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Billet de blog 1 octobre 2017

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Catalogne : brutale répression policière de la part de l’Espagne !

Le 1er octobre 2017, ce jour où l'Espagne a définitivement perdu la Catalogne.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

(PAR BEATRICE RIAND)

L’image de l’Espagne ne sera jamais plus la même.

Cette Espagne que l’Union Européenne espérait désespérément démocratique devra rendre des comptes. L’affaire devait rester interne, nous répétait-on avec insistance. Oui, mais aujourd’hui l’Europe autorisera-t-elle une telle répression envers des citoyens pacifiques ? L’ONU a pris parti, qui condamne.

Cette Espagne dont la vice-présidente scande avec fermeté qu’en Catalogne il n’y a pas eu de référendum, que cette « farce » ne mène à nulle part. Que le gouvernement catalan est irresponsable. Que ce scrutin est une « honte pour les Catalans » … mais qu’aujourd’hui, oui, la démocratie a triomphé. Que l’état de droit est bien là, en Espagne.

Cette Espagne qui loue les actions menées par ses polices, dont l’objectif était de confisquer des urnes. Des actions mesurées, proportionnées.

Sur quelle planète vivent donc ces Ibères ?

Ce dimanche, à six heures du matin, nous avions rendez-vous avec Miquel de Palol, écrivain, et son fils, scénariste. La rue était bondée. Il y avait des personnes de tout âge : une jolie gamine sur les épaules de son père comme des couples dont le total des années cumulées devaient bien tutoyer les deux siècles.

Nous avons atteint par miracle la porte d’entrée et avons pu échanger avec les organisateurs. Les politiciens qui se détournent de ce référendum en affirmant, hier comme aujourd’hui, que le gouvernement catalan est irresponsable de manipuler ainsi sa population et d’ainsi la diviser autour d’une question qui ne serait qu’une manière de dissimuler d’autres problèmes, se trompent gravement. C’est bien un mouvement qui vient du peuple catalan, et non une minorité qui viole les droits des Catalans (selon le gouvernement espagnol).

Nous y étions : 102, Carrer del Bruc. La foule est compacte, et joyeuse. Qui applaudit lorsqu’arrivent les urnes, ou les personnes chargées de la bonne tenue du scrutin électoral. Qui accueille avec joie les observateurs internationaux. Une foule qui attend dans le calme depuis des heures pour célébrer la démocratie en votant.

C’est une foule compacte, mais disciplinée. Qui passe d’un joyeux brouhaha, entre embrassades et salutations, à un silence immédiat quand un responsable prend la parole. A côté, tout proche, il y a le Carrer Ramon Llull : la Guardia Civil a chargé. Les instructions sont aussitôt données : conserver son calme, empêcher la police militaire d’entrer grâce à un mur humain, et si elle entre, l’empêcher de sortir. Bloquer la porte, s’assoir par terre. Ne pas répondre à la violence. Conserver cet esprit qui a été celui des Catalans depuis le début du processus : pacifisme et respect.

Personne ne se plaint, alors qu’il fait frais et qu’il pleut. Alors que l’attente est longue, et encore plus longue la file qui serpente autour des bâtiments. Un bistrot du coin propose une toile plastifiée pour éviter la pluie. C’est l’Espagne qui pleure, alors que la Catalogne s’échange des cookies au chocolat (délicieux) et des biscuits.

A l’intérieur, tout est installé. Décision est alors prise de faire voter en premier les personnes âgées ou handicapées, qui tiennent comme elles peuvent, debout depuis des heures. La foule s’ouvre, elles entrent. Votent. Et ressortent, avec bien souvent l’œil humide. Un vieux monsieur me confie que ce mouvement est irrépressible. Un autre qu’il attend cela depuis septante ans.

J’échange quelques mots avec un journaliste français, à qui je demande pourquoi tous les reportages qui émanent des médias de ce pays ne tiennent pas compte de l’œillère qui est la leur, une centralisation si bien ingérée et digérée qu’elle en devient indétectable, mais fausse leur angle de vue. Pour un Suisse, le scandale c’est l’interdiction de vote, et les responsables les Espagnols. Pour un Français, l’inimaginable c’est la fracture d’un pays, et les coupables les Catalans. Il veut m’interviewer, nous sommes bientôt séparés. Il faut espérer qu’il n’oubliera pas cette brève conversation dans son compte-rendu.

Mais bientôt la tension traverse la foule : l’on dit qu’il y a des policiers infiltrés. Mon voisin ressemble à un policier : il en a la carrure, la coupe de cheveux et peut-être même l’attitude. Une responsable lui demande de s’identifier. La foule lui fait face. Je suis juste derrière … il réagit calmement : donne sa carte d’identité, une personne de référence. Un coup de téléphone, et bientôt la tension baisse : la responsable lui présente des excuses, la foule l’applaudit. Il crie : « je suis pompier, et les pompiers seront toujours avec vous ! ».

Il est vrai qu’il y a quelques jours ils ont fait une manifestation de soutien au référendum, à Barcelone : sur les toits, ils disaient leur désir de voter, « Votarem » ! Ce « Votarem » qui traverse sporadiquement la foule, qui ainsi se donne du courage. Plus tard, j’apprendrai que certains pompiers de Barcelone ont fait un « cordon sanitaire » autour d’un bâtiment, pour protéger les urnes. Il y aura aussi des tracteurs, et même des barricades. La foule ne renonce pas.

