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Billet de blog 18 juin 2014

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Que doit faire un avocat de la première heure et de la dernière ? Conseiller le silence à son client

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Que doit sérieusement faire un avocat de la première heure et du dernier moment ? Imposer le silence au justiciable, son client.

De manière récurrente, répétée, insistante, bégayante, les policiers tiennent au prévenu un discours toujours identique, similaire, pour tout dire lassant : « réponds (le tutoiement pour indiquer qui est le dominant) à nos questions, nous dirons un mot au procureur et tu rejoindras plus vite les tiens ». Tel est le sempiternel propos de ces questionneurs qui jouent le coup de la vérité en suggérant au toutou une friandise s’il est bien poli, civilisé et collaborant.

Certes, quelques fois, le prévenu qui déblatère sur ses complices, sur ceux que la police ne connait même pas, est légèrement favorisé. On lui offrira un morceau de sucre avec du mauvais café. On dira ensuite : « tu vois, on tient parole, t’as pu boire dans du liquide brunãtre dans un bol en papier ».

Non, dès cette semaine, je vais conseiller aux prévenus, si amicalement traités, une seule chose, une et une seule : « qu’ils se taisent, qu’ils ne disent rien, et qu’ils invoquent leur droit absolu au silence ». Pas d’obstruction au parquet, juste le silence. Point à la ligne. Ainsi soit-il.

J’ai joué franc jeu. J’ai joué leur jeu. Avec douceur. Poliment. En brave citoyen avocat civilisé, mesuré. Le procureur m’a presque supplié d’assumer la défense de ce prévenu. Qui avait tant de méfiance envers son ancien avocat qu’il croyait que tous les avocats du monde prennent chaque jour le café avec leurs amis policiers, qu’ils font la fête avec les gendarmés et les fouineurs, que sais-je encore. Quand on est en prison, les idées les plus folles vous passent par la tête. Et le pire, c’est que ces idées parfois ne sont pas loin de la vérité.

Mais bon, le prévenu, si bien traité par ces gentils policiers, ou ces méchants, ça c’est à la tête du client et de l’avocat, peut croire parfois qu’un brin d’humanité peut sortir du prétoire. Mais non, la justice n’est pas humaine, elle est formelle, elle est si formelle, si formellement formelle, si injustement formelle au-delà du formalisme le plus abscons, qu’un prévenu qui se respecte lui-même doit aujourd’hui savoir que ses mots, les siens, pas ceux des autres, toujours les siens vus par les autres, seront triturés de telle manière qu’on voudra le kafkaïer. Alors à quoi bon vouloir participer à un jeu où l’on est, à tous les coups, perdant. Il arrive un moment où il faut savoir tirer les conséquences de son expérience.

A quoi bon parler, même pour dire l’évident, même pour se défendre, lorsque l’autre, le petit autre ou le grand Autre, allez savoir, a cette volonté cachée au fond de lui de ne jamais croire celui dont le destin a eu la fâcheuse tendance à le pousser du côté de la case prison. Et si on a l’immense malchance d’avoir un nom à consonance serbe, africaine ou malgache, on va vous jouer des tours encore plus tordus pour interpréter de manière encore plus déverouillante (c’est-à-dire qui force à mettre encore plus de verrous entre vous et le monde libre) vos paroles. Et on vous fera savoir que vos associés dans ce que la bonne société considère comme un crime, aux noms si bien de chez nous, sont déjà libres, car eux ils ont tout avoué. Vous, petit étranger d’un petit pays slave ou d’un grand pays africain, vous n’avez pas tout dit, donc vous restez au bloc, vos enfants ne vous verront pas, votre femme sera ignorée, on ne transmettra pas même les lettres de votre sœur, et votre avocat est si mal payé qu’il ne vous visitera plus qu’avec parcimonie. Il vous oubliera. Alors, petit voyou, sale petite frappe, parle et on te libèrera. Mais plus tu parles, plus tu dis ce qu’est ta vie, plus tu veux paraître sincère, plus la justice aura cette réponse : « tes dernières paroles (toujours ce tutoiement de dominants) nécessitent d’autres vérifications; alors, vois-tu, la loi nous impose de te garder au clou, de te faire vivre l’enfer en prison, si tu veux, lis le Coran et nous on t’offrira du porc à manger, c’est la loi, c’est la nôtre, continue à parler, car en parlant on pourra évoquer avec plus de malignité le risque de fuite, le risque de collusion, le risque de réitération. Et ton avocat pourra recourir, on s’en fiche comme de la mer à boire, car on sait que le Tribunal des Mesures de Contrainte confirmera notre position, on sait que le Tribunal cantonal est aussi une Chambre de l’Evêque confirmante. Parle encore, parle, sois sincère, dis le pourquoi et le comment, dis tout, dis le contraire si tu veux, mais parle, car tes mots on pourra les interpréter contre toi.

Sachant ces pratiques, connaissant l’intérieur de ces choses de la procédure de chez nous et d’ailleurs, comment donc un avocat pénaliste pourrait-il conseiller à son client de s’exprimer, de parler, de dire la vérité, de s’expliquer. De toute manière, les autres le feront pour vous.

Les plus naïfs, auxquels j’appartiens, croient que la parole bien dite peut convaincre d’une innocence ou d’une culpabilité. Mais c’est tout faux, absolument faux. Ce qui convainc d’une innocence ou d’une culpabilité, c’est l’esprit du magistrat. Et je défie quiconque d’entrer dans la tête d’un magistrat. C’est peut-être mieux d’ailleurs, ça évite d’autres déconvenues, d’autres compromissions, d’autres incompréhensions.

Laissons tout ce beau monde et osons simplement en nos terres démocratiques, en notre qualité d’avocat, surtout des plus faibles, dire à tous ces justiciables malheureux, innocents ou coupables : « soyez forts, croyez en vous-mêmes, pensez aux vôtres et, surtout, taisez-vous ». Moi, avocat, je suis là pour que vous vous taisiez.

Et si votre avocat vous suggère de parler, fuyez-le à toutes jambes.

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