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Billet de blog 22 octobre 2024

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« On ne pratique plus le soin »

Je suis sorti de chez mon médecin traitant désorienté. Il avait fini notre échange sur ce constat qui aurait pu avoir un goût amer : « Oui, on ne pratique plus le soin en médecine ». Je n’ai pas su bien juger.

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Je suis sorti de chez mon médecin traitant désorienté. Il était aux environs de onze heures. Le soleil perçait librement quelques nuages, alors que la pluie était attendue. J’étais habillé trop chaudement. Ce désagrément s’appariait au malaise ressenti en quittant la maison de santé. « Oui, on ne pratique plus le soin en médecine ». Mon médecin avait fini notre échange sur ce constat qui aurait pu avoir un goût amer. Je n’ai pas su bien juger. 
Nous avions débuté notre rendez-vous sur le renouvellement de mon traitement, et un rapide coup d’œil sur mon prochain rendez-vous avec le cardiologue, tout en passant par un rappel de mes examens sanguins. Ce jour-là, j’avais besoin de discuter. Je fais le tour des situations médicales où je ne suis pas satisfait de la prise en charge, du manque de « soin » dans l’attention comme dans la pratique. « Effectivement, la médecine se résume à des actes techniques, maintenant ». Tout en disant cela, je constatais que lui-même prenait le temps d’écouter. Ce n’est pas le cas du cardiologue qui pose toujours les mêmes questions cliniques, dans le même ordre, me fait la morale parce que je n’ai pas arrêté de fumer, déroule une synthèse rapide après l’épreuve d’effort, et me remercie. 
    
Je stresse. La perspective de l’examen de conduite me fait stresser. J’ai annulé la dernière convocation, après un an de conduite. La dernière évaluation avec la directrice de l’auto-école n’a pas été suffisamment concluante. Les signes de stress sont trop visibles et perturbent la conduite. Pourtant, quand je conduis avec Alexandre1, mon compagnon (qui est aussi mon superviseur), tout va bien. C’est le cadre qui fout tout en l’air, je panique. « Je peux vous prescrire un demi Xanax avant l’examen ».  Je préfère fumer un joint, ai-je répondu au médecin. Ça l’a fait rire. 
Je stresse. Alors j’en parle au psychiatre, bien entendu. C’est la première personne à qui j’en parle après mon compagnon. Je lui parle de la conduite depuis un an. De la difficulté lié à mon âge (52), des moments de panique, de mon impatience, parfois. Ça doit le soûler. Je lui reparle du trauma de l’abus sexuel que j’ai vécu à l’âge de cinq ans, des réminiscences émotionnelles qui font jour lors des situations d’apprentissage et d’évaluation, où le savoir et le pouvoir sont en jeu. Il me dit de mettre les choses dans des cases, que le passé doit rester dans le passé, qu’il y a d’un côté l’examen, et de l’autre le stress et ce que ce dernier éveille comme reviviscence, et finit par me conseiller d’aller voir un ou une hypnothérapeute, d’essayer l’EMDR2 ou la méditation (c’est son grand truc, la méditation). 
Je suis énervé, parce que je ne me sens pas écouté. Je considère sa réponse comme une facilité, dans un premier temps. Le stress à un haut niveau peut mener à la décompensation psychotique. Le stress est un vecteur majeur de la crise qui peut me faire délirer, transformer la réalité, me faire voyager, au plus grand bonheur comme au plus grand malheur. J’ai le sentiment qu’il ne prend pas ma crainte au sérieux. Je le crois trop confiant dans l’efficacité des antipsychotiques qui sont censés me stabiliser. Il me propose de revoir le traitement, éventuellement d’ajouter à la liste un anxiolytique. Il joue son rôle de clinicien et de dealer légal. Il m’invite à me faire aider afin de maîtriser le stress et ces « émotions fantômes » (c’est moi qui les appelle ainsi). C’est drôle comme je n’y avais pas penser avant, depuis que je navigue de psychologues en psychanalystes, de psychiatres en psychiatres !  

J’ai sans doute trop attendu de la psychiatrie. J’attends sans doute trop de la médecine en général. Pris dans ce maelstöm affectif et émotionnel, je me préparais à autre chose que l’imposition d’un diagnostique comportemental s’ajoutant aux autres, me retrouvant ainsi « phobique de l’évaluation » en plus d’avoir une structure psychotique. Sauf qu’avant de maîtriser quoique ce soit, ce que je désire, c’est pouvoir dire cet abus sexuel et ses réminiscences en cas de stress qui engage la crise, avoir le temps de l’exprimer enfin. Je ne souhaite pas une quelconques ordonnances psychologiques et comportementales traitant le symptôme comme un défaut essentiel à corriger. La symptomatologie propose plutôt de prendre en charge ce symptôme, d’explorer les aspects relationnels, de désenkyster une éventuelle essence fantasmatique. Comment, alors, au sein d’une médecine protocolaire et technique, cloisonnée dans ses spécialités, ne liant aucuns des champs du savoir et des pratiques, tracer son propre chemin, écrire sa trajectoire subjective. L’importance de ce cas échappe à la médecine psychiatrique à laquelle je suis confronté aujourd’hui. C’est pourtant l’essentiel du « soin » pour toute forme de psychose, arriver à agencer une trajectoire subjective, fut-elle délirante, de l’expérience psychique. 

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1. Le prénom a été changé.


2.  L'intégration neuro-émotionnelle par les mouvements oculaires ou plus couramment EMDR, d'après l'anglais eye movement desensitization and reprocessing, est un type d'intervention à visée psychothérapeutique mis au point par Francine Shapiro à partir de 1987. Elle est utilisée aujourd'hui comme un des traitements pour la prise en charge du trouble de stress post-traumatique (TSPT). Des études ont démontré que le protocole fonctionne comme n’importe quelle TCC (thérapie cognitvo-comportementale) sans la stimulation sensorielle généralement appliquée sous une forme bilatérale alternée et le plus souvent par le biais des mouvements oculaires. 

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