STEPHANE RIAND (avatar)

STEPHANE RIAND

Avocat; rédacteur à L'1dex (www.1dex.ch);

Abonné·e de Mediapart

496 Billets

0 Édition

Billet de blog 7 juin 2014

STEPHANE RIAND (avatar)

STEPHANE RIAND

Avocat; rédacteur à L'1dex (www.1dex.ch);

Abonné·e de Mediapart

Le processus d'auto-détermination de la Catalogne en débat à l'Université de Genève

STEPHANE RIAND (avatar)

STEPHANE RIAND

Avocat; rédacteur à L'1dex (www.1dex.ch);

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une table ronde a été organisée ce vendredi 6 juin 2014 à Genève, avec le concours du Temps, de Diplocat  et du Global Studies Institute de l’Université de Genève, sur le thème de l’autodétermination de la Catalogne. Les intervenants n’étaient pas n’importe qui : Francesc Homs, ministre de la Présidence et porte-parole du gouvernement catalan ; la Professeure Mercè Barcelò, de l’Université Autonome de Barcelone, le Professeur Nicolas Levrat, directeur du Global Sudies Institute, et Albert Royo, Secrétaire général du Conseil de Diplomatie Publique de Catalogne.

Ouverture de la conférence

Le professeur Nicolas Levrat a ouvert la conférence en relevant que la demande de la Catalogne n’était probablement pas un phénomène isolé propre à l’Espagne, rappelant notamment l’existence du prochain référendum en Ecosse. La conférence est diffusée en live streaming et sera sur le serveur de l’Université de Genève prochainement (dans les dix jours selon un technicien responsable de plateau).

Diplocat

Albert Royo a signifié la volonté de la Catalogne de faire connaître sa réalité en utilisant tous les moyens contemporains à sa disposition. Il a rappelé le désir de faire partager ce débat sur internet, sur tweeter, sur les médias sociaux, afin d’encourager ce dialogue avec le reste du monde. La Catalogne, a-t-il rappelé, est clairement une nation. Les supporters du FC Barcelone, à la 17ème minute 14 seconde de chaque match, et de chaque mi-temps, participent à ce phénomène en criant pour l’indépendance de leur nation. La Catalogne a passé du désir de fédéralisme à un désir d’indépendance. Il faut permettre à la Catalogne de décider de son avenir, raison pour laquelle un référendum – transformé en une consultation – a été fixé au 9 novembre 2014. Les Catalans exprimeront ainsi leur opinion. Le parlement espagnol ne le veut pas. Dans l’Europe du XXIème siècle, le droit de décider doit pouvoir être exercé librement soutient avec conviction Albert Royo.

Le modérateur

Le journaliste modérateur du Temps Luis Lema a salué la présence d’un nombreux public, qui révèle ainsi une situation bien différente de celle qui aurait existé il y a à peine une dizaine d’années. Si la Catalogne est d’une civilité remarquable, les discours se tendent, parfois de manière douloureuse, et ce dans l’ensemble de l’Espagne. Les relations entre Barcelone et Madrid se sont cristallisées, les partis de droite ne voulant pas se séparer du texte de la constitution, confrontée à une vague indépendantiste sans pareil, selon lui ( !) assimilable à 1789 en France. Le verrou de la Catalogne a sauté : au nationalisme a succédé l’indépendantiste. On est dans un bras de fer incluant une contestation du principe même d’organiser un tel référendum. Louis Lema a fait allusion à la date de l’abdication : la royauté doit être prête à affronter cette « menace indépendantiste ». On est donc dans l’actualité la plus brûlante à l’Espagne, rappelle Luis Lema.

