(Par BEATRICE RIAND)
Que pensent les Catalans de la décision du Tribunal Constitutionnel, qui suspend avec effet immédiat la loi de consultation non référendaire et le décret de convocation à la consultation ?
Hier, l’ANC, par sa présidente, Carme Forcadell, a lancé un appel à tous les Catalans, afin de les inviter à protester publiquement contre cette décision.
Hier, donc, et sous la pluie, des milliers de Catalans se sont rendus devant les mairies de leur municipalité (il y en a 947 dans le pays) afin de manifester, encore et toujours, leur ferme intention de vouloir se prononcer démocratiquement sur le futur politique de leur pays.
Hier, devant la mairie de Barcelone, sur la Place San Jaume, retentissaient les clameurs de la foule qui réclament de pouvoir voter, qui réclament l’indépendance. Une foule bigarrée, abritée sous les parapluies, mais qui entonne avec ferveur le chant national, Els Segadors.
Oui, « que tremble l’ennemi » !
Parce que le Catalan ne renoncera pas.
Parce que la rue ne reculera pas.
Parce que le gouvernement catalan n’a pas le choix.
A chaque acte agressif posé par le gouvernement espagnol, qui s’entête à refuser tout dialogue constructif, qui persiste à multiplier les menaces et les interdictions, la Catalogne voit un nouvel indépendantiste rejoindre les rangs de la rebellion.
Et voilà que nous entrons dans l’inconnu. Voilà que nous ignorons ce qu’il peut advenir de ce conflit qui ne cesse de s’éterniser et de prendre de l’ampleur.
La situation est maintenant explosive.
Et cela d’autant plus que le même jour, les Catalans apprenaient que l’Etat espagnol restreint encore la part qu’ils reçoivent de l’Etat fédéral, et ceci dans le pourcentage le plus bas depuis 17 ans, faisant ainsi de cette région autonome, la plus pénalisée d’entre toutes. Alors que la Catalogne apporte un 18,8 % au PIB espagnol, elle n’en percevra que 9,5 %.
Et cela d’autant plus que le même jour, les Catalans voyaient leur Président, Artur Mas, menacé par le Ministre des Affaires Etrangères : la Catalogne, de par son attitude actuelle, risque de perdre sa « situation privilégiée ». Qui l’envie, franchement, alors qu’elle est pressurisée financièrement comme ne l’a jamais été une colonie ?
Mais je m’égare, le sieur Margallo ne fait pas allusion à sa situation économique, non, voyons … il s’aventure dans le terrain glissant des droits et des libertés fondamentales. A ses yeux, et je le cite dans une interview qu’il a accordée aux journalistes à la sortie du Forum de la Nouvelle Economie (cf ABC.es) : « J’espère, qu’Artur Mas ne veut pas que la Catalogne recule et perde une situation de privilèges comme celle qu’elle a connue durant ces années de récupération des libertés, de prospérité et de pleine reconnaissance des caractéristiques de l’identité du peuple catalan ».
On croit rêver.
Si j’en crois ce Monsieur, la Catalogne risque de perdre une situation de « privilèges » : donc elle n’a pas droit aux libertés, mais l’Espagne les lui concède très gracieusement ? La Catalogne serait donc une zone de non-droit, soumise aux caprices d’une république bananière ?
Si j’en crois ce Monsieur, la Catalogne a récupéré sa liberté ? Alors qui l’empêche de voter ? Et aujourd’hui, cette « liberté » serait menacée parce que le peuple catalan demande à exercer un droit démocratique fondamental : obtenir un libre accès aux urnes ? Ainsi donc, la liberté n’est pas, ne naît pas mais ne s’octroie que partiellement et peut en tout temps être restreinte ? A quand l’instauration d’un couvre-feu ? A quand les tanks ?
Si j’en crois ce Monsieur, la Catalogne est aujourd’hui prospère ? Alors qu’elle est lourdement endettée, parce qu’on exige trop d’elle ? Alors qu’elle doit fermer des écoles, des hôpitaux et ne peut plus garantir ce qui lui tient le plus à cœur, un Etat de bien-être social ? Alors qu’elle ne peut qu’assister, impuissante, à un incroyable cafouillage dans la gestion des fonds publics ?
Si j’en crois ce Monsieur, la Catalogne est respectée dans sa différence ? Alors que la loi Werth (décembre 2013) empiète gravement sur ses prérogatives de région autonome et s’attaque à son modèle d’immersion linguistique ? Alors que de parfaits monolingues empêchent des bilingues de continuer dans une voie qui depuis 30 ans assure aux élèves catalans une moyenne en espagnol supérieure à la moyenne nationale ?
Bienvenue en Espagne … le pays des contre-vérités.
Bienvenue au sein de l’hypocrisie ibère.
Dans cette ambiance pour le moins délétère, le Catalan résiste avec ironie.
Hier, mardi, débutait une nouvelle campagne de protestation … et depuis apparaissent, au détour d’une rue ou dans un carrefour, des urnes mises en cage.
Ils veulent décider.
Ils sont de plus en plus nombreux.
Mais qu’espère donc l’Espagne ?
Rien ne les arrêtera.