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Billet de blog 14 octobre 2014

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Catalogne, 9N : la Porte étroite

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

(Par BEATRICE RIAND)

Réunis à huis clos hier soir au Palais de Pedralbes, à Barcelone, les partis politiques favorables au « droit à décider », et donc à la consultation du 9N concernant le futur politique de la Catalogne,  partis qui ne sont pas parvenus à sauver le référendum par le passé (car inconstitutionnel, affirment les Espagnols), ont  dû également renoncer à la consultation aujourd’hui (suspendue par le Tribunal constitutionnel), puisqu’elle ne pourrait avoir lieu dans les conditions prévues initialement dans le décret de convocation.

Et la païenne que je suis ne peut s’empêcher de penser à Mathieu (7,13 et 7,14) :

« Entrez par la porte étroite. Car large est la porte, spacieux le chemin qui mène à la perdition, et il y en a beaucoup qui entrent par là ».

« Mais étroite est la porte, resserré le chemin qui mène à la vie, et il y en a peu qui les trouvent ».

La consultation n’aura donc pas lieu, et c’est la démocratie qui se meurt au pays de la corrida, au pays de la Fondation Franco, au pays qui ne se souvient pas, et qui ne regrette rien.

Aujourd’hui, la démocratie est morte : resquiesCAT in pace !

La joie de Rajoy 

Et Rajoy de jubiler face à cette « excellente nouvelle », et d’expliquer que l’Espagne est la nation la plus vieille d’Europe, celle qui durant le dernier demi-siècle a vu le plus s’accroître son PIB, celle dont la Constitution de 1978 a permis de créer un « modèle de démocratie », une démocratie qui serait la « plus décentralisée du monde ».

Un modèle de démocratie donc … non pas un « spacieux chemin », mais une autoroute. Une démocratie qui assène 4’000 euros d’amende à un jeune homme (après l’avoir fait passer la nuit au poste et lui avoir interdit durant un an l’accès à toute manifestation sportive) parce que, durant un match, il arbore une « estelada » (drapeau indépendantiste), mais une démocratie qui tolère les drapeaux nazis durant un autre événement. Une démocratie qui inflige 900 euros d’amende à deux jeunes qui brûlent une photo du roi, mais une démocratie qui ne réagit pas quand, à la télévision espagnole, un présentateur brûle une « estelada ».

La Catalogne abandonne cette autoroute-là, et depuis fort longtemps cherche la porte étroite.

Elle a tenté de réformer l’Espagne, de la régénérer avec son statut d’autonomie, en 2006. Un statut démembré par le Tribunal Constitutionnel en 2010.

Elle a tenté de trouver une troisième voie, la voie du fédéralisme. Sans succès.

Elle a tenté de négocier des accords fiscaux qui lui permettraient de conserver ce à quoi elle tient, à savoir un Etat qui privilégie le bien-être social. Sans succès.

Elle a tenté de préserver sa langue et sa culture, avec un programme d’immersion linguistique qui a largement fait ses preuves depuis près de 30 ans. Sans succès durable, puisque la loi Wert tente de le démanteler partiellement.

La Catalogne a tenté la voie légale, la voie constitutionnelle, la voie espagnole. Sans succès. Mais elle essaie encore, une dernière fois.

Aujourd’hui, à dix heures, lors de sa conférence de presse, le Président Mas annonce que les Catalans voteront le 9N, mais dans un cadre légal différent que celui initialement prévu, afin d’éluder le blocage constitutionnel mis en place par le gouvernement espagnol.

Une porte étroite, très étroite, vous dis-je.

Une consultation alternative, qui ne crée pas l’unanimité

Le Tribunal Constitutionnel a certes suspendu la loi de consultation, mais elle n’en a pas suspendu tous les articles. Et c’est là que s’infiltre  l’exécutif catalan : l’article 3 autorise en effet la participation citoyenne. Les Catalans peuvent donc être légalement consultés de trois manières différentes, par le biais d’enquêtes, d’audiences publiques et de forums de participation.

Un référendum, qui devient une consultation, qui se transforme donc en participation citoyenne … la porte étroite se mérite.

Il y aura donc des urnes, et la question décidée en décembre 2013 sera bien posée aux Catalans, qui devront pour cela s’inscrire sur une liste électorale le jour même, à savoir le  9 novembre.

