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Billet de blog 20 octobre 2014

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Catalogne, 9N : David contre Goliath

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

(Par BEATRICE RIAND)

Artur Mas, dans une interview concédée hier à El Punt Avui (traduction par Béatrice Riand), répond à toutes les interrogations qui peuvent se poser après sa décision de renoncer à la consultation initialement prévue, et pactée avec les groupes politiques indépendantistes, pour la transformer en un processus de participation citoyenne. Cette nouvelle option choisie par le Président de la Generalitat a eu des répercussions politiques, puisque la belle unité qui prévalait entre les partis engagés dans le processus s’est depuis fissurée.

La majorité des citoyens ne comprend  pas ce qui est en train de se passer. Qu’est-ce qui se passe ?

Qu’est-ce qui se passe ? Donc, il se passe que nous continuons à aller de l’avant, que nous allons de l’avant avec la consultation, avec l’exercice du droit à décider, et avec le fait que les gens puissent voter.

Il doit se passer quelque chose de plus …

Il y a aussi plus de bruit qu’il devrait y en avoir. Mais le bruit, l’écume, s’en vont, alors que la substance perdure.

Perdure ou devrait perdurer ?

Perdurera. Je suis convaincu qu’elle perdurera.

Il n’y a plus de consensus maintenant ?

Le consensus doit, et doit être, une de nos grandes forces. Nous avons trois grands consensus : la mobilisation sociale, notre manière de faire les choses et l’unité politique, qui s’est fissurée cette semaine. Soyez attentif au fait que je dise « fissurée », et non brisée. Ces trois forces doivent aller de concert. Et je suis convaincu que le consensus politique peut se refaire, qu’il peut et doit se refaire. Et que nous devons nous pardonner les erreurs et non pas les amplifier, quelle que soit la personne qui les ait commises.

Mais n’y avait-il pas un consensus pour voter le 9 novembre ?

Oui, mais selon notre manière d’agir, nous voterons ou pas. Parce que nous ne sommes pas seuls. Il y a un Etat qui est contre cela, qui ne veut pas que nous votions, et qui agira avec beaucoup d’hostilité. En 24 heures, il a fait tomber la loi de consultation et le décret de convocation, qui ont été construits avec beaucoup de minutie juridique. Ils ont agi sans façons, avec rapidité et fermeté. L’adversaire n’est pas de chez nous, il est à l’extérieur, et il s’agit de l’Etat espagnol : cela nous devons le comprendre. Et si nous trouvons une manière de voter avec suffisamment de garanties, nous devons le tenter.

Rester fidèle au décret que vous aviez signé il y a quinze jours impliquait d’entrer dans le champ de la désobéissance. Vous ne vouliez pas de cela ?

Quelle valeur a la désobéissance ? Si la désobéissance nous conduit à ne pas voter et, au contraire, faire une autre chose nous le permet, quelle valeur a la désobéissance ? De plus, la désobéissance initiée par le gouvernement (catalan) n’est pas la solution la plus idoine. Nous ne voulions rien risquer. De plus,  il s’agit là d’une position « en contre »  un peu absurde. J’insiste : qu’est-ce qui est le plus judicieux ? désobéir et ne pas voter, ou obéir au peuple de Catalogne et voter ? Si l’on peut choisir, qu’est-ce qui est le plus judicieux ? Le mandat est de pouvoir voter, non ? Quel sens y avait-il de nous mettre d’accord sur une date, une question si après l’on ne peut aller voter ? Maintenant, nous maintenons l’esprit du décret, même si nous ne sommes pas fidèles à tous les détails.

