Hervé Falciani n’est ni un victorieux, ni un saint, ni un cupide, ni un héros.C’est simplement un homme qui a compris que certains voulaient changer les règles du jeu. Il a anticipé, tel un stratège de la triche, le sens du vent et a précédé ses anciens complices, jaloux et demeurés sur le quai. Le brigandage informatique réussi, on peut s’interroger sur ses adversaires ou contradicteurs, ses bienfaiteurs plus que ses ennemis.
Voilà donc à l’opposé du champ de batailles les lâches, les canailles, les perdants et les généreux. Tous ensemble menottés, pris à la gorge et lacérés par l’homme admiré et sauvé par cette Espagne en panne d’avenir.
Ces canailles sont tous ces hommes qui se sont abrités sous le soleil des tropiques, des Bahamas, des Îles Caïmans ou du Lac Léman pour ne pas avoir à respecter les lois fiscales de ces pays qui les ont rendus riches et puissants. On s’enfuit en se gargarisant en privé de tous ces sots qui préfèrent assumer leur dû de citoyen et oublier les plaisirs de la chasse dans les fonds marins parmi les requins et les étoiles de mer. La canaille au poker est ce petit voyou qui, toute une soirée, a la chance du débutant et qui, sur la dernière main, préfère tricher plutôt qu’avoir à laisser un juste pourboire au croupier fatigué.
Les lâches sont ces banquiers prévaricateurs qui courent à travers les deux hémisphères à la chasse aux fortunés et qui chantent les vertus de la transparence légale de leurs actes et de la nécessité du secret bancaire dans ces choses d’argent sale blanchi. Ils se prêteront sans grâce à l’échange automatique d’informations, l’esprit dans la nostalgie de cette belle époque où ils pouvaient tout, et plus encore.
Les cupides du trading, les voltigeurs de matières premières et les maquignons boursiers sont aussi ces généreux du pourboire facile, de la haute gastronomie offerte et partagée, et des caresses pas gratuites et décomplexées. On devine ici que le don d’argent est plus facile lorsque la panse est bien remplie.
Les perdants en d’autres temps furent des gagnants trop heureux de ne pas montrer à ceux qu’ils dépouillaient que l’art d’encaisser des dividendes ne nécessitait point celui de s’acquitter des dimes dues à l’Etat. Les services d’un débroussailleur fiscaliste s’expliquaient alors simplement par ce désir si tendrement humain d’optimisation fiscale, lieu poétique dans lequel se meut avec délectation le juriste trop heureux d’aider son affable mendant à tromper le fisc.
Ces lâches perdants et ces canailles généreuses sont aujourd’hui pourchassées par le fisc de tous ces pays européens qui n’ont pas d’autres moyens pour emplir l’outre budgétaire transpercée de toutes parts. Certains moins couards que d’autres apaisent leur conscience en dénonçant leurs forfaitures dans l’espoir d’une sanction honorable; certains visent à conserver leur statut de gagnants et s’envolent pour Singapour ou le Delaware convaincus que le fric est une drogue et que le dealer est plus rapide que le poulet; les généreux se transforment en avares désopilants cachant leur or sous leurs oreillers ou le transformant en tableaux ou en sculptures de rêves; parmi les derniers, les canailles invétérées, on préfère fricoter avec les gouvernants, mafieux ou claniques, leur faire guili-guili dans le cou au risque d’avoir à ouvrir un peu son escarcelle.
Les ennemis de Hervé Falciani, ce déserteur dans la guerre au pognon que n’aurait pas chantée Boris Vian, sont peut-être simplement des miraculés, tant les milliards sont nombreux et les véreux souvent bienheureux, et que jamais on ne pourra ni ne voudra tous les alpaguer.
Dans ce chaos, dans cette jungle, dans cet amoncellement de produits toxiques, dérivés et contagieux, le citoyen s’y balade, désemparé, étourdi et sanglotant. Pourquoi donc le monde, le nôtre, le vôtre, le leur, le tien, le sien et le mien s’offre-t-il à notre pensée financière dans cet aspect si implacablement désespérant ? N’y a-t-il pas à tout le moins un petit chemin qui ouvrirait au sourire et au rêve.
Hervé Falciani a dit vouloir quitter l’Espagne et rejoindre les siens en France. Qui sait, peut-être m’aura-t-il lu et voudra-t-il m’indiquer sa route personnelle qui l’a conduit dans cet enfer d’indicible incompréhension … En rejoignant la Catalogne cet été, je pourrai le rencontrer.
Post Scriptum I : je vais poster ce texte sur mon espace blog chez Mediapart. Qui sait, le bougre pourrait-il me lire lui qui s’y confie à petits mots choisis avec soin ?
Post Scriptum II : le dessin a été réalisé par François Maret en un temps où on pouvait encore imaginer la Suisse en paradis fiscal pour autrui.