20’000 volontaires remplaceront les fonctionnaires, visés par la suspension du TC, et le résultat de cette consultation sera connu dès le lendemain. Un Conseil Général de Participation sera mis en place, afin de garantir la transparence du nouveau processus institué.

Le plan B du gouvernement catalan n’a pas remporté l’adhésion de tous les partis indépendantistes, et la belle unité politique qui jusque-là a toujours prévalu, s’est quelque peu effritée. En effet, la Gauche républicaine (ERC), le deuxième parti en Catalogne, a publié un communiqué qui précise que « devant l’impossibilité de faire la consultation à cause de l’opposition du gouvernement espagnol, il n’y a qu’un chemin : un Parlement qui fasse une Déclaration Unilatérale d’Indépendance (DUI) immédiate, et l’ouverture d’un processus constituant ». Pour ERC, ce processus participatif proposé par le Président Mas ne peut remplacer la consultation, ce qui ne l’empêchera toutefois pas de lui donner son soutien.

Artur Mas indique également que le 9N est une consultation anticipée, avant la consultation définitive, à savoir des élections plébiscitaires : tous les partis souverainistes  se réuniraient sur une seule liste, avec un seul point à leur programme, l’indépendance du pays.

Quel avenir pour cette nouvelle proposition de Mas ?

Aujourd’hui même, le ministre de Justice espagnol, Rafaël Catala, a réagi, en précisant, selon VilaWeb, que si les questions posées aux citoyens catalans contiennent « des aspects inconstitutionnels », « nous l’interdirons, logiquement ». Bref, sachant que l’Espagne, selon la Constitution, est « une et indivisible », il paraît évident qu’il est impossible légalement, dans ce pays d’autoroutes, de questionner des citoyens sur l’orientation politique qu’ils souhaitent donner à la Catalogne.

La Vice-Présidente espagnole, Soraya Saenz de Santamaria, a quant à elle précisé que le gouvernement espagnol analysera la meilleure façon d’agir face à ce nouveau 9N.

Nul doute que l’Espagne empruntera la voie la plus large …  et, en suspendant certainement une nouvelle fois non plus le référendum, non plus la consultation, mais un processus de participation citoyenne, prouvant par là que le problème n’est pas juridique (la forme), mais bien politique (la question posée), elle prouvera ainsi que là-bas, l’indépendance du plus haut pouvoir judiciaire, le Tribunal Constitutionnel, reste  un vain mot.

Le peuple, quant à lui, ne renonce pas. L’Assemblée nationale catalane (ANC), qui se dit déçue du fait que les partis souverainistes n’aient pas su maintenir leur unité comme le fait la société civile, prend son bâton de pèlerin pour se rendre à Bruxelles aujourd’hui.

Et devant le Parlement européen, Carme Forcadell, présidente de l’ANC, ne faiblit pas : « Nous venons ici chercher le droit à décider, que l’Espagne nous dénie ».

« Large est la porte, spacieux est le chemin qui mène à la perdition » … le gouvernement de Madrid, image même de l’attentisme agressif, de l’immobilisme réactif, du dogmatisme passéiste et fanatisé, a perdu aujourd’hui. Mais l’ignore encore.

La seule porte de sortie du gouvernement central, son seul espoir pour garder la Catalogne en son sein, était justement le référendum, ou la consultation. Il aurait pu faire campagne pour le « non », convaincre les indécis, et ensuite jouer sur les résultats, contester le taux de participation, etc … tout cela dans un cadre légal. L’Espagne aurait pu peut-être espérer une victoire discrète ou une déroute tranquille …  mais à trop abuser du légalisme, à trop vouloir pousser l’adversaire dans les cordes du formalisme, il assèche la substance même des textes. Et alors, face à la légalité entêtée se dresse la légitimité excédée.

Qui réclame des élections plébiscitaires, lesquelles verront se dessiner très clairement une majorité indépendantiste, certainement aux ¾, comme en 2012. Echec pour l’Espagne.

Dès lors, ce nouveau Parlement aura toute la légitimité démocratique, à défaut de la légalité, pour proclamer unilatéralement son indépendance. Echec et mat.

Catalans, vous êtes le processus, vous êtes la vie, vous avez trouvé la porte … et les jeux sont faits.

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