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Si l’éthique se résumait à la lecture du Matin Dimanche, dans cette affaire de harcèlement, les deux camps seraient clairement distincts, le train victimaire et le train de merde. Mais peut-être y a-t-il d’autres chemins de vie.
LE TRAIN DE MERDE
D’un côté Catherine Millet, Catherine Deneuve, les 100 femmes, d’autres encore et Peter Rothenbüler. Osons grossièrement résumer leur ineffable position :
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LE TRAIN VICTIMAIRE
De l’autre côté, les stars américaines, les dénonciatrices de Harvey Weinstein, celles de Tariq Ramadan et de Yannick Buttet, Céline Amaudru et Christophe Gallaz. Empruntons à ce dernier l’énoncé de leur position :
« Ils (Deneuve, Millet et Trump) profèrent des saloperies, puis celles-ci sont immanquablement biodégradées par les enzymes médiatiques du moment… Ainsi va le train. On y perçoit successivement ou simultanément la production du même discours infâme, quelle qu’en soit la provenance, son atténuation progressive qu’on qualifie dans les journaux de « vive polémique », et l’habituation finale de l’opinion publique au pire des mots prononcés, de leur sens et de leurs effets. »
LE TRAIN DES COMIQUES
Il y a aussi le train des comiques, ce n’est pas le plus facile d’accès, il faut oser y grimper. Thomas Wiesel et quelques autres ont pris ce risque :
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LE TRAIN DES SIGNIFIANTS DE LA PENSEE
Il y a ceux et celles qui essaient d’élaborer un discours mesuré sur la question. Leïla Slimani, Prix Goncourt 2016, en fait assurément partie, comme l’indique sa tribune dans Libération du 12 janvier 2018 :
Marcher dans la rue. Prendre le métro le soir. Mettre une minijupe, un décolleté et de hauts talons. Danser seule au milieu de la piste. Me maquiller comme un camion volé. Prendre un taxi en étant un peu ivre. M’allonger dans l’herbe à moitié dénudée. Faire du stop. Monter dans un Noctambus. Voyager seule. Boire seule un verre en terrasse. Courir sur un chemin désert. Attendre sur un banc. Draguer un homme, changer d’avis et passer mon chemin. Me fondre dans la foule du RER. Travailler la nuit. Allaiter mon enfant en public. Réclamer une augmentation. Dans ces moments de la vie, quotidiens et banals, je réclame le droit de ne pas être importunée. Le droit de ne même pas y penser. Je revendique ma liberté à ce qu’on ne commente pas mon attitude, mes vêtements, ma démarche, la forme de mes fesses, la taille de mes seins. Je revendique mon droit à la tranquillité, à la solitude, le droit de m’avancer sans avoir peur. Je ne veux pas seulement d’une liberté intérieure. Je veux la liberté de vivre dehors, à l’air libre, dans un monde qui est aussi un peu à moi.
Je ne suis pas une petite chose fragile. Je ne réclame pas d’être protégée mais de faire valoir mes droits à la sécurité et au respect. Et les hommes ne sont pas, loin s’en faut, tous des porcs. Combien sont-ils, ces dernières semaines, à m’avoir éblouie, étonnée, ravie, par leur capacité à comprendre ce qui est en train de se jouer ? A m’avoir bouleversée par leur volonté de ne plus être complice, de changer le monde, de se libérer, eux aussi, de ces comportements ? Car au fond se cache, derrière cette soi-disant liberté d’importuner, une vision terriblement déterministe du masculin : «un porc, tu nais». Les hommes qui m’entourent rougissent et s’insurgent de ceux qui m’insultent. De ceux qui éjaculent sur mon manteau à huit heures du matin. Du patron qui me fait comprendre à quoi je devrais mon avancement. Du professeur qui échange une pipe contre un stage. Du passant qui me demande si «je baise» et finit par me traiter de «salope». Les hommes que je connais sont écœurés par cette vision rétrograde de la virilité. Mon fils sera, je l’espère, un homme libre. Libre, non pas d’importuner, mais libre de se définir autrement que comme un prédateur habité par des pulsions incontrôlables. Un homme qui sait séduire par les mille façons merveilleuses qu’ont les hommes de nous séduire.