Vous aviez aussi dit que le décret était impeccable sur le plan juridique et qu’il nous permettrait de voter …

Oui, et il l’est. Mais maintenant nous ne sommes pas en train de faire une chose juridiquement impeccable : nous essayons une chose qui fonctionne. Et je vous rappelle que, quand nous avons prévu le processus, toutes les étapes se sont faites de manière à pouvoir démontrer si l’Etat espagnol avait assez de sentiment démocratique pour nous laisser voter. Pour cette raison, nous avançons un pas après l’autre, pour que l’on voie qu’il aligne les « non » les uns derrière les autres. Nous accumulons des raisons (de nous comporter ainsi), et le monde le voit. C’est un processus de transition nationale, avec des étapes.

Si pour vous il apparaît très clair que le 9N est un pas de plus, et un message international, et que l’on peut y arriver sans le décret, pourquoi le reste des formations politiques ne pensent pas de même ?

J’ai ma propre opinion. Mais je ne vais pas  expliquer les détails de toutes les réunions qui  ont eu lieu ces derniers jours, mais seulement vous dire que je ferai l’impossible pour recréer le consensus. Je le répète : il faut excuser les erreurs. Nous sommes dans une étape très importante, et il n’y aurait aucun sens, de ma part, « d’amplifier les désaccords ». Nous avons besoin d’un consensus, et je ne l’affaiblirai pas. Je ne contribuerai pas à ce bazar.

Est-ce que vous vous êtes senti plus seul, politiquement parlant, ces derniers jours ?

Dès l’instant où  s’est fissuré le consensus politique, j’ai eu la sensation que j’étais plus seul, oui. Mais « plus seul » ne veut pas dire « seul ». Il y a beaucoup de personnes qui s’adressent à moi, y compris publiquement, pour me dire que, lorsque je traverse un mauvais moment, il faut que je pense à me tourner pour constater qu’il y a beaucoup de monde à mes côtés. Ils ne me disent pas qu’il y aura beaucoup de partis, ils me disent qu’il y aura beaucoup de monde. « Plus seul », comme gouvernement, oui. Mais pas moins accompagné par la population. Les gens comprennent qu’il faut faire ce qui est nécessaire pour qu’il y ait des urnes, et que s’il faut pour cela changer de stratégie, nous le faisons.

Etes-vous en train de me dire, de manière indirecte, que lors des dernières réunions avec les partis il y a eu un excès de stratégie électorale ?

On peut qualifier ce qui s’est passé de beaucoup de manières, mais je n’entrerai pas dans ce débat. Il faut refaire le consensus. Et il faut de la générosité pour cela. Pas besoin de mettre le doigt dans l’œil de l’autre. Je pourrais avoir envie d’expliquer beaucoup de choses, mais qu’y gagnerais-je ? Je veux trouver un consensus, et pouvoir voter.

Est-ce que certains ont manqué de générosité ?

Les erreurs qui ont pu être commises par les uns et par les autres ne doivent pas être amplifiées. Il faut magnifier le consensus. Et je le répète, l’adversaire est à l’extérieur de la Catalogne. Vous ne le réalisez pas ? Que voulez-vous ? Que j’alimente la discorde ?

Mais est-ce que vous comprenez que les gens s’agacent quand ils constatent que les partis politiques ne maintiennent pas le consensus ?

Oui. Et pour cette raison, quand vous interviewez le Président de la Generalitat, savez-vous ce qu’il fait, lui ? Donc, au lieu de mordre, il se mord la langue.

Qu’est-ce qui se passera donc le 9N ?

Nous faisons tout notre possible pour qu’il y ait des locaux ouverts, avec des bulletins de vote et des urnes. L’esprit du décret est respecté.

Qu’est qui serait une réussite, ou un échec ?

Le gouvernement n’est pas responsable du fait que les gens aillent voter ou pas. Ce que doit faire le gouvernement, c’est de faire en sorte qu’il soit possible de voter, malgré l’opposition frontale du gouvernement espagnol.

Quelle est votre intuition ? Y aura-t-il un taux élevé de participation ?

