Personne ne sait à quelle sauce épicée va être déglutinée la banque suisse. Ce porcelet savoureux doit simplement admettre aujourd’hui que le Département de justice américain veut l’embrocher et le décortiquer avec force ketchup, mayonnaise et épices chinoises. Dont acte.
Qu’une banque – même suisse – soit complice de fraude fiscale et qu’elle puisse de ce fait avoir à assumer ses responsabilités et ses faisanderies, personne ne saurait s’en offusquer outre-mesure. Les bons fils libéraux, radicaux ou conservateurs, admettront sans être trop contraints que le principe de la responsabilité incorpore celui du devoir d’indemnisation lié à l’illicéité d’un acte pénalement répréhensible. Le mauvais garnement pris la main dans le sac sait qu’il devra restituer les grenouilles au coca chapardées dans l’épicerie de son quartier et assumer une punition. Donc personne ne plaindra la Banque Cantonale de Zürich, ni celle de Bâle-Ville, de se retrouver dans le collimateur de la justice fédérale américaine. Cela dit, c’est nous prendre pour de sirupeux crétins que de penser qu’on acceptera, nous citoyens de l’Helvétie, de payer la charge fiscale due aux Etats-Unis par des contribuables qui voulaient truander leur propre Etat à travers une optimisation fiscale illégale. Que l’auteur de l’acte criminel, pour cacher son délicieux magot, ait dû emprunter les réseaux organisés par une banque suisse, on veut bien l’admettre. Mais le mauvais payeur, le mauvais citoyen, l’olibrius mesquin qui ne veut pas que son argent finance l’état dispendieux américain, c’est tout de même le citoyen américain. Et non la banque suisse, aussi scélérate soit-elle.
Avant d’être dévoré tout cru, n’importe quel banquier diligent voudra savoir si les fonds en dollars versés sur des comptes en Suisse par des citoyens américains sont des fonds défiscalisés, des fonds blanchis (oh horreur, que nenni, impossible !, puisque le contrôle bancaire est toujours excellent dans notre pays !) ou des fonds tout simplement propres. Avant de verser une obole (on parle tout de même de 40 % de taxe confiscatoire !), le banquier scrupuleux voudra connaître si cet argent a été ou non déclaré aux Etats-Unis, si cet argent a fait l’objet d’une imposition sur le revenu ou/et sur la fortune dans un autre pays, si cet argent mérite d’être saisi du fait de l’existence d’un acte pénalement répréhensible. Mais, bon sang, pour quelle raison un banquier, fut-il suisse, devrait-il payer une taxe de 40 % sur des fonds versés en Suisse par des citoyens américains, sans même savoir si cet argent a été régulièrement acquis, si cet argent a fait l’objet ou non de prélèvements fiscaux, si cet argent a été ultérieurement ou non annoncé au fisc américain, si ce contribuable a fait ou non l’objet d’une taxation aux Etats-Unis, etc. Même le juriste le plus naïf sait qu’aucun responsable bancaire n’acceptera de payer des indemnités confiscatoires pour le seul plaisir de plaire au gendarme du monde. Dire oui à de telles pratiques, c’est admettre au vu et au su de tout le monde que la Suisse accepte le racket, que la Suisse accepte que le racketteur soit américain et que l’Amérique est légitimée à accepter ce rôle de bankster (gangster financier).
A ce jour, aucun membre du parlement fédéral n’a connaissance du nombre de contribuables américains défiscalisés ayant ouvert à fin d’optimisation fiscale un compte bancaire dans un établissement suisse, ayant son siège ou sa succursale en Suisse.
Dussions-nous accepter que chaque dollar versé en Suisse lors des dix dernières années serait à assimiler à de la fraude fiscale, encore conviendrait-il de savoir si ces fonds, lorsqu’ils sont sortis de Suisse, n’0nt pas, d’une manière ou d’une autre, fait l’objet d’un traitement fiscal par les Etats-Unis d’Amérique.
La banque suisse a certes failli, la banque suisse a certes été cupide et avide, la banque suisse a certes organisé de plusieurs manières l’éloignement des fonds américains de zones territoriales à risques fiscaux; il n’en demeure pas moins que la banque suisse n’est pas le contribuable criminel d’Amérique qui a voulu – volontairement, sciemment et en parfaite connaissance de cause – enfreindre les lois fiscales de son pays. Cet acte criminel est à distinguer très clairement des moyens complices mis en place par les banques pour satisfaire cette riche clientèle.
La Suisse ne saurait tout de même admettre que chaque contribuable américain ayant ouvert un compte en Suisse puisse de ce seul fait bénéficier des largesses de l’Etat américain. Brad Birkenfeld a été grassement et dans l’immoralité la plus absolue indemnisé par les Etats-Unis. La Suisse ne peut pas accepter que chaque contribuable américain puisse, en dénonçant un établissement bancaire suisse, bénéficier de manière directe ou indirecte de remises fiscales ou de réductions des amendes fiscales. Dans le même contexte, les amendes perçues par le fisc américain auprès des contribuables américains ne saurait avoir pour effet d’amender encore plus les banques suisses coupables d’avoir contribué à cette « optimisation fiscale » (on voit ici les limites du vocabulaire, tout fiscaliste devant admettre que ses clients ont pu être de fieffés escrocs !), qu’ils ont assisté, le sachant et le voulant, contre de gracieux honoraires.
Dans ce monde de gangsters, il devient impossible de distinguer les coquins des fripons, les voleurs des receleurs, les menteurs des diseurs de boniment, les chapardeurs des fouineurs de bas étage. Le citoyen suisse, qui a toujours payé ses impôts, qui a annoncé ses gains les plus insolites, qui été inspecté et tourneboulé dans tous les sens par un inspecteur du fisc, n’est pas en état d’accepter que ses parlementaires lui proposent de sauver ses banques friponnes, ses banquiers truqueurs et ses financiers baragouineurs sans autre possibilité que d’admirer ce coup de Jarnac qui fera des banksters suisses presque des héros nationaux (vous vous rendez compte, avoir presque roulé dans la farine les Etats-Unis d’Amérique !).
Post Scriptum : Et une procureure de la Confédération, nous apprend Le Matin Dimanche, est engagée par BNP Paribas ! C’est pas beau ça !