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Billet de blog 30 nov. 2015

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Le FN à la tête d'une région? Attention danger. Exemple du programme FN en Ile-de-France.

Le Front National est d'ores et déjà annoncé comme le grand gagnant des prochaines élections régionales. Au-delà du séisme politique que cela pourrait créer d'avoir 'une collectivité aux importantes compétences aux mains d'un parti d'extrême-droite, à quoi pouvons-nous nous attendre? A rien de bon...

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 Les 6 et 13 décembre prochain auront lieu les élections régionales. Elles visent à renouveler l’ensemble des exécutifs des Conseils Régionaux à l’aune de la mise en place des super-régions. Ce qui fait l’actualité autour de ces élections ce ne sont ni les nouvelles compétences de la Région, ni les bilans des dernières mandatures et encore moins les programmes des différentes listes pour ces élections. Le seul sujet, c’est la montée du Front National.

Et si nous nous intéressions un peu plus précisément au projet du Front National pour les élections régionales en prenant exemple de la Région Ile-de-France.  Extraits choisis.

1- L’ennemi commun : l’étranger

Dans l’ensemble du programme du Front National, il y a une ligne directrice : la stigmatisation de l’étranger. Quelque soit le sujet, il est fait en permanence évocation aux immigrés, aux réfugiés, aux clandestins, aux personnes issues de l’immigration, … Ils sont l’origine de tous nos maux. Les attaques portées sont parfois très violentes surtout quand il s’agit des questions de logement comme vu avant.

Concernant en particulier le domaine du logement, celui où le Front National est le plus dur avec les ressortissants étrangers. Le Front National leur fait effectivement porter la responsabilité du manque du logement en Île-de-France et du mal-logement sur « les étrangers, les clandestins ou les réfugiés » qui ont été la priorité jusque là « plutôt que nos compatriotes qui ont cotisé à un moment de leur vie ». Les quartiers sont « abandonnés au trafic et au communautarisme », « nos gouvernants drogués à la préférence étrangère n’assument plus leur rôle régalien ». Il existe « une véritable course aux logements sociaux dans le but désormais avoué de disséminer une immigration de masse. Adieu la mixité sociale. Place à la mixité ethnique ». « Pire encore : un vaste programme dans le cadre de la Métropole du Grand Paris prévoit un pourcentage de logement très sociaux. Traduction : des logements réservés aux quotas de clandestins obligatoires imposés par l’Union Européenne. » Populisme, mensonges et xénophobie sont les maîtres mots du programme du Front National en matière de logement.

Cette peur de l’étranger s’illustre également par la suppression voulue par le Front National du budget dédié à la solidarité internationale. La raison invoquée par le Front National est encore une fois la préférence nationale, expliquant qu’il s’agit de s’occuper des français et pour le reste ce ne serait pas notre problème. Une de fois, cela est un non-sens complet. Déjà, le budget actuel de la Région consacré à cet effet est infime. Il s’agit de 5 millions d’euros sur un budget de fonctionnement total de plus de 2 milliards. Les actions de solidarité internationale menée par la Région sont utiles et importantes à plusieurs titres. Déjà, elles permettent de contribuer au développement de territoires à l’étranger actuellement en difficultés. Ensuite, elles permettent le rayonnement à l’international de la Région Île-de-France en la faisant connaître à l’étranger. C’est aussi un outil pour faire venir des entreprises sur le territoire francilien qui seront à terme susceptibles de créer des emplois.

2- Une société de la défiance : la fin de la recherche du vivre-ensemble …

Alors que les événements de ces derniers jours ont montré que les politiques publiques menées jusqu’à présent sont insuffisantes pour garantir le vivre-ensemble sur nos territoires et qu’il s’agirait de s’attaquer davantage au faire-ensemble, le Front National se fixe pour objectif de faire complètement l’inverse.

Une société libre, égalitaire et fraternelle est une société complètement fermée aux thèses du Front National. Ces dernières ne reposent que sur l’existence d’une société violente ou les relations interindividuelles se fondent sur la méfiance et la défiance. C’est pourquoi il cherche à définir un ennemi commun permettant de souder une population contre celui-ci. Mais ce n’est pas suffisant, il faut ensuite créer un climat de défiance permanent et rompre les dernières solidarités collectives existantes.

Pour cela, les propositions du FN sont claires : Ce sont 65 millions d’euros d’investissements dans la politique de la ville et pour les territoires prioritaires qui seront supprimés et « réorientés vers le logement et la sécurité ». Ce sont également 40 millions d’euros en moins sur le budget de la Région et 300 millions d’euros du Contrat de Plan État-Région qui seront économisés et serviront à autre chose que la construction de logements sociaux. Les communes ayant atteint un seuil de 25% de logements sociaux n’auront plus de subventions de la Région pour des constructions nouvelles. Pire encore, les bénéficiaires des logements sociaux seront triés sur le volet. Il faudra être de nationalité française ou justifier de 10 ans de cotisations sociales sur le sol français et avoir un casier judiciaire vierge.

