Nicolas Pictet s’est exprimé devant les membres de l’Association des banquiers privés suisses. Il n’a donc rien dit. Être banquier, fondamentalement, c’est savoir parler et ne rien dire. Donc, sans savoir trop bien parler, Nicolas Pictet sait ne rien dire. Il a donc dit qu’il voulait que le problème auquel sa banque était confrontée devait rapidement se régler. C’est pas beau ça, vous avez un léger souci, vous vous exprimer devant les vôtres, qui pensent tous comme vous, vous buvez un petit cocktail, aux fruits de saison, légèrement sucré, pas trop faut garder la ligne, et votre légère angoisse poitrinaire est résolue. Par la grâce du Parlement fédéral si attaché à défendre ces valeurs huguenotes et libérales.
Oh le puritain banquier aurait sans doute souhaité un autre territoire de jeu. Mais l’heure est grave. Alors faut y aller, rafler des voix, convaincre en ne disant rien, faire semblant que le bien public est la cible, éviter de se morfondre, bien nouer sa cravate, et savoir que sa langue peut sauver tout un peuple Le bougre, il est peut- être même convaincu de sa soudaine vocation de bienfaiteur d’une nation. Non, se convaint-il, personne ne pourra penser, après avoir écouté le Genevois, que la finance fiscale est une sorte de sainteté virginale sachant toujours trouver son chemin dans cette jungle hindouiste qu’est la banque de gestion de fortune. Ah Nicolas, vous étiez né pour cette mission. Si, à TF1, j’avais été producteur de Secret Story, j’aurais convaincu le gestionnaire de fortune d’entrer dans l’aventure pour y balancer tous ses secrets. Quoi de mieux pour la fausse transparence que d’adhérer devant tous à Secret Story. Toute l’histoire de la banque y est en germe : jackpot à l’arrivée, mensonges à gogo sur la route, manipulations à tous les étages, baratin pour attirer les mouches et le miel.
Car ces jeux de commissions travailleuses au Palais fédéral à Berne, c’est Secret Story. Mais sans transparence, sans information, sans communication. On imagine Nicolas Pictet pénétrer dans ce lieu saint pour représenter tous les siens. Sa mission, ne rien dire. Son objectif, ne rien dévoiler. Son but, convaincre les conseillers nationaux et les conseillers aux Etats de la gravité de l’attaque américaine qui se prépare. Sa tactique, s’éloigner des faits et conceptualiser le n’importe quoi. Tout un art, je vous le dis, que d’être banquier.
S’aventurer devant ses pairs, ne rien dire, si ce n’est qu’il veut qu’une solution rapide soit trouvée. Ne rien dire et faire croire que son intervention sera à même de réduire en bouillie les derniers opposants. Ne rien dire et convaincre à distance les récalcitrants que le bien du pays impose le sauvetage de Pictet & Compagnies. Des autres aussi puisqu’on me le demande. Surtout ne pas faire de vagues. Surtout affirmer que la voie de la raison, c’est d’accepter le deal américain. Moi, Nicolas, je le connais dans les grandes lignes, ce deal; les autres, ils ont pas besoin de tout savoir; et puis à quoi ça servirait que les sénateurs mettent leur nez dans la mélasse; tout ça c’est déjà bien assez compliqué; qu’on arrête de me poser des questions, car mes réponses seront toujours identiques. Des réponses incluant des non-dits, des réponses de banquier silencieux, des réponses d’amateur de secrets bien gardés, des réponses d’un homme qui sait que moins on en dit mieux on se porte.
Accepter de sourire aux juristes américains, ça permettra de faire des courbettes plus tard et d’éviter trop d’échanges insolites (tiens ça rime avec automatiques) d’informations. Pictet & Compagnies n’aiment pas ce qui se trame, mais ce sera toujours mieux que d’informer les représentants des citoyens; ces parlementaires pourraient eux aussi s’y mettre et poser des questions trop embarrassantes. Non, non, aucun risque, prendre toutes les garanties qu’on me donnera, sourire encore et encore, et puis, en grand seigneur, avaliser envers et contre tout cette proposition venant d’outre-Atlantique. L’avaliser, la ratifier, la bénir, voilà le but de cette grande vadrouille auprès des banquiers amis et des autorités législatives. Peut-être économisera-t-on ainsi quelques millions qui ne viendront pas faire fructifier d’autres dépenses budgétaires inutiles.
Et puis, au fond du fond, tout au fond de la piscine, c’est quand même pas juste, se dit Nicolas, que ma banque puisse être inquiétée pour des actes d’évasion fiscale commis par des clients, des actes qui n’étaient pas même punissables en Suisse jadis, des actes qui ont permis à notre personnel de si bien vivre au bord du Lac Léman. Des actes finalement qui ont fait la fortune de notre pays.
Oh oui, il nous faut une solution rapide; nous autres, banquiers, on va tout de même pas attendre que la justice fasse son travail; tout cela va prendre trop de temps; et le temps, c’est de l’argent. Non, non, agissons vite, faisons semblant de faire fonctionner la démocratie, et chantons en chœur nos propres louanges.
Switzerland is so beautiful quand on comprend comment les banquiers se jouent de nous. « The Swiss banks are simply the best ones in the world ».
C’est trop injuste, on nous en veut d’être les meilleurs. Et depuis si longtemps.
Post Scriptum : Cet article vous paraît trop précis, trop peu limpide, trop transparent, trop obscur, n’hésitez pas, contactez Monsieur Frank Renggli, chez Pictet, il vous donnera toutes les informations idoines pour contrer la subversion qui mine le pays.