Paulo est brésilien. Il a cinquante-six ans. Pendant vingt-cinq ans il a élevé sa belle-fille, Suzanna. Une douce femme qui a choisi la Suisse. Qui travaille à la Castalie depuis dix ans. Qui chaque jour prend soin des plus défavorisés de chez nous. De mon frère Grégoire et de tant d’autres. Qui a acheté une maison chez nous en Valais avec son compagnon. Qui rénove un appartement récemment acquis plus proche de son lieu de travail, dans le Chablais.
Paulo est à la retraite. Pendant trente-cinq ans il fut fonctionnaire de police. Il doit connaître les favelas de Rio, les petites gens de là-bas et quelques hauts fonctionnaires qu’il a toujours respectés. Paulo est un serviteur de l’Etat brésilien. Il est aussi grand voyageur. Il aime découvrir de nouvelles contrées. Souvent il est venu en Suisse. Visiter sa belle-fille. Sourire avec elle. Photographier notre pays qu’il aime tant.
Paulo a un ami. L’oncle de Suzanna. Waldemar. Cinquante-huit ans. Un artisan du cuir. Un homme méticuleux qui aime son métier. Le travail de ses mains. L’histoire de sa vie n’est pas celle des nantis. Il est en dépression. Paulo le sait. Paulo veut l’aider à franchir cette étape si difficile. Waldemar lui demande : « Pourrais-tu m’amener en Suisse voir ma nièce ? J’ai quelques économies acquises par mon dur travail. Je sens que j’ai besoin de changer d’air. Viens avec moi. Je vais ainsi me remettre, soigner mon angoisse et repartir vers demain avec le goût de la vie ».
Paulo réserve les billets, téléphone à Suzanna, organise le départ en Suisse. L’arrivée à Genève aura lieu le 11 janvier. Le billet de retour est déjà réservé pour le mois de février. C’est décidé, il accompagnera Waldemar, il rira avec lui, il boira du vrai fendant à Monthey ou sous le soleil du Valais central, il lui fera goûter une raclette, il embrassera Suzanna, ils parleront portugais, ils parieront peut-être sur les chances de la Suisse lors de la prochaine Coupe du monde. Que ce serait beau une finale Brésil – Suisse à Maracaña ! Ils rêvent ensemble.
Les deux amis s’envolent. Atterrissent à Genève. Embrassent à l’aéroport Suzanna étincelante et accueillante. Traversent l’arc lémanique, pénètrent à l’intérieur de la terre valaisanne, savourent le soleil du Valais central et se réjouissent de leur séjour. Déjà Waldemar se sent mieux. Il pèse 50 kilos, mais sait que le bon air de chez nous lui fera oublier ses déboires d’un moment de sa vie.
Suzanna est rayonnante. Elle les accompagne. Elle leur prend la main. Elle leur fait découvrir des coins du Valais que moi-même je ne connais pas. Suzanna est un peu avec eux en Valais au Brésil. Suzanna est si souriante, si contente, si heureuse, qu’elle emmène les deux hommes voir son nouvel appartement. En pleine rénovation. Les deux hommes sont heureux avec elle. Et, personne ne sait pourquoi, mais chacun comprend que c’est par amour, l’un des deux propose de l’aider dans le carrelage. Suzanna les voyant si riants, si de bonne humeur, si « Valaisans », leur dit oui. Et le lendemain les deux hommes s’en vont participer pour trois jours à ce chantier improbable dont ils n’avaient pas idée avant de quitter Rio de Janeiro.
Et un heureux délateur montheysan (je le dis ici sans rire, dans le Chablais existent aussi de vraies crapules) dénonce ce qu’il voit. Deux hommes en plein travail dans un petit appartement de trois pièces au centre de l’accueillante ville de Monthey. Et brusquement, le deuxième matin, un chien policier (ne sait-on jamais, ces deux lascars sont peut-être des trafiquants de drogue sud-américains !), deux inspecteurs du Service cantonal du travail et deux policiers débarquent. Séparent les deux amis. Les menottent. Les enferment dans le centre de détention de Granges. Transmettent le cas à l’ODM qui, ni une, ni deux, interdisent toute entrée en Suisse à ces deux touristes assassins pendant trois ans.