On voit donc clairement ici la stratégie du Front National se mettre en place. Couper court aux subventions s’adressant aux associations agissant pour le vivre-ensemble dans les quartiers « politique de la ville « , diminuer drastiquement les crédits d’investissements pour le logement et critériser l’accès aux logements sociaux dans une logique de préférence nationale sont autant d’outils au service d’une stratégie visant à favoriser le délitement de la société.

Cette stratégie explique également le positionnement du FN vis-à-vis de l’économie sociale et solidaire. L’économie sociale et solidaire ne serait que le symbole de la « branchitude » de la Région « en adoration devant l’innovation d’un côté et l’économie sociale, solidaire ou environnementale de l’autre ». Considéré comme non créateur d’emplois, le secteur de l’ESS en devient inutile. D’ailleurs il est très clair que si le Front National arrive à la tête de la Région, c’est tout un pan de l’économie francilienne qui sera mis en difficulté. En réalité, le problème avec l’ESS c’est qu’elle cherche à proposer un modèle différent, un modèle alternatif que celui proposé par l’idéologie dominante : plus de participation, plus de démocratie, plus de lien social. L’ESS c’est des milliers d’associations, de coopératives, de bénévoles qui œuvrent pour accompagner les personnes en difficultés, pour faciliter l’intégration d’autres. Or c’est tout l’inverse que veut un FN totalisant. Cohésion sociale, vivre-ensemble et faire-ensemble sont les ennemis du Front National qui pousse sur un terreau fertile lorsque justement les populations se méfient les unes des autres, lorsque chacun voit en son voisin un concurrent, un ennemi potentiel. Défendre ces associations, c’est contribuer à changer la terre. Les détruire, c’est contribuer à plus de violence et de défiance dans la société.

Enfin, le FN se place dans la même logique quand il parle de résoudre le problème du chômage. Déjà, les propositions sur ce sujet sont très faibles dans le sens où une majorité d’entre elles sont hors-sujet car étant d’un ressort national. Le projet du Front National se fonde sur l’éducation se fonde uniquement sur les notions d’excellence et de mérite. De plus, en prenant position pour que les jeunes puissent dès 14 ans s’engager dans un parcours d’apprentissage contre 16 ans actuellement. Faut-il déjà rappeler que ce ne sont pas les exécutifs régionaux qui déterminent cette limite d’âge ? et il est d’autre part très dangereux de conditionner aussi jeune des individus à ce qu’ils feront plus tard. Lorsque l’on a 14 ans, on est encore très loin de savoir exactement ce que l’on veut faire de sa vie professionnelle. En faisant cela, le Front National veut aller toujours plus loin dans les déterminismes en niant complètement les libertés individuelles de chacun. A l’inverse, plutôt que de renforcer les crédits alloués à l’enseignement, le Front National souhaite diminuer de 39 millions d’euros le budget d’investissement alloué aux établissements d’enseignement supérieur. Cette mesure est contre-productive et dangereuse car face au désengagement de l’État dans ce domaine, elle risque de creuser un retard entre l’Île-de-France et d’autres régions du monde.

3- … pour une société rigide et totalisante

Le Front National prend des positions réactionnaires et d’un ancien temps, refusant d’admettre que les sociétés changent, que les entreprises changent, que les aspirations de chacun évoluent. Plutôt que d’accompagner et soutenir les initiatives nouvelles, le Front National préfère restaurer des choses qui n’existent plus, des modes de fonctionnement ancien et plus adaptés. Plusieurs secteurs sont impactés par ce caractère réactionnaire des propositions du FN.

Concernant la sécurité, une fois de plus le Front National fait preuve d’un populisme à toute épreuve. « Nous décidons de traiter ensemble la délinquance et la fraude [dans les transports] car ces deux maux sont les mamelles d’une mauvaise mère symbole de la déviance sociale. A ce titre, la sanction et la peur du gendarme doivent être érigées en dogme afin d’apprendre ou réapprendre à respecter l’autorité de l’État et de ses représentants ». Le Père Fouettard est de retour. La sécurité n’est pas du tout une compétence de la Région et ses moyens d’actions y sont limités. S’il est vrai qu’il est nécessaire de renforcer la sécurité dans les transports en commun par le biais notamment du renforcement des équipes, il s’agit tout de même de ne pas tout mélanger. Les compétences de la Région en matière de sécurité sont bien plus minimes que ce que veut faire croire le Front National. Lorsqu’ils expliquent qu’ils mettront en place une présence policière à chaque sortie d’établissement, ils ne font preuve que de démagogie et de mensonges. Cette mesure, en plus de n’être que très peu utile est irréalisable. Cela impliquerait que les forces de police ne fassent plus que cela, il y a en effet 2000 collèges et lycées en Île-de-France. Enfin, il serait peut-être utile de leur rappeler qu’aux dernières nouvelles, les Régions n’ont pas les compétences sur la police. S’il est précisé dans le projet que la prévention est une des composantes de la sécurité des français, elle n’est citée qu’une seule fois et correspond à la création de centres d’apprentissage fermés. Ces derniers permettraient « la prévention et le repérage précoce des actes de délinquance et de violence sur les personnes ».

