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Billet de blog 8 avril 2014

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Le cas de la Catalogne en discussion à Utrecht

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

(Par BEATRICE RIAND [de Utrecht])

« Le cas de la Catalogne ne doit pas être traité comme un thème tabou en Europe, mais si l’on se réfère à la réaction de Madrid, il est juste de dire que les autorités espagnoles préfèrent qu’il en soit ainsi », affirme Stéphane Riand, qui, ce lundi, a participé à l’Université d’Utrecht à un débat sur le cas de la Catalogne, organisé par DiploCat (Public Diplomacy Council of Catalonia).

Pendant cette conférence, des politiciens européens de différents partis (conservateur, socialiste, libéral, vert) ont défendu le droit des Catalans à organiser le référendum du 9 novembre 2014, en souhaitant que Madrid négocie avec Barcelone, comme le fait Londres avec Edimbourg.

300 ans après le Traité d’Utrecht du 11 avril 1713, qui met fin à la guerre de Succession d’Espagne, et assoit sur le trône ibère le petit-fils de Louis XIV, Philippe V, qui asservira la Catalogne et la privera de sa souveraineté, le doyen de l’université Rob van der Vaart accueille les participants à une conférence sur les processus d’auto-détermination à l’intérieur de l’Europe.

La position catalane : « nous voulons voter ! »

La première intervenante à s’exprimer sera Clara Ponsanti, professeur à l’Institut espagnol  d’analyses économiques et à la Graduate School of Economics de Barcelone. Elle explique que la sentence du Tribunal constitutionnel de 2010 concernant le Statut d’autonomie de la Catalogne, qui démembre et dénature le texte voté par le Parlement catalan en 2006, a été une « grave erreur », qui sera à l’origine de la déception et de la grande irritation de la société catalane, que révèle la situation de crispation majeure actuelle. Pour Clara Ponsanti, la communauté internationale comme l’Union Européenne considèrent que le cas catalan est une affaire interne à l’Espagne, ce constitue à ses yeux une grande erreur : « si la voix de la Catalogne continue à être ignorée, ce sera une affaire interne, mais une affaire interne de l’Union Européenne ». Clara Ponsati déplore l’intransigeance de l’Espagne, qui oppose à la volonté de 80 % de la population catalane, qui désire voter, un « non » mille fois répété, basé sur la Constitution et l’indivisibilité de la nation.

Eduard Sagarra, le deuxième intervenant, docteur en droit et professeur à l’International et European Law de l’Université de Barcelone, précise de prime abord que la Catalogne n’est pas « contre » l’Espagne, mais qu’elle souhaite redéfinir leurs relations sur la base d’un respect mutuel, et interroger sa population à ce sujet. A l’heure actuelle, l’Espagne limite les droits de la Catalogne dans les domaines des libertés, de la langue, et du développement économique. Il affirme que personne ne sait ce qui se passera le 9 novembre 2014, mais il souligne que « la volonté des gens et leur droit légitime de s’exprimer démocratiquement sur leur futur ne peut être repoussé systématiquement ». En effet, selon lui, aujourd’hui, mardi 8 avril, le Parlement espagnol refusera certainement à la Catalogne le transfert des compétences qui lui permettrait d’organiser légalement ce référendum. Pourtant, « la loi ne peut s’opposer à la légitimité ».  Il ajoute que, aujourd’hui, en Europe,  « voter est la manière pacifique de s’exprimer ».

Durant le bref débat qui a suivi ces deux interventions, la première secrétaire de l’Ambassade espagnole à La Haye s’est exprimée et a contesté les prises de position des deux professeurs catalans. Selon elle, le droit à décider appartient « à tous les Espagnols ». Par conséquent, le référendum catalan est contraire à la constitution espagnole. La diplomate affirme également que « l’Espagne est un pays démocratique , et que par conséquent la Catalogne ne souffre d’aucune oppression culturelle qui justifie l’exercice de ce droit à l’auto-détermination », réservé selon elle aux antiques colonies ou aux nations opprimées. Or, en Espagne, « les droits fondamentaux ne sont pas en danger », a-t-elle ajouté. 

Clara Ponsati lui a rétorqué qu’effectivement « l’Espagne est une démocratie, et qu’en démocratie les gens s’expriment en votant ». Elle a lui également demandé si les Espagnols maintiendraient les Catalans à  l’intérieur de l’Etat espagnol contre leur gré : « l’Espagne voudra-t-elle maintenir les Catalans s’ils se sont exprimés démocratiquement, les maintiendra-t-elle par la force, et si l’Espagne pense ainsi, sera-t-elle toujours une démocratie ? ». Le professeur Sagarra, quant à lui, a précisé que « le droit à décider n’est pas la même chose que l’auto-détermination ». Selon lui, ce que les Catalans demandent c’est d’être consultés sur leur propre futur. Or, selon cet expert, le Tribunal constitutionnel a précisé que le droit à décider « est absolument légal », s’il s’exerce dans le cadre d’un accord avec l’Espagne, raison pour laquelle il est absolument nécessaire que Madrid change de position.

Il est à regretter que la diplomate espagnole se soit éclipsée avant la fin de la conférence, après avoir refusé une interview à Help Catalonia, dont une représentante, Anna Aroca, se trouvait dans la salle.

