Le défaut majeur, crasse, souvent honteux, de la justice, de chez nous et d’ailleurs, d’Evolène à l’Ontario, de Sion au Guatemala, est celui de la lenteur de l’institution, de son incommensurable inertie, de son infinie mauvaise foi procédurale. Tous ceux qui la côtoient savent ce dont il s’agit et haussent souvent les épaulent en soutenant – presque - que les retards pathologiques sont dans l’essence de la chose.
Abandonnons à leur sort tous ceux qui vivent de leur peu d’ardeur à exécuter des actes de justice : juges-fonctionnaires paresseux dans la seule expectative d’une retraite aussi dorée qu’imméritée, procureurs incompétents enclins à ne poser aucun acte décisif et s’échinant à ne découvrir que l’évident, avocats procéduriers truquant les faits de crainte de devenir un vrai auxiliaire de justice, greffiers en osmose avec la fonction « copier-coller » de leur traitement de texte, secrétaires indolentes à la recherche de pauses-cafés offertes par leur supérieur. Fuyons pour un instant ce vivier de réalitées non révélées, discrètes et perfides.
Et, canette de bière catalane à l’horizon, écoutons deux autres discours discourtois qui tentent de rendre deux justices parallèles, incompatibles avec le droit. Discours d’un policier sécuritaire et discours d’un avocat imaginatif.
L’homme au béret et au ceinturon paré de menottes est convaincu des bienfaits d’une police de proximité, de bandes policières organisées, de filatures répétées et pragmatiques, de coups de semonce bien huilés et de coups de bâtons bien placés, de perquisitions ciblées parfaitement exécutées, d’interdictions de bars, de stades ou de carnotzets, de longue durée. Et surtout d’une justice au clair de lune pour les plus récalcitrants, les plus voyous et les plus insolents sous la forme de vraies bastonnades dont se souviendront ces cibles délinquantes, enivrantes ou simplement volantes.
L’homme de loi au t-shirt rouge sang veut lui pour ces cas de violences ou d’incivilités répétées une diligence assumée par une bande organisée (policiers, juges, procureurs, avocats, tous motivés) qui statueraient avec une obligation de nécessaire célérité à laquelle seraient astreints tous ces justiciables qui engorgent les institutions à des fins chicanières ou dans le seul souci de ne pas assumer leurs actes. Une justice sous le chêne, rapide, à la mode des flagrants délits et avec la volonté ou la croyance de changer les choses de justice et de convaincre les crapules ou les malheureux de retrouver le droit chemin.
Trois justices criminelles sous leur apparat de respectabilité, de cynique pragmatisme ou d’impossible rapidité : crime de paresse scélérate, crime d’outrecuidance lunaire ou/et crime d’insolence divine.
Une potion impossible et inimaginable alliant patience, véracité et fermeté, adossés à un indéfectible doute, voilà la seule voie raisonnable à suivre pour tenter de donner encore un sens au mot de justice.
En ces temps troublés et imprévisibles, ni les Etats-Unis (avec Obama et les affaires Snowden et Manning), ni la France (avec le Tribunal de Versailles, les affaires Bettencourt ou le tribunal arbitral, ange gardien de Bernard Tapie), ni le Canton de Vaud (avec le procureur et l’affaire Légeret), ni le Valais (avec l’affaire de la Caisse de retraite et celle du harcèlement à l’ECS) ne fournissent un chemin ni même un semblant de passage vers une justice que l’on désirerait à jamais respecter.
Entre une justice au sabre et au clair de lune, à la napolitaine, une justice des flagrants délits marquée du sceau de la vérité et de la rapidité, une justice de la paresse dévergondée assumée et sanctifiée, le choix paraît relever de l’impossible, ce réel qui devrait appartenir exclusivement à ceux et à celles qui acceptent au fond de leur être intime l’incommensurable charge de leur fonction.
Je ne les crois pas très nombreux.