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Billet de blog 14 novembre 2014

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Freysinger un peu moins seul au monde : quand Alain (de l'Académie) radio-philosophe sur le racisme

(Par JERÔME MEIZOZ)Au moment où le ministre Freysinger souhaite changer le nom de la «Semaine contre le racisme» pour «donner un message positif» en supprimant ce pénible terme, les Villes valaisannes organisatrices de l’événement décident de ne pas suivre le conseiller d’Etat UDC. «Ne pas nommer le racisme, c’est faire comme si cela n’existait pas», argumente-t-on dans le milieu des professionnels de l’intégration (Le Temps, 14.11.14). Rappelons que le 21 mars a été baptisée «Journée mondiale contre le racisme» par l’ONU.Petit détour du côté d’un monsieur offusqué voire choqué par l’anti-racisme ambiant…

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(Par JERÔME MEIZOZ)

Au moment où le ministre Freysinger souhaite changer le nom de la «Semaine contre le racisme» pour «donner un message positif» en supprimant ce pénible terme, les Villes valaisannes organisatrices de l’événement décident de ne pas suivre le conseiller d’Etat UDC. «Ne pas nommer le racisme, c’est faire comme si cela n’existait pas», argumente-t-on dans le milieu des professionnels de l’intégration (Le Temps, 14.11.14). Rappelons que le 21 mars a été baptisée «Journée mondiale contre le racisme» par l’ONU.

Petit détour du côté d’un monsieur offusqué voire choqué par l’anti-racisme ambiant…

Dans l’émission «Répliques» de la radio publique France-Culture, samedi 4 octobre à 9h30, Alain Finkielkraut (de l’Académie française) a déclaré dans un élan de solidarité philosophique, que le philosophe Martin Heidegger était — tenez-vous bien — une «victime de l’anti-racisme» (sic).

Depuis quelques semaines, par presse interposée, l’on se chamaille sur Heidegger, membre du parti nazi de 1933 à 1945, recteur de l’Université officiellement nazifiée de Freiburg, auteur de discours et textes antisémites ainsi que, dans ses Cahiers noirs, de méditations profondes sur le Blut und Boden ou l’ancrage völkisch du Reich à venir. Martin Heidegger, donc, une nouvelle «victime de l’anti-racisme» ?

Déployons le syllogisme de collège qui sous-tend la donquichottesque déclaration d’Alain de l’Académie :

a. Si M. Heidegger est «victime de l’antiracisme»

b. alors l’antiracisme est un mouvement violent ou dangereux, de nature à produire des victimes.

c. Il faut donc que la loi et la morale désapprouvent l’antiracisme, en tant que mouvement de nature à porter tort à autrui.

Qu’on réfléchisse encore un instant à la radio-phrase d’Alain de l’Académie, puisque lui-même n’y a sans doute pas assez songé : dire qu’Heidegger est une victime de l’antiracisme équivaut à affirmer, par exemple, que Louis-Ferdinand Céline a subi la violence des Juifs ou que Drieu la Rochelle était persécuté par les Métèques. Autrement dit, dans tous les cas, c’est faire passer l’agresseur pour la victime. Voilà un raisonnement savant, digne d’un Marc Bonnant au sommet de sa forme.

Le raisonnement matinal du radio-philosophe Alain de l’Académie rejoint là le pieux voeu de Marine Le Pen qui elle aussi rêve de promulguer une loi contre l’anti-racisme, qui rétablirait donc le racisme, si injustement brimé, dans ses droits.

Alain de l’Académie évite bien sûr de rappeler la liste des crimes historiques consécutifs au racisme sur les cinq continents. En outre, il réduit le racisme à une opinion comme une autre (ce qu’interdit très clairement la loi française).

Qu’un intellectuel (dont la famille et le peuple ont souffert durant la Seconde Guerre d’injustices et de violences inqualifiables) ose aujourd’hui présenter l’anti-racisme comme une doctrine néfaste et contribue ainsi à la réhabiliter, ce n’est pas une simple pitrerie radio-philosophique mais une forme de perversion propre à un usage intellectualiste de la philosophie.

Faut-il tant de science pour produire des raisonnements aussi fallacieux et tordus ? Le raciste ordinaire qu’on entend dans la rue ou au bistrot assume au moins sans détour sa franchise un peu bornée. En ce sens, il est moins retors que le radio-philosophe sécrétant des raisonnements aussi spécieux au frais du contribuable.

Que ses adversaires puissent trouver que l’anti-racisme (comme le féminisme, le métissage culturel ou le commerce équitable) est devenu une doxa, je peux le comprendre. Et pour ma part, je m’en réjouis. Alain de l’Académie le déplore, c’est son droit. Il ne s’agit pas de lui dénier le droit à la parole. Mais quand il s’exprime en animateur radio-philosophe sur une chaîne publique, il porte la responsabilité de ne pas dire n’importe quoi. On espère que le directeur de France-Culture, s’il lève parfois la tête de ses taux d’audience, songera à le lui rappeler. Merci d’avance.

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