(Par Jacques Kühni)
La Bretagne de Brocéliande et de Carnac a des magies immémoriales. Il n’y pleut pas tellement, l’océan y est encore vivant et pas si froid. Belle-Ile-En-Mer est pleine de rêves, le monde y est presqu’infini, tandis que les maisons de pierre ont résisté aux tempêtes hivernales. Du temps où nous allions à la mer, ces mille kilomètres ne duraient qu’une nuit si facile. Des fées amoureuses ou meurtrières, des mégalithes comme tombés des étoiles, des marées mystérieuses, des vagues, des embruns et pas de montagnes pour obstruer l’horizon.
Le monde était un peu autre, pour un mois d’été.
C’est vrai que déjà nous buttions sur des étrangetés ; pourquoi, dans cette contrée dite des mille fontaines, ne pouvions-nous pas boire l’eau du robinet ? Parce que l’élevage intensif des porcs produisait des torrents de lisier qui polluaient allègrement toutes les sources. A Ploërmel, entre deux galettes, nous entendions parfois des ouvrières d’Yves Rocher qui ne le prenaient pas un ami des femmes. L’eau était imbuvable au pays des fontaines et les magiciennes n’avaient pas eu raison des exploiteurs.
Aujourd’hui, les bonnets rouges veulent sauver leurs boulots d’éleveurs et d’abatteurs, ils ont ces airs de révoltés que j’aime bien d’habitude. Ils brûlent des instruments du contrôle d’Etat, ils chantent les vertus d’un régionalisme qui apporterait bonheur et prospérité.
Sauf que…
Leurs porcs et leurs poulets ont définitivement salopé l’eau. Les Bretons ressemblent aux Valaisans dans leurs complaintes régionales, ils vivent largement des subventions de la République ou de la Confédération, ils se définissent comme des insoumis, alors que l’on sait leur degré de conservatisme. Si Mélenchon habitait Sion, il dirait aussi qu’ici les esclaves ont manifesté pour leurs patrons. Sauf qu’à Sion on ne manifeste presque pas.
La comparaison est abusive, parce qu’en Bretagne il y a des villes rouges. Parce que Rennes est une ville universitaire qui produit de l’intelligence critique et qui soutient « Les Tombées de la Nuit ». Parce que Carhaix est le fief des « Vieilles Charrues » et que, même si son maire est couillonné par Bolloré, c’est une ville capable de solidarité et de lutte. Une ville qui sauve sa maternité en se foutant de la gueule des CRS. Les Bretons finiront par distinguer le rouge-réac du rouge-révolte. En Valais on continuera à prendre du brun pour ce qu’il n’est pas.