Je ne suis pas une victime. Mais des millions de femmes le sont. C’est un fait et non un jugement moral ou une essentialisation des femmes. Et en moi, palpite la peur de toutes celles qui, dans les rues de milliers de villes du monde, marchent la tête baissée. Celles qu’on suit, qu’on harcèle, qu’on viole, qu’on insulte, qu’on traite comme des intruses dans les espaces publics. En moi résonne le cri de celles qui se terrent, qui ont honte, des parias qu’on jette à la rue parce qu’elles sont déshonorées. De celles qu’on cache sous de longs voiles noirs parce que leurs corps seraient une invitation à être importunée. Dans les rues du Caire, de New Delhi, de Lima, de Mossoul, de Kinshasa, de Casablanca, les femmes qui marchent s’inquiètent-elles de la disparition de la séduction et de la galanterie ? Ont-elles le droit, elles, de séduire, de choisir, d’importuner ?
J’espère qu’un jour ma fille marchera la nuit dans la rue, en minijupe et en décolleté, qu’elle fera seule le tour du monde, qu’elle prendra le métro à minuit sans avoir peur, sans même y penser. Le monde dans lequel elle vivra alors ne sera pas un monde puritain. Ce sera, j’en suis certaine, un monde plus juste, où l’espace de l’amour, de la jouissance, des jeux de la séduction ne seront que plus beaux et plus amples. A un point qu’on n’imagine même pas encore. »
LE TRAIN DES 45 FEMMES QUI ONT DIT NON A LA MOTION FREYSINGER
A l’évidence, tous ces femmes qui ont dit NON à la motion présentée aux Chambres fédérales en 2012 par Oskar Freysinger, appuyé par des parlementaires de tous bords, ne suivent pas dans leur majorité le discours de Deneuve, de Millet et de leurs copines. Elles suivent une route de l’impensé, agissant dans une sorte de furie de politique politicienne proprement incompréhensibles pour ceux qui tentent de mettre de l’ordre dans ce chaos.
LE TRAIN DES HOMMES ET DES FEMMES FAVORABLES A LA PENALISATION DU HARCELEMENT
Il y a ceux qui ne sont pas Français puisque le harcèlement est pénalement répréhensible en République française, qui souhaitent la pénalisation du harcèlement en cas d’actes, graves et répétés, de harcèlement psychologique, sexuel ou moral, sur le lieu de travail et partout ailleurs.
LE TRAIN DES SILENCIEUX
C’est le train des gens qui préfèrent ne pas s’en mêler, croyant que leur couardise ou leur silence est une position respectable lorsque tout va à vau-l’eau. On devine que c’est la position la plus confortable pour ceux qui préfèrent ne jamais s’engager.
LE TRAIN DE LA JUSTICE
C’est le train des Ponce-Pilate. Il n’y a rien à en dire ici pour le moment.
LE TRAIN DE L’1DEX
Je pourrais ici citer Baudelaire, mais je crois qu’il est préférable pour quelque temps d’éviter ce chemin. Alors, je dirais que mon train à moi, c’est un mélange de Gallaz, de Slimani et d’Oskar. Dans ces choses-là, les opinions de bon sens et de raison peuvent être adossées à des discours émanant de personnes très différentes. Ce mélange doit être un indicateur pour chacun, car, dans ces choses-là, je ne suis pas toi, tu n’es pas moi, elle n’est pas lui et ils ne sont pas eux.Voilà pourquoi l’écoute de l’autre peut être essentiel pour ne pas se fourvoyer. Et Millet, la provocatrice, prend la route du fantasme ou de je ne sais quoi, mais pas celui de la prudence et de la bonne foi. Peut-être a-t-elle jugé que les dérapages médiatiques avaient atteint une zone trop dangereuse pour qu’elle ne se jette pas dans la mare aux canards du n’importe quoi, choisissant de sidérer pour participer à l’arrêt de LA CHOSE (une fin de séance publique « lacanienne »).
Je préfère goûter aux dernières paroles en rose de Leïla Slimani. Je dois être ringard.
Bonjour à toi, que j’aurais aimé embrasser !