Francesc Homs, le premier conseiller du président Mas

Francesc Homs, introduit par le modérateur, sorte de premier ministre de la Catalogne, nommé par le président Artur Mas, succède au journaliste. Le discours sera à l’évidence différent. Après les remerciements d’usages, le premier conseiller de Artur Mas mentionne que cette année sera l’un des moments les plus importants de son histoire. L’avenir politique de la Catalogne se jouera le 9 novembre 2014. La Catalogne veut dialoguer avec l’Etat espagnol. Il veut expliquer le processus à l’étranger au niveau international. L’exposé est divisé en deux parties : « que faisons-nous et pourquoi ? ». Le premier message est que le processus d’auto-détermination est la réponse à la volonté des forces civiques. Il ne s’agit pas d’une manie de quelques politiciens, ni d’une question conjoncturelle. En mars 2006, seulement 14 % des citoyens voulaient une solution d’indépendance. Ces chiffres ont augmenté depuis 2012, avec une croissance de 30 points en moins de dix ans. Il s’agit d’une demande large et tranversale de la société catalane. La séquence des événements a conduit à ce moment historique. L’actuel président de la Catalogne est le 109ème, ce qui montre la perspective historique. La restauration de la Catalogne précéda d’ailleurs la constitution actuelle de l’Espagne, après 38 ans de régime autoritaire sous le général Franco. Le statut d’autonomie de la Catalogne date de 1979; il a été complété en 2006. Le dernier mot pour reconnaître le statut d’autonomie de la Catalogne n’est pas donné au parlement espagnol, mais au peuple catalan. Mais en 2010 le Tribunal constitutionnel de Madrid déforma le statut d’autonomie. Surgit alors un choc de légitimité au sein de la société catalane. Furent alors organisées de vastes manifestations populaires incluant plus d’un million de personnes. En été 2012 fut nommé un nouveau gouvernement, qui tenta un pacte avec l’Etat espagnol, un pacte fiscal permettant à la Catalogne de gérer ses finances de manière similaire à ce qui était accordé au pays basque et à celui de Navarre. De nouvelles élections furent organisées, avec 68 % de participants. Le thème central fut l’engagement des différentes forces politiques de convoquer une consultation. Le résultat fut net : 107 parlementaires sur 135 députés furent choisis de par leur désir de donner accès au droit de décider du peuple catalan. Un mandat explicite a donc été donné par le peuple catalan au gouvernement. Cette opinion est la conséquence d’un lent et patient processus. Le gouvernement catalan a un mandat clair : l’organisation d’un référendum émanant d’une majorité du peuple de la Catalogne. Les derniers résultats dans le champ européen vont dans le même sens (56, % contre 30 % ; en 2009, les résultats furent juste le contraire). Il faut aujourd’hui connaître clairement la volonté de la majorité des citoyens. La consultation n’équivaut pas à l’indépendance. La Catalogne veut recourir à l’essence de la démocratie : connaître la volonté du peuple. Et comment ce processus est-il développé ? Les mots-clefs : démocratie, respect. Ce processus est vécu en toute civilité et de manière pacifique. La démocratie est la solution, pas le problème, nécessaire pour résoudre les différends. La politique doit être au service de  ce qui est exprimé par un peuple.

Le vote en Catalogne va avoir lieu. Mais l’Espagne dit non à tout. Le gouvernement catalan est en train de préparer une loi pour organiser cette consultation en conformité avec la constitution. Le processus catalan a une vocation positive, pacifique et démocratique. Ce qui se passe en Catalogne n’est pas courant. Les non successifs de l’Espagne ne sont pas acceptables. La Catalogne est convaincue qu’elle aura de meilleures relations après son indépendance avec l’Espagne. Une attitude de respect mutuel sur un pied d’égalité profitera à tous et améliorera les relations entre les deux parties. Le processus engagé sera aussi bon pour l’Espagne. Francesc Homs a impressionné l’assistance par sa fermeté, sa mesure dans les mots choisis, son sens inné de la communication et son désir de faire partager avec tous sa conviction à la justice du processus d’auto-détermination.

Mercè Barcelò ou l’art de la discussion de rang constitutionnel

La professeure Mercè Barcelò exerce son enseignement à l’Université Autonome de Barcelone. Elle rappelle d’emblée que 80 % de la population de Catalogne veut pouvoir s’exprimer sur le sujet de son indépendance. Mais la réponse de l’Etat espagnol est totalement négatif. La demande serait inconstitutionnelle, car la souveraineté appartiendrait au peuple espagnol ; il ne serait pas possible de prévoir une séparation dès l’instant où la nation espagnole serait indissoluble et indivisible. Cette interprétation ne tient pas en compte des autres règles constitutionnelles de la même constitution. L’exercice du droit de décider à se prononcer sur une possible sécession concorde parfaitement avec la constitution espagnole. Le droit de décider est prévu dans la constitution, de par sa fonction même : un Etat est une unité d’oganisation. L’article 2 qui reconnaît le principe d’unité n’exclut nullement une unité dans les autres pays qui vont voter sur des sécessions, par exemple la Constitution canadienne. La démocratie n’est pas seulement de nature procédurale ; est essentiel le respect envers les minoritaires, qui ne doit pas dépendre des parties majoritaires. L’article 92 de la Constitution prévoit d’ailleurs le principe des consultations populaires. De plus, cette constitution n’exclut pas ceux qui pensent différemment. Le Tribunal constitutionnel exclut la démocratie militante, mais n’exclut pas la possibilité de modifier chacun de ses préceptes. N’importe quel objet est donc compatible avec la Constitution, dès l’instant où les principes démocratiques sont respectés. Pourquoi serait-il alors inconstitutionnel d’exprimer une volonté différente dès l’instant où les principes de base sont respectés ? En Espagne, il y a une distinction à faire entre un référendum consultatif et une consultation référendaire. Le référendum consultatif doit être autorisé par l’Etat. Il y a cinq voies différentes pour exercer son droit de décider. Mais que se passerait-il après un référendum positif ? De l’avis de cette professeure, il y aurait alors la voie ouverte pour une Déclaration Universelle d’Indépendance, ce pour ne pas rester indifférent à la volonté populaire exprimant le désir démocratique. Selon dame Barcelò, le Tribunal constitutionnel a confirmé son point de vue quant au droit de décider d’un peuple. Un dialogue ultérieur devra avoir lieu. Mais pour l’Espagne, cet arrêt n’existe pas. Et la professeure Barcelò de conclure avec fermeté : L’Espagne manque de culture démocratique, ce qui explique son positionnement actuel.