Durant les échanges avec le public, les deux professeurs catalans ont également défendu la nécessité d’une Catalogne européenne. En effet, l’histoire catalane, tragique, a démontré que l’Union Européenne est la seule garante des valeurs démocratiques et que c’est pour cette raison que tant d’indépendantistes sont des Européistes convaincus.

La position des invités politiques :  »les frontières bougent, les peuples votent, c’est la démocratie ! »

Durant la seconde partie du débat se sont exprimés Lousewies van der Laan, vice-présidente hollandaise de l’Alliance des Libéraux et Démocrates pour l’Europe (ALDE Party), Stéphane Riand, que les lecteurs de L’1dex connaissent, Bodill Ceballos, membre du Green Party suédos et candidate au parlement européen, ainsi que Vieko Spolitis, membre de l’Unity Party (EPP Group Member) et ex-secrétaire parlementaire du Ministère de la défense de la Lettonie.

Madame van der Laan commence son exposé en démontrant, cartes à l’appui, à quel point les frontières européennes se sont déplacées durant ces dernières décades. Les frontières bougent, et bougeront, c’est une réalité. Elle souligne le caractère pacifique et démocratique du processus catalan. La politicienne hollandaise assure que le fond de la question catalane est « politique et non légale ». D’après cette libérale, la communauté internationale a traité avec une certaine hypocrisie les diverses démarches indépendantistes de par le monde, en adoptant une démarche différente, qui varie donc en fonction de ses propres intérêts. « Il est très problématique que tous les cas ne soient pas traités avec équité ». Selon elle, les autorités espagnoles, en refusant tout dialogue, sont dans l’erreur : « la situation ressemble à celle d’un couple dont l’un des deux membres veut divorcer, et dont l’autre partenaire n’entend rien, et répète : mais non, il n’y a pas de problème, chérie, tu n’es pas malheureuse ».

Pour Stéphane Riand, si l’Espagne est une démocratie, « elle doit respecter la volonté des Catalans et accepter qu’ils votent ». Selon lui, les autorités espagnoles « souhaiteraient que le thème catalan soit un tabou » sur le plan international, ce qu’il conteste. « C’est à la Catalogne de décider de son propre futur », a-t-il assuré, tout en soulignant le fait que tant l’Europe que la Suisse ne peuvent refuser la validité d’une votation démocratique sans nier leurs propres valeurs fondamentales.

La Suédoise Bodill Ceballos commence par rappeler à notre souvenir que la Suède a autorisé les Norvégiens à quitter pacifiquement leur giron. Elle relève le fait que la société catalane est une société très inclusive, ce qu’elle a elle-même expérimenté : cela explique le fait que tant d’étrangers soutiennent le mouvement indépendantiste.  Elle souligne également que « l’Union Européenne devrait rendre la situation plus facile et non la rendre plus difficile », en menaçant la Catalogne d’une expulsion. Selon elle, le référendum aura lieu, sous telle ou telle forme, et l’Union Européenne ainsi que les Etats membres devraient y être préparés. Elle regrette le fait que le gouvernement suédois ne prenne pas une position claire à ce sujet, tout en soulignant le fait que les Verts européens sont en faveur du droit à l’auto-détermination, et du droit des Catalans à décider de leur futur.

Vieko Spolitis, quant à lui, prend clairement position en faveur du droit à l’auto-détermination des Catalans. Selon lui, le meilleur chemin pour exercer ce droit, dans l’Europe du XXIème siècle, est clairement le chemin du référendum. Selon lui, le cas de la Catalogne est « l’anti-thèse de ce qui s’est passé en Crimée, parce qu’en Catalogne il y a des débats démocratiques sur le futur du pays ». Il conclut en ces termes : « le référendum catalan est inévitable ».

Après 300 ans de perte de souveraineté, peut-être la liberté

Miguel Calçada, journaliste catalan et commissaire des festivités liées au Tricentenaire souligne l’importance d’Utrecht dans l’histoire de la Catalogne. Selon lui, les revendications actuelles de la Catalogne sont les mêmes que celles de 1714, mais cette fois, « l’Europe ne peut ignorer le cas des Catalans ». Ainsi  donc, la ligne du passé rejoint celle du présent pour se projeter vers le futur.

Est-ce le moment opportun pour le faire alors que l’Europe et l’Espagne, comme la Catalogne, sont en pleine crise financière ? A cette question, il répond que ce n’est jamais le bon moment de se séparer.

Y a-t-il une bonne manière de le faire ? Ce processus se fait à la mode catalane, de manière pacifique, ouverte, démocratique, avec joie et espérance, et en famille. Pendant la Via Catalana, il y avait surtout des familles qui manifestaient, des grands-pères, des grands-mères, des oncles, des tantes, des nièces, des cousins… C’est certainement la seule révolution au monde qui soit avant tout familiale, et heureuse. C’est bien la base de la société catalane qui donne les impulsions aux institutions politiques, et non le contraire, raison pour laquelle ce mouvement est aujourd’hui imparable.

Francesco Maiolo, professeur aux universités de Leiden, Nijmegen, Maastricht et au Roosevelt University College à Middleburg a clos la conférence en résumant  et en précisant les positions exprimées par tous les participants.

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