jurisprudence révolutionnaire, vérifier la conformité de la Loi aux textes internationaux, notamment à la convention européenne des droits de l’homme.

D’aucun.e pourrait affirmer que c’est la jurisprudence du Conseil Constitutionnel et qu’il n’y a rien à voir de pervers ou d’instrumentalisation des institutions dans cette saisine.

Certes, pris séparément, ces 5 éléments sont inopérants.

Mais alignés les uns derrières les autres, ils sont la démonstration que la saisine « vide » par le Président de la République du Conseil Constitutionnel est une véritable machine à instrumentaliser sa décision future.

Mais alors dans quel but ?

Si la décision du Conseil Constitutionnel censure grandement le texte - ce dont on peut douter compte-tenu de sa jurisprudence - la porte sera grande ouverte pour condamner le gouvernement des Juges qui empêche de protéger les citoyen.ne.s francais.es contre l’agression de l’extranéité.

Si la décision du Conseil Constitutionnel déclare conforme une grande partie de la loi –validant, de facto, des atteintes graves aux droits fondamentaux des étrangers aux regards des conventions internationales – la porte du discours est dorée puisque cette loi « respecte les droits et libertés que la constitution garantit »- et qu’il n’y a plus aucune critique à faire !

Le Conseil Constitutionnel se retrouve, quelle que soit sa décision, complètement instrumentalisé.

Laurent Fabius, dans son discours de Vœux du Conseil constitutionnel au Président de la République, en affirmant que « le Conseil constitutionnel n’est pas une chambre d’écho des tendances de l’opinion publique, il n’est pas non plus une chambre d’appel des choix du Parlement, il est le juge de la constitutionnalité des lois » et en reprenant les termes de Robert Badinter, dans un entretien au Monde du 5 mars 1995, selon lequel «toute loi inconstitutionnelle est nécessairement mauvaise, mais toute loi mauvaise n'est pas nécessairement anticonstitutionnelle » ne dit pas autre chose !

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