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Billet de blog 1 juillet 2014

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Le foot comme national-racisme

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

(Par JACQUES KÜHNI)

C’est partout, dans les rues, dans les bistrots, dans les têtes, de nuit comme de jour, un envahissement total… Une telle overdose doit pouvoir rendre fou, si l’on n’en rit pas un peu. J’ai vu passer un abruti arc-bouté sur son klaxon, sa limousine turbo-compressée bardée de drapeaux suisses. C’est étrange, je le connais depuis des années et il n’est jamais suisse. Il est surtout valaisan, supporter du FC Sion, c’est-à-dire que la Suisse comme généralité est son ennemi ; Bâle en particulier est un danger, Lausanne, on s’en gausse, mais ça pourrait mal tourner, Zürich est un cauchemar de supporter. Cette coupe helvétique n’est buvable que dans l’écrasement du reste national. Une petite baston entre le Wankdorf et la fosse aux ours vous soude le clan sédunois. Comme valaisan du bas, il s’énerve pourtant contre Sion comme siège du pouvoir cantonal, mais l’adore comme capitale de stade.

Sur les chantiers, je l’ai entendu vomir les étrangers, tous. Surtout les pas bien blancs et les bandits des Balkans, avec une rancœur singulière contre cette grande gueule d’architecte genevois.

Les patronymes de l’équipe suisse ne sont pas ceux de la tradition dont il se réclame, mais la magie du ballon propose une trêve à son racisme ordinaire. Il sait bien que les joueurs de Sion ne sont pas ses premiers cousins du côté d’Hérémence. Pourtant il en parle avec l’affection qu’il réserve à ses proches, ceux du clan.

Dans sa bagnole rutilante, sa fierté helvétique est vraie, mais elle ne pèse rien ; ou plutôt, elle est insignifiante si on la compare au socle massif de son racisme imbécile.

On peut être pour le multiculturalisme de son équipe de foot et traiter de sale nègre le joueur d’en face. On peut applaudir à l’infini un Africain zürichois et jeter des bananes aux Africains bleus-blancs-rouges. Et surtout on peut se battre comme de vrais crétins pour des insultes symétriques à celles de l’adversaire.

Hier, il y a eu un drame hyperbolique à la garderie, dans le groupe des trotteurs. Autour du bac à sable, Anastasie, 2 ans, a mordu Gédéon, à peine plus âgé. Le bras de ce dernier porte encore la marque des incisives supérieures et inférieures d’Anastasie dont la dentition frise la perfection. Les mères de la mordeuse et du mordu se tiennent un peu raides près de l’éducatrice. Quand je fais remarquer, alors que personne ne me demandait mon avis, qu’environ un milliard et deux cent soixante millions de téléspectateurs ont vu un adulte en mordre un autre pendant un match, il y a un minuscule silence. L’éducatrice, intelligente et cultivée, précise alors d’une voix douce que le bac à sable est un espace du vivre ensemble, ce qui n’est pas vraiment le cas des terrains de foot. Les mères sourient. Gédéon et Anastasie mènent leur vie d’enfants, ils échangent des trucs pour se quitter aujourd’hui et se retrouver après-demain. L’essentiel est dans la petite enfance.

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