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Billet de blog 7 janvier 2014

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Les Pauv'Types

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

(Par FABIEN SPINA)

Même l’ennui t’ennuie, pauv’ type. Tu dors la nuit et le jour comme un vieil ours qui hiberne. Le poil brun et en pétard, tu roupilles sur tes flancs. Le temps file comme un train à vive allure sur l’autoroute des rêves fatigués. Tu cliques et tu claques comme une toupie désarticulée, laissée à la traîne sur la table. Tu voudrais tant ressentir les petites gens, les grandes gens, les longues jambes et les bras grands ouverts. Mais tu restes bloqué dans le crépuscule. Le soleil perché quelque part entre ciel et vagues, entre toi. Y’a que des idées là où tu traînes. Des pensées de révolte. Des mouvements inachevés. Tu balances entre eaux vives et mer morte. Et t’en ris, à pleines dents. Les accents circonflexes te font décoller, la tête la première, sans bouée, Et tu chavires et tu plonges, pauv’type. Mon frère des couchers de soleil.

Servez-nous encore un verre, Madame ! Encore un verre pardi ! Buvons jusqu’à ce que nos gorges regorgent de cendres. Et rions, à cordes déployées, les yeux dans les yeux, Madame ! Faut-il que l’on s’évade dans la fumée des caveaux comme des orchidées ? Y’a pas d’poète ici, Madame ! Juste des pauv’types saouls dans leur essence. La couleur, c’est pour les autres. Pour ces gens qui vivent comme des clous. Y’a pas d’poète, ni d’amant par ici, Madame ! Juste de vieilles planches. La vie chez nous autres est une pluie ruisselante au bord d’un trottoir, Jonchés de vieilles filles maquillées, en bas résille et qui tapent des talons.

La vie chez nous autres, Monsieur, c’est idem et tout pareil que vos boîtes aux lettres. La bouche ouverte à vos colis. À vos enveloppes. Que vous ramassez le soir, la valise suffoquante, Dans vos entrées, dans vos appartements. L’espoir en sus. L’espérance de recevoir encore quelques mots nostalgiques. Comme la ligne d’un chalutier à votre jeunesse. Hissez-nous sur votre tête, Monsieur ! On frappe à votre porte ! Les pauv’types, les amis de verre. Parce que les idées qu’on répand ne sont pas les bonnes. Elles ne servent à rien. Ou plutôt à personne ! Qui voudrait des idées qui ne rendent pas service ! Ces mots qu’on voudrait mettre à la place de vos phrases dans vos palais. Rien ni personne n’en voudrait, Monsieur. Même pas vous, sous votre chapeau.

Encore un verre, Mademoiselle. Ils ne refuseront pas un autre verre, voyez ! Mais les idées… Ah les pensées, comme des nouvelles bougies au pied de vos temples. Dans un courant d’air. Dans le vent. Fugaces et subtiles, mais debout. Brûlantes comme des grandes mains de barbares. Moi aussi, j’ai pris des escaliers tous les matins, tous les soirs. Même pendant le sommeil. Moi aussi, j’ai dit l’absurde comme possédé par une centaine de cravates ! Mais ma tête est encore posée sur son ventre. La poitrine n’est pas loin… encore une guerre ! Faut-il qu’on cherche l’approbation des êtres heureux ? Et mettre la bague sur nos poignets. Mais pour nous, tout glisse, Madame. Comme le chagrin d’un ancien temps qui n’existe pas. Y’a pas de chemin vers nos coeurs, y’a que des embûches et des rigoles béantes. ’Faut pas pleurer, non. C’est pas la peine, on est peinard. L’amour passe parfois. Il file aussi vite qu’une mauvaise grippe qui terrasse les malades. Y’a plein de charniers sous les chemises, tant de carnages en lettres rouges ! Y’a pas de mépris, non, juste des mercis qui s’envolent et qui brillent.

À qui faut-il rendre grâce pour les codes appris par coeur ? Les règles sont faites pour les troupeaux, même les bêtes sauvages n’en veulent pas. Vous penchez-vous quand ils parlent en votre nom ? Baissez-vous la tête, les cheveux dans la terre ? Jusqu’où pouvez-vous plier ? On rejette jusqu’à la naissance d’une inspiration commune. L’imagination n’est pas une propriété privée, mais une pelouse qu’on peut fouler, Même avec des bottes militaires et une danse rythmée au chant des canons. Y’a pas de propriété privée ici, chez nous, les pauv’types, non ! Juste de la boue qui salit et qui croche même sous les souliers des matons.

La bouteille est vide. On tire une dernière cigarette et puis partons ! On va se laisser comme ça, seuls, dans la brume d’un lendemain docile. La rue nous appelle. Elle susurre nos voix dans vos lits drapés de blanc. Écoutez… La taverne se tait doucement. La nuit se rompt et crisse au loin. Retournez dans votre maison, Monsieur ! Votre dame s’impatiente. Elle a rit un peu. Elle a même mouillé ses yeux tout à l’heure. Des perles sont apparues sur son visage. On est des pauv’types. On a parlé trop tôt et trop peu.

Il fallait se taire. Ou cracher.

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