François Hollande, lit-on souvent dans les gazettes, a l’art de l’ironie, du bon mot et de l’impertinence choisie. Il manie ainsi le calembour, la plaisanterie, la moquerie avec ce talent endimanché et gauche, cette facétie vénéneuse et couverte de civilité et cet art du bon goût dévoyé qui lui a permis de faire sourire, de séduire et de conquérir l’Elysée. Avec cette bonne dose de vacheries ouatées qui l’ont fait slalomer entre les courants du parti socialiste, sans jamais en choisir un, et avec en mains quelques diplômes de hautes écoles du pays et des amis bien choisis ici et là, et toujours en virevoltant avec comme dague sa langue élucubrissante et sa cravate pas toujours bien dirigée, Hollande a battu Sarkozy et dirige la France.
Juan Evo Morales est trempé dans une autre chair. Issu d’une famille de paysans amérindiens, il a choisi pour lutter contre l’injustice la politique et la lutte syndicale. Figure reconnue du mouvement des cocaleros, le 18 décembre 2005, il devient le premier Aymara à accéder à la fonction de président de la Bolivie. En 2008, il expulse l’ambassadeur américain Philipp Goldberg et la DEA, l’accusant d’espionnage et d’opérations de déstabilisation contre son régime. Dans le triangle formé par Cuba, le Venezuela et la Bolivie, il devient l’une des forces sachant un peu s’opposer à l’impérialisme de l’Amérique.
Evo Morales, est arrivé ce mercredi 3 juillet au soir en Bolivie, après une escale forcée à Vienne. Le président a atterri à l’aéroport d’El Alto, près de La Paz, à environ 3 h 39 (heure de Paris), soit dix-sept heures après son départ de Vienne où il a fait escale mardi 3 juillet, dans un incident lié à l’informaticien américain en fuite Edward Snowden. Les pays européens, la France, l’Italie, le Portugal, lui ont refusé l’accès à leur espace aérien. Ces braves serviles des USA craignaient la présence à l’intérieur de l’avion présidentiel du lanceur d’alerte américain.
Au moment même où l’on apprend, de certitude absolue, que les Etats-Unis d’Amérique ont espionné à grande échelle les institutions politiques européennes, François Hollande, la France, l’Europe, avaient à disposition un symbole magnifique pour contrer la prédominance de l’administration Obama à travers le monde. Un acte fort de la France, accueillant Snowden en qualité de réfugié politique, expliquant les raisons du choix, démontrant les causes de cette décision, faisant observer au monde qu’une telle hégémonie hors de tout droit devenait insupportable, eût donné un élan magnifique à la force de la France dans le monde et peut-être à un renouveau vaillant d’une vraie démocratie.
Mis sous pression par la diplomatie américaine, François Hollande, au nom de la République française, a choisi la route de la vassalité, de la compromission contre les droits démocratiques et contre des principes constitutionnels essentiels.
L’Amérique latine, la Bolivie, sont indignées, offensées, par ce manque évident de respect. « Le président (…) est séquestré en Europe par l’impérialisme. Le mensonge proféré par l’impérialisme (…) a séquestré la vérité, la dignité des peuples ; les puissances étrangères, comme ils le firent il y a 500 ans, agressent et maltraitent le peuple bolivien, et offensent le premier président indien d’Amérique latine », a déclaré Alvaro Garcia, le vice-président bolivien. Avant d’accuser, dans le journal El Deber, « une séquestration impérialiste (…) dirigée par le gouvernement américainAu lieu d’accorder l’asile politique à la personne qui lui a permis de découvrir qu’elle était victime d’espionnage hostile, l’Europe, en particulier la France, n’hésite pas à créer une grave crise diplomatique dans le but de livrer Edward Snowden aux Etats-Unis.
Comme l’écrit Salim Lamrani, sur le site du Centre de rechercher sur la mondialisation, cette affaire illustre que l’Union européenne est, certes, une puissance économique, mais un nain politique et diplomatique incapable d’adopter une posture indépendante vis-à-vis des Etats-Unis.
Victime d’actes graves d’espionnage hostile, la France et l’Europe, ont manqué de courage, de détermination, et n’ont pas hésité à créer une crise diplomatique dans le but de livrer Edward Snowden aux Etats-Unis.
Aucun trait d’humour, aucun mot d’esprit, aucune échappatoire langagière ne permettront à François Hollande d’apparaître une fois encore autre chose qu’un homme dans un habit de soirée trop ample non adapté à sa personne et à son être.
L’escale forcée de Vienne, après son séjour à Moscou, a consolidé la position mondiale de Evo Moralès, dont les prochains pas devront être observés avec une grande attention. La marque du courage y imprégnera son sceau. François Hollande, cet homme qui a une grande aptitude à ne pas tenir ses promesses et un savoir-faire évident dans l’art de ne jamais décider, tentera lui dans le désespoir de l’ironie d’oublier ce qui sera à jamais une profonde défaite de la démocratie européenne.
La France de la démocratie et des droits de l’homme saura lui rappeler cette faute majeure.