Venons-en à la culture. Une fois encore, le Front National est très dur en la matière. Aussi étonnant que cela puisse paraître, la culture est ramenée à une question de sécurité : « une politique de sécurité culturelle à laquelle aspirent les français ». « L’insécurité culturelle est angoissante. Elle paralyse les Français et constitue une composante de la dépression profonde de notre pays depuis plusieurs décennies ». Dans cet objectif, le Front Nation mettra un terme au Fond Régional d’action culturelle. Ils réduiront également drastiquement le budget d’ARCADI, agence régionale Cette agence culturelle régionale a pourtant pour objectif d’accompagner et de soutenir les porteurs de projets dans le domaine des arts de la scène mais également de participer à la sensibilisation des publics. La raison invoquée par le Front National est que la culture « choisie » par Arcadi ne serait pas celle des français. Ainsi, dans son programme, le Front National définit une culture qui serait légitime et une autre qui ne le serait pas. D’ailleurs, ce qui n’est pas écrit noir sur blanc mais ce qui apparaît dans le tableur des économies qu’ils souhaitent réaliser, 20 millions d’euros d’économie seront faites sur les arts de la scène et les arts de rue, 10 millions sur le cinéma audiovisuel et 9 millions sur les équipements culturels. Baisser les dotations d’investissements pour ces équipements c’est remettre en cause le maillage territorial de la culture en Île-de-France et ainsi limiter les capacités d’accès de tous à la culture et à toute la culture.

4- Incohérences et mensonges

La propension du Front National et de Wallerand de Saint-Just à raconter tout et son contraire est clairement frappante. Celle à mentir et à s’affranchir du droit existant également.

Sur l’emploi déjà, le Front National semble en faire sa priorité afin d’insuffler « une audacieuse politique de l’emploi et de la formation professionnelle, non pas pour inverser la courbe du chômage mais pour retrouver un chômage résiduel à la fin de la mandature ». Objectif louable certes. Malgré cette déclaration d’intention, il semble utile de noter que, dans un tableau présentant les économies que souhaitent faire le Front National s’ils arrivent à la tête de la Région, 30 millions d’euros d’économies seront réalisées sur le budget de fonctionnement lié au soutien à l’emploi. Les exemples de ce type sont nombreux.

On remarque également à de nombreuses reprises des erreurs manifestes concernant les compétences de la Région et le droit en vigueur.

Par exemple, le Front National dans son programme souhaite « réserver les commandes publiques régionales aux entreprises d’Île-de-France ». Si ce n’est pas forcément idiot sur le fond, il faut savoir que la passation de marchés publics est soumise à des règles européennes auxquelles il est impossible de déroger. Sans quoi le contrat passé sera déclaré illégal par le juge administratif. En outre, la Région Île-de-France met d’ores et déjà des clauses d’insertion ou des clauses environnementales dans les cahiers des charges des marchés publics afin de favoriser la proximité géographique dans le choix des prestataires. De plus, il est bien évident dans cette proposition qu’elle n’est qu’un prétexte pour dénoncer une nouvelle fois les.

Autre exemple, dans sa partie sur la formation et l’apprentissage, le Front National propose de « mettre fin aux règles compliquées d’assujettissement des entreprises à la taxe d’apprentissage et la formation professionnelle. Créer une taxe plus incitative et unique pour toutes les entreprises, organiser une redistribution prioritaire de la taxe conforme à la nouvelle politique en faveur des salariés précaires et des salariés pas ou peu qualifiés ». Or, si les collectivités bénéficient d’une libre-administration et d’une certaine autonomie financière, elles n’ont en revanche pas la capacité de créer de nouvelles taxes. L’article 72-2 de la Constitution précise que « Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi. 
Elles peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toutes natures. La loi peut les autoriser à en fixer l'assiette et le taux dans les limites qu'elle détermine. » Elles n’ont donc pas la possibilité de créer de nouvelles taxes.

Le programme du Front National est rempli d’erreurs de droit qui sont au mieux le fruit d’un amateurisme et d’une méconnaissance et au pire une stratégie volontairement mensongère. En tout cas, pour un parti voulant rétablir l’autorité de l’État et le respect des lois, ils s’en affranchissent très largement.

En quelques mots, le programme proposé par le Front National pour les élections régionales est un avant-goût de ce qui sera leur programme aux élections présidentielles. Dans un moment de pleine confiance, ils poursuivent leur chemin vers une liberté de parole toujours plus grande s’affranchissant de nombreux tabous. Les étrangers sont clairement leur cible, ils seraient notre ennemi. Les responsables de tous nos maux : chômage, logement, sécurité, … Ce programme est en réalité complètement totalisant dans le sens où il se fixe clairement pour objectif de souder les français autour de valeurs d’un ancien temps remplies de populisme et d’obscurantisme. Il vise à créer une société triste, fondée sur la méfiance vis-à-vis de l’autre, un individualisme exacerbé en voulant installer l’ensemble de la population dans un carcan sécuritaire permettant de restreindre les libertés de penser, d’agir, de s’amuser, de chacun en choisissant pour nous ce qui est bien et ce qui ne l’est pas.

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