Les parlementaires fédéraux sont convoqués cette semaine en assemblée plénière ou au sein de commissions. On peut penser qu’ils ont lu le Message relatif à la loi fédérale sur des mesures visant à faciliter le règlement du différend fiscal entre les banques suisses et les Etats-Unis d’Amérique (on n’est pas tout à fait certain de la chose dans la mesure où l’accès au site est loin d’être efficace, alors même qu’il s’agit d’une question vitale pour l’avenir du pays, nous dit-on : http://www.efd.admin.ch/dokumentation/gesetzgebung/00570/02724/index.html?lang=fr). Les parlementaires qui n’ont pas eu accès à ce document que l’on dit capital auront peut-être lu la note de synthèse. Et puis, peut-être, ne sait-on jamais, quelques conseillers nationaux et quelques conseillers aux Etats n’auront pas eu le temps de lire cette charmante littérature. Il faut ici les rassurer : connaître cette documentation ne sert strictement à rien. Plus gentiment dit : à pas grand-chose face aux enjeux colossaux de la chose.
On distille ça et là quelques informations, du tout-venant, qui ne permettent à personne de dire oui, de dire non. de dire quoi que ce soit d’un brin sérieux. De la poudre de perlinpinpin, du savon marseillais ou du shampoing bon marché. En tous les cas pas une information complète digne des enjeux pour la Suisse.
Et, dans l’urgence scélérate, on va faire croire à tout le pays que des informations confidentielles, glissées peut-être au pied d’un banc d’église au petit matin dans la poche d’un élu pieux, auront suffi à nos sages parlementaires à guider le pays vers un mieux-agir des banques dans le viseur des Etats-Unis d’Amérique.
On veut ici clairement ne pas débattre, ne pas transmettre la vérité des faits aux citoyens, ne pas permettre aux conseillers nationaux et aux conseillers aux Etats de se forger une opinion éclairée sur la base de tous les faits pertinents et d’affirmer vers le pays un avis limpide et autorisé.
Si la transparence ne vous fait pas trop peur, vous aurez bien de la peine à comprendre aussi ce paragraphe proprement hallucinant pour qui voudrait en faire l’exégèse : « Le projet de loi adopté par le Conseil fédéral autorise les banques à collaborer avec les autorités américaines et à livrer les renseignements nécessaires pour défendre leurs intérêts. Il s’agit en particulier d’informations sur les relations d’affaires avec des clients américains et sur les personnes impliquées dans les activités des banques concernées aux Etats-Unis. Cette autorisation ne s’applique cependant pas aux données relatives aux clients ni aux informations relatives à des comptes, qui ne peuvent être remises que dans le cadre d’une procédure d’assistance administrative fondée sur une convention en vigueur contre les doubles impositions. » En somme, on peut donner toutes les informations qui nous mèneraient à la pendaison et conserver tous les renseignements qui nous épargneraient ! A moins que ce ne soit le contraire qui ne soit incorporé dans la pensée du rédacteur de ce brillant moment de casuistique administrative ! Et personne n’osera imaginer ce que pourra faire un jour de ce texte sibyllin un juge du Tribunal fédéral soucieux d’articuler correctement la pensée du législatif qui n’aura lui-même rien compris à sa propre législation (ah que c’est beau une interprétation téléologique dans l’après-coup !).
Des informations à la petite semaine on peut glisser sans le savoir à une vraie désinformation. Une désinformation par le silence. Aucune information sérieuse n’est fournie aux parlementaires. On fait croire à des menaces sérieuses que rien ne permet d’identifier au grand jour. On allègue des intentions mauvaises des Américains sans renseigner sur les fautes – sévères ou futiles – qui auraient été celles des établissements bancaires de l’inexpugnable Helvétie. Et le Conseil fédéral balance des mots dont personne ne comprend vraiment le sens : « Si les banques n’étaient pas autorisées à collaborer avec les autorités américaines, il ne serait pas exclu que d’autres enquêtes pénales ou actions en justice soient engagées contre des établissements bancaires. Le climat d’insécurité qui pèse sur la place financière serait maintenu. » Menace voilée, non-exclusion d’un fait juridique hypothétique, absence de certitude affirmée. Le Message du Conseil fédéral est lui-même créateur de ce climat d’insécurité contre lequel seul le »oui » des Chambres fédérales serait l’antidote. Les filouteries à répétition du monde bancaire exigent d’un parlement sérieux une fin de non-recevoir en l’état. Que l’on produise des faits de vérité; que l’on permette des investigations sérieuses; que l’on puisse prendre le temps de réfléchir; que l’on se contraigne à un brin de cohérence intellectuelle.
Serait-ce trop exiger de nos élus ?