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Billet de blog 6 juin 2014

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La justice en souffrance

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une fois de plus, une fois encore, une fois de trop, j’ai commis l’erreur, alors que la journée de hier devait s’achever sur une note joyeuse. de répondre à un dernier appel téléphonique. Le lecteur n’aura pas à savoir qui fut l’homme à l’autre bout du fil; son nom n’est que celui d’un intervenant dans le champ social, institutionnel et familial. En revanche son discours, marqué du sceau du bon sens et d’une solide compassion envers les malheurs d’autrui, devrait nous faire réfléchir : « Je me fais beaucoup de soucis pour l’enfant Pedro (le nom est d’emprunt, mais que le lecteur sache qu’il est le synonyme de celui de beaucoup de justiciables d’ici et d’ailleurs), il est dans une situation de confusion extrême, il croit qu’il va quitter notre pays et rejoindre son parent convaincu d’avoir trouvé son chemin de vie à l’étranger ».

Les séparations sont douloureuses, mais les atermoiements, les indécisions et les tremblements dans les prises de décisions peuvent être délétères.

Ce que j’ai dit à l’assistant social est sans intérêt, mais ce que j’ai écrit au bord de la nuit au magistrat sédunois s’adresse à tous ses collègues, de Navarre à la Rue des Vergers : « Êtes-vous personnellement conscient que l’absence de décision judiciaire dans la durée est un facteur de souffrance pour les justiciables ? ».

Ce cas, bien plus malheureux que certains autres, n’est pourtant que d’une banalité consternante. L’écrivant, je pense à cette magistrate qui promettait un jugement en mars, puis en avril, puis rassurait les parties en indiquant en mai « être en pleine rédaction », puis en juin écrivait qu’elle rédigerait son jugement attendu depuis sept ans en juillet. Un pas de plus, et elle va faire croire qu’elle renonce à ses vacances pour œuvrer pour la justice.

Une justice en souffrance qui n’imagine pas même l’injustice supplémentaire qu’elle provoque en acceptant d’être encore en souffrance devient de par sa propre attitude si peu diligente une institution sans coeur, sans âme, sans esprit et sans intelligence.

Elle confine alors indubitablement au vice, à l’irresponsabilité ou à l’incompétence, sans risque aucun d’avoir à répondre de ses actes.

Si le citoyen connaissait réellement les souffrances procédurales nées de ces dénis multiples de justice commis par l’institution qu’elle vénère encore, il soutiendrait jusque dans la rue ceux qui prônent sans crainte une révolution institutionnelle.

Le « saucissonnage » des responsabilités a cet effet apaisant pour les juges qu’ils (elles) peuvent se dire à eux-mêmes que les féries législatives ont leur source dans la loi. Et peut-être qu’au café ce matin, en croquant leur croissant, béniront-ils – béniront-elles – en leur for intérieur d’avoir été choisi(e)s par cette vocation particulière qui ne permet plus à quiconque de distinguer l’inextinguible paresse de la difficulté inhumaine à envisager le métier de juge.

Le refus d’exercer son métier peut même parfois être scandaleux, honteux ou criminel.

Post Scriptum : Je l’accorde volontiers à ceux qui me liraient depuis longtemps, le menuisier peut n’avoir pas l’aptitude à exercer son métier et s’emparer avec aisance de son marteau, de le chirurgien n’avoir pas l’habileté à opérer et utiliser un scalpel chaque matin.

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