On nous demande alors d’éteindre nos portables : le système informatique est incapable de fonctionner. Soit la concentration des portables pose problème, soit le gouvernement espagnol a réussi à le collapser. Il est vrai que l’outil informatique a été une arme dans ce face-à-face entre deux gouvernements : Madrid a réussi à imposer sa loi à Google, Madrid aurait – comme autrefois – créé de multiples problèmes par cette voie, notamment en ce qui concerne le vote des Catalans de l’étranger.

Barcelone avait face à elle un adversaire bien organisé. Capable de dépenser 300’000 euros par jour pour les vaisseaux-dortoirs de ses polices. Capable de confisquer le matériel de vote et les urnes. Barcelone a dû se montrer ingénieuse : face à la menace, elle crée un cens universel qui autorise désormais les Catalans à voter partout dans le pays ; ainsi, si un centre de vote est fermé, il peut aussitôt se rendre dans un autre. Barcelone a réimprimé les bulletins de vote, mais n’a pas eu le temps de refaire les enveloppes : pas grave, le bulletin de vote doit être présenté plié pour préserver le secret. Madrid menace de très lourdes sanctions financières l’organisme légal de la Catalogne en charge de l’organisation du scrutin : pas grave, il démissionne en bloc ; le gros du travail est fait, les protocoles approuvés. Le Col-lectiu Praga prend le relais et personne n’ira remettre en question leur légitimité : il s’agit en effet de juristes liés au monde universitaire, dont l’objectif est de contribuer avec des arguments juridiques dans le débat sur le droit à décider.

L’image de l’Espagne aujourd’hui ne sera plus jamais celle d’hier. Parce qu’en ce dimanche, les forces de l’ordre ont foncé sur une foule pacifique, assise dans un mouvement de résistance passive. Ils ont escaladé cette frêle barricade humaine. En ont déplacé les divers éléments à coups de gifles. Ils ont tiré les cheveux de personnes âges, ou d’enfants. Cassé trois doigts à une femme. Tiré encore sur la foule avec des balles en plastique pourtant interdites en Catalogne depuis 2013.

A 15h30, le bilan est déjà lourd : 337 blessés, plusieurs personnes détenues pour désobéissance civile. Et tout cela pourquoi ?

Les bureaux de vote que la Guardia Civil a fermé ont réouvert leurs  portes, encore. Les urnes confisquées n’étaient pas toujours les bonnes (ah, l’esprit catalan qui dispose des pièges : les vraies ont été cachées). D’autres ont réapparu. La foule dispersée par la force est revenue. Le système informatique de vote s’est stabilisé et fonctionne désormais normalement.

En Catalogne, on continue de voter, coûte que coûte. Parce qu’il s’agit d’un droit fondamental, aujourd’hui violé de la plus honteuse des façons. Parce que cette nation a des droits qu’elle entend faire respecter, dont le droit à l’autodétermination. Mais aussi parce qu’il s’agit maintenant de dignité : on n’oubliera pas de sitôt ces véhicules de la Guardia Civil qui quittent leurs garages pour se diriger vers la Catalogne, entourés d’une foule haineuse, qui hurle : « A por ellos ! ».

Ici, on ne pardonnera pas plus ce qui s’est passé durant cette journée et cette « brutalité policière injustifiée », comme la qualifie le Président Carles Puigdemont. On n’oubliera pas les victimes. Et le traumatisme.

Aujourd’hui, l’Espagne a pris les armes contre une population qu’elle revendique comme sienne, et ainsi a perdu définitivement la Catalogne. L’Espagne, comme autrefois l’Angleterre dans un autre siècle, n’a pas compris que la Catalogne aujourd’hui comme autrefois l’Inde, est entrée dans la désobéissance civile. La Catalogne a choisi la Catalogne, et obéit maintenant aux ordres des siens.

L’Espagne a démontré de la plus honteuse des façons le peu de qualité démocratique qui caractérise son régime. Une campagne absolue de désinformation, accompagnée d’intimidations de journalistes. Le silence d’un roi dont le père a été installé sur le trône par un dictateur sanglant, les singeries d’un président qui ne sait que répéter la même litanie depuis bientôt sept ans. La brutalité d’un royaume qui se pense encore en puissance conquérante, l’ignorance d’un pays qui ne réalise toujours pas la gravité de la fracture qui le divise. Et elle l’a fait dans la plus parfaite des tranquillités, sans honte aucune, mais comment s’étonner alors qu’elle autorise une Fondation Franco.

« Je ne suis pas un criminel, je veux seulement voter », me disait Ramon hier. Aujourd’hui, les Catalans peuvent exiger de l’Union Européenne qu’elle applique l’article 7 de son traité. Elle a déjà adopté une résolution en vue du lancement de cette procédure le 17 mai 2017 contre la Hongrie. Et en a menacé la Pologne.

Pourquoi pas l’Espagne, qui a blessé aujourd’hui 337 de ses concitoyens ?

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