Ses bonus répétés, ses rémunérations dévergondées, ses avantages appréciés, quand on est banquier privé, il faut les mériter. Il faut donc travailler. Et à la mine y aller. Sans rechigner. Avec ses petits sandwiches pour les dix heures, ses petits fortifiants pour l’après-midi et ses jus toniques si la soirée devait par trop être agitée. Oh rassurez-vous ! Les commerciaux du Private Banking ne vont pas salir leurs ongles dans les mines de charbon, ni dans des bâtiments insalubres infectés de produits chimiques, ni même en haute mer sur un chalutier désaffecté. Non leurs champs de labour, ce sont un terrain de golf à Vichy au printemps, les allées de Roland-Garros en juin, une salle d’opéra en automne et Courchevel pour les matins d’hiver. Dans ces lieux fréquentés par le prolétariat de Neuilly, du XVIème ou de la culture friquée et avisée, on y côtoie plus des belles robes YSL et des carrés Hermès que des agendas Cartier et des malettes Vuitton. On y vient avec sa mémoire, parfois un iphone pour y garder un numéro et quelques coordonnées cryptées ou un sourire de convenance étalé. Ces agapes incessantes y usent jusqu’au foie, aux reins et aux poumons. On évite certes la coke et les vins frelatés, mais on ne peut par politesse éviter les petits-fours au foie gras, ni un Yqem des grandes années. Et surtout on y a l’oeil vif, la main tendue et la gentillesse au fond du gosier. Une bulle de champagne s’écoule à la commissure des lèvres par la faute d’un compliment qu’on ne pouvait éviter. Et déjà le lendemain, croissants entre les doigts, on organise une petite réunion de travail pour dépecer ces « ouvertures » si rémunératrices. Et tous ces funambules de la mascarade financière voltigent avec plein de filets de sécurité sous leur inimitable fessier.
Ces espèces de danses de singes ont fini immanquablement par conduire ces ouvriers de la lèche organisée vers le Parlement fédéral. A force de travail excessif, d’heures supplémentaires, de vacances oubliées, tous ces banquiers ont recueilli trop de mauvais clients, trop de ces gens qui ont omis leurs obligations fiscales, trop de blanchisseurs démarchés, trop de requins voraces, trop de vengeurs masqués, trop d’escrocs cravatés, trop de blanchisseurs défiscalisés et même trop d’avocats illettrés (ils préfèrent faire des cols à vélos plutôt que de se contraindre à lire Oberson et Lombardini).
Tout se paie dit-on pour rassurer notre morale d’enfant de choeur. Mais un banquier de par son métier sait avant tout se faire payer. C’est-à-dire faire payer par les autres ce que lui jamais ne voudra payer. Et si le prix en Suisse est un déficit de démocratie, alors c’est pas grave, cela n’apparaîtra pas même dans les passifs transitoires de ces bilans bancaires si joyeusement incompréhensibles pour quiconque voudrait les décortiquer. Un banquier responsable est un oxymore, un banquier payeur un antonyme. Le sachant dans sa chair de trafiquant fiscaliste, le banquier genevois se rend à Cornavin pour rejoindre Berne et ses parlementaires. Sa serviette dorée est vide; il sait qu’il n’aura pas en terrain ami à dévoiler ses soucis, ses compromissions, ses déroutes et ses inévitables provisions si vite contre-balancées par la grâce de Verdi, de Nadal ou de Jean-Claude Killy. Un banquier n’est pas là pour s’exprimer, il est là pour recevoir son dû, votre argent. On dit qu’il en fera des petits pains. Aujourd’hui on sait que l’excès de moutarde lui est monté au nez et qu’il doit délicatement avec un torchon blanc enlever ce jaune sale qui pourrait se retrouver sur le front de son hôtesse.
Aujourd’hui en Suisse, à Berne, aux Chambres fédérales, on voudrait faire passer la Lex USA permettant à tous ces banquiers, après avoir soupiré, de respirer avant de putter à nouveau et de nous propulser au fond du trou.
Et surtout ne jamais leur demander de faire acte de contrition, ni prévoir une punition, ni leur soutirer un pardon : oh non ce serait bien trop con.
Post Scriptum : Que tous les amateurs de romans à suspense s’inscrivent chez Mediapart, ils m’y trouveront aussi.