Waldemar, 50 kilos, amaigri, desséché, est apporté manu militari, trois jours plus tard, devant un juge du Tribunal cantonal. Qui interroge le coupable (comment donc un basané pourrait-il être innocent ?), menottes aux points. A l’arrivée de l’avocat, qui propose que l’on enlève les menottes au pauvre homme, le juge indique qu’il répond ce faisant aux injonctions de la police à fin de mesure de sécurité. On apprend enfin qu’ici en Valais la justice est sous le contrôle de la police. Et non l’inverse. Nous voilà rassurés. Le juge interroge l’ogre du Brésil. Qui, à l’aide d’une interprète très polie, raconte son histoire. A la fin de la séance, le magistrat (son anonymat est garanti, mon irrespect à jamais aussi) dira : « Par mesure provisionnelle, vous êtes encore détenu jusqu’à ma prochaine décision ».
Paulo, plus aguerri et en meilleur état de santé, est à son tour interrogé. Le faisant venir dans la salle d’audience le policier aura choisi cette fois de lui enlever les menottes sans l’autorisation du magistrat.
Et l’après-midi, la décision est rendue. Les deux hommes ont « travaillé » au noir. Le fait qu’ils n’aient reçu aucun argent, qu’aucune rémunération n’était prévue, que les deux hommes étaient en vacances, qu’ils avaient déjà leur billet de retour, qu’ils étaient proches parents de Suzanna, qu’ils étaient à la retraite, que l’un d’entre eux était un fonctionnaire public pendant plus de trente ans, tout cela a été balayé par la nécessité de ce droit technique qu’il conviendrait de respecter.
Suzanna n’a pas de mots assez dur pour qualifier ce qu’elle a vu. Tout cela ne fut à ses yeux qu’une « mascarade ». « On a traité ces deux hommes pire que des chiens ou des chats ». « Ce magistrat n’a tout simplement aucune humanité ». « Si être juge, c’est être une machine, pourquoi alors avons-nous besoin de magistrats ? ». « Mon beau-père et mon oncle ont été considérés pire que des fétus de paille qu’on casse en deux ». « On a même poussé la perfection jusqu’à éloigner les deux hommes même au centre de détention, alors que mon oncle est en état de profonde dépression ». « Je n’ose pas même lui donner ses médicaments, – il est bipolaire -, de crainte qu’il ne commette l’irréparable ». « Personne ne veut me donner des nouvelles de mes deux parents ». « C’est décidé, je quitte la Suisse, ce pays me fait honte, le Valais me fait honte, je ne peux pas accepter de payer mes impôts qui favorisent une telle honte ». « Oui, j’ai honte pour eux, pour ce juge, pour le service des étrangers ». « C’est indigne ».
Soyons Suisse, parlons finance. Un magistrat « prenant soin du dossier » pendant plusieurs heures, une secrétaire muette et complice de cette perfection administrative, deux policiers accompagnant les « salauds » de Brésiliens, deux autres policiers débarquant au petit matin à Monthey, deux inspecteurs du travail certains de faire correctement leur métier, tout cela a un coût indéterminé financé par nos impôts. Pour la sécurité du pays ! Et le billet d’avion pour le retour sera financé par le contribuable helvétique !
On en vient presque à penser que Dominique Giroud a raison de vouloir organiser un circuit de défiscalisation illégale !
Ce gouvernement, cette justice, ces fonctionnaires, ces policiers, représentent-ils le Valais que nous aimons ?
Post Scriptum : le vice-consul du Brésil à Genève et le Secrétaire général sont à Granges cet après-midi. Ils ne manqueront pas d’étrangers les représentants de l’administration : y a-t-il un seul Valaisan qui n’ait jamais fait appel à sa famille pour des travaux de rénovation dans leur chalet, leur maison ou leur appartement ?