Nicolas Levrat prône la réalité d’un angle mort du droit européen

La question catalane est d’essence européenne, aux yeux du professeur Nicolas Levrat, avec des enjeux majeurs pour l’Europe, Tel est le point de départ de l’intervention du professeur Nicolas Levrat. Et la question est alors posée ensuite : y a-t-il un droit pour les peuples à se déterminer ? La question a été résolue pour une population de 50’000 habitants voulant adhérer à la Suède et quitter la Finlande. Les rapporteurs ont dit ceci : on ne peut pas accepter d’être dirigés par le simple désir des citoyens. Il n’y a pas un droit à l’autonomie. Mais, a-t-on écrit, il s’agit d’une question non limitée à la Finlande; c’est une question internationale. La Suède avait rappelé que la Finlande s’était séparée de la Russie par une déclaration unilatérale d’indépendance. Selon les rapporteurs, il y avait un droit naturel de la Finlande, de par sa population, à le faire. Une petite minorité ne peut pas être placée au même degré qu’une nation. Les Iles « finnoises » sont-elles à comparer avec la Catalogne, composée de 7’500’000 habitants, Etat substantiel. Le professeur Levrat a rappelé les cas de la Slovénie et ceux des Etats baltes. Et il ne faut pas oublier qu’il y a des exemples (contraires au principe du droit à l’auto-détermination) à prendre en considération dans le champ des colonies. La Cour Internationale de Justice Internationale de Justice a cependant admis le principe d’auto-détermination du Kossovo en soutenant que les gens de cette région ne constituaient pas un peuple d’origine colonial. Le professeur Levrat a rappelé cette notion oubliée du droit naturel, de ce droit qui autorise notamment la reconnaissance d’autres Etats. Il insiste sur la nécessité de négociation. S’il est vrai qu’existe le principe du respect de l’intégrité terrioriale des Etats, il est aussi certain que ce principe s’applique entre Etats, et qu’à ce principe ne sont pas soumis les personnes, donc les citoyens eux-mêmes.

Selon ce professeur, le processus d’auto-détermination de la Catalogne n’est pas un processus interne à l’Espagne, mais bel et bien un problème européen. On ne peut pas simplement songer à expulser les Catalans hors de l’Europe. A l’échelle de l’Europe, la Catalogne n’est pas un petit Etat avec 7’500’000 habitants.

Selon le professeur Nicolas Levrat, on se situe très exactement dans le cas de la Catalogne dans un angle mort du droit : le processus n’est pas légal, mais il n’est pas illégal. Il rappelle aussi que le Catalan est aujourd’hui un citoyen européen, il a la citoyenneté européenne. Et, après avoir invoqué les caractères presque contradictoires des articles 49 et 50 du Traité de l’Union européenne, il a fait référence à la possibilité d’un effet domino du phénomène catalan. L’Europe ne pourra pas se désintéresser de la question, conclut-il.

Conclusion : et si l’Europe n’avait pas tout à y gagner ?

Lors d’un entretien en privé avec Francesc Homs, celui-ci a fait état d’un élément qui nous paraît essentiel, quoique largement ignoré par la presse et les politiciens et fonctionnaires de Bruxelles : le processus d’auto-détermination de la Catalogne peut aussi être une chance extraordinaire pour une autre Europe. Ce processus, auquel adhèrent la majorité des citoyens de la Catalogne, peut amener à une nouvelle compréhension de ce qu’est, peut être et devra être l’Europe de demain.

Et il n’est pas sûr que la Suisse n’y ait pas un jour un rôle essentiel à y jouer.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.