(Par ARIANE MANFRINO)
Depuis quelques semaines, Dieudonné occupe, à nouveau, le devant de la scène médiatique en France. Ses propos à l’encontre de Patrick Cohen, animateur de la matinale sur France Inter, où le pseudo humoriste « regrettait que l’animateur ne soit pas mort dans un camp de concentration », ont donné le coup d’envoi à son nouveau spectacle « Le Mur ». Un spectacle, oscillant entre antisémitisme et homophobie, qui s’apparente plus à une tribune propice à un déferlement de haine et de violence, qu’à une prestation sensée faire rire.
Je ne m’étendrai même pas sur la venue sur scène aux côtés de ce dernier, de Robert Faurisson, l’un des plus notoires militants négationnistes français, antisémite et proche de l’extrême droite et des milieux néonazis. Ou de la fameuse quenelle, ce salut nazi inversé que ce pitoyable bouffon apparentait à de simples gestes anti-système.
Autant de provocations dont certaines ne datent pas d’hier et ont vu le gouvernement français interdire le spectacle de monsieur Dieudonné M’bala M’bala.
Chez nous en Suisse, « le Mur » (ndlr référence au mur des lamentations), sera produit dans quelques semaines à Nyon. Pas d’interdiction prononcée, mais des déclarations officielles claires sur le Sieur M’bala, M’bala. Ainsi, la Municipalité de Nyon condamne les « frasques de ce Monsieur ». Quant à Manuel Tornare, conseiller national socialiste, s’il qualifie « l’interdiction des spectacles comme une atteinte à la démocratie », ainsi que le rapporte la CICAD (Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation), il se bat à Berne pour que les associations puissent déposer plainte. « L’article 8 de la constitution, alinéa 2 sera renforcé si la demande des politiques genevois est acceptée afin que : -celui qui publiquement incite à la haine, à la discrimination envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou cherchant à justifier un génocide soit puni d’une peine de trois ans de prison ou une amende. »
Si cela est accepté, conclut Manuel Tornare, Dieudonné pourrait être arrêté à Nyon !
Toute cette pénible histoire, m’a ramenée aux années 2000. A cette époque, la Suisse vivait une montée de l’antisémitisme à travers les négationnistes et les skinheads. Présente au procès d’un libraire vaudois, Aldo Ferraglia, coupable de diffuser l’ouvrage révisionniste de Roger Garaudy, j’avais été extrêmement choquée par une scène à l’issue de l’audience.
Logé sur les marches du palais de justice, un petit homme montrait son bras nu, où l’on voyait un numéro matricule tatoué. Triste souvenir de son passage à Auschwitz. Avec mépris, le libraire fit mine de lui cracher dessus.
Dans les yeux de Monsieur David, une infinie tristesse passa. Tristesse que je recueillis comme une invitation à nouer un contact plus étroit avec ce rescapé de la Shoa.
Pendant quelques années, je fis plus ample connaissance avec cet homme au passé douloureux. Monsieur David ne se plaignait jamais. Très pudique, il n’évoquait que très peu son parcours. D’autres le faisaient pour lui. C’est ainsi que j’appris que ce dernier, hongrois d’origine, avait perdu sa mère, sa sœur, à Auschwitz. Lui, avait été épargné par le Dr Mengele, redoutable bourreau. Quant à la fameuse grande marche, imposée par les nazis lors de leur défaite, David l’avait accomplie.
De ce parcours douloureux, Monsieur David avait gardé des habitudes. Agité, inquiet, il semblait toujours prêt à partir, à fuir.
Cette fuite, je l’ai revécue avec lui lors de mon voyage à Auschwitz avec la Cicad. Ce jour-là de novembre, il faisait un froid glacial. Venu en qualité de témoin, avec plusieurs autres rescapés, Monsieur David ne tenait pas en place. Son émotion n’avait nul besoin de mots pour transmettre l’horreur vécue en ces lieux. Sur le quai où il avait rencontré Mengele, David indiquait d’un geste de la main le triage infâme qui avait condamné sa famille et l’avait sauvé.
Puis, au pas de charge, il m’entraînait dans une visite du camp de la mort, allant des chambres à gaz aux salles recouvertes de portraits des disparus, en passant par cette pénible collection de cheveux ou les misérables valises des déportés. Se penchant sur la vitrine enfermant le tristement fameux Zyclon B, cet insecticide utilisé dans les chambres à gaz, Monsieur David semblait ne pas comprendre. Cette horreur qu’il avait vécue, lui paraissait aujourd’hui un mauvais cauchemar. Et pourtant!
A l’évocation de ce passé, de cette fantastique amitié qui me lie aujourd’hui à Monsieur David, je voudrais être juge.
Juge pour condamner tous les Dieudonné de la terre à vivre un mois en plein hiver, à Auschwitz. Ils logeraient dans les baraquements, sentiraient les affres du froid leur glacer les os et seraient contraints de revoir leur version de l’histoire.
Un passage obligé, dissuasif, pour qu’ils comprennent l’horreur de leur provocation, ou tout au moins se taisent à jamais sous peine de retourner au camp !