Je ne peux m’exprimer sur ce sujet. Je ne peux rien quantifier. Il s’agit ici d’un processus de co-responsabilités. Nous, les institutions, nous avons un rôle, et les citoyens en ont un autre. A nous de mettre à disposition les locaux et les urnes. A partir de là, cela relève de la responsabilité des personnes. Et j’espère que les gens ne se défausseront pas, si les locaux sont ouverts.

(…) Si le 9N est un succès, David aura commencé à vaincre Goliath. Il ne l’aura pas vaincu définitivement, mais il aura commencé à le faire.

Goliath ne permettra pas de voter. Le Tribunal Constitutionnel a affirmé que les préparatifs pour le 9N ne pouvaient se faire.

On verra bien. Maintenant il ne faut pas leur dévoiler les détails. Je ne dis pas que l’Etat ne pourra  pas trouver la manière de recommencer à interdire ce que nous mettons en place. Ce que je dis, c’est que nous sommes en train de leur compliquer considérablement la tâche. Et maintenant, il ne s’agit plus seulement de leur rendre cela très difficile d’un point de vue formel, mais également de le faire sur le plan de la stratégie. Si vous êtes un lapin, que vous sortez du bosquet en pleine période de chasse et que vous vous tenez immobile devant le chasseur, vous savez ce qui peut se passer. Maintenant, nous ne le ferons pas : nous n’exposerons pas notre stratégie. Mais nous ne resterons pas immobiles devant le chasseur.

Celui qui veut vous tirer comme un lapin, c’est Miguel Angel Rodriguez, le porte-parole du gouvernement d’Aznar qui, ces derniers jours, a parlé de vous faire fusiller. Que pensez-vous lorsque vous entendez de telles barbarités ?

Je mets beaucoup de distance émotionnelle, par rapport à tout ce qu’ils disent. Mais celle-ci est de dimension sidérale, et surtout quand elle est dite le jour anniversaire de la mort de Companys, qui fut fusillé. Une personne qui s’exprime de telle manière est un barbare, un antidémocrate et un intolérant. Malheureusement, ces personnages existent. Et ont occupé une charge importante.

Lorsque mardi passé, vous avez situé à l’épicentre du débat les élections plébiscitaires et la liste unique, vous êtes-vous montré déloyal envers les partis politiques ? Ou aviez-vous déjà envisagé, avec les partis, cette possibilité ?

Non. Premièrement, nous en avions parlé. Deuxièmement, personne ne voulait en parler ouvertement. Troisièmement, comme j’étais favorable au consensus, je n’en avais pas encore parlé jusqu’à ce jour. Et quatrièmement, pourquoi l’ai-je fait ? Parce que durant la nuit du lundi au mardi, un parti qui se trouvait présent lors de cette réunion du lundi, en a parlé dans son communiqué. Moi qui, favorable au consensus, m’étais autocensuré pendant des mois, j’ai pu voir comment un parti utilisait cet argument. Et utilisait l’argument de la possibilité d’organiser des élections plébiscitaires le parti qui ne voulait pas de cet argument. C’est alors que je me suis dit que moi aussi j’avais le droit d’expliquer comment je crois que s’achèvera ce processus. Et cela n’est donc pas une nouveauté. J’avais déjà parlé des plébiscitaires. Mon discours du débat de politique générale du mois de septembre 2012 en atteste.

Est-ce que vous parlé, seul à seul, avec Oriol Junqueras (leader d’ERC, principal allié du Président dans ce processus) depuis lundi passé ?

Non, pas encore. Mais j’insiste sur le fait que je ferai tout ce qu’il faut pour reconstruire le consensus. Parce qu’il doit se reconstruire.

A un certain moment, il s’est dit que le processus était viable grâce à la bonne entente entre vous et Oriol Junqueras. S’est-elle brisée ?

Les relations personnelles et politiques passent par des hauts et des bas. Mais il n’y a aucun élément qui nous mène à la rupture totale et définitive. Il n’est pas l’heure des mémorials sur des querelles internes. Il est l’heure d’aller de l’avant et de croire en ce que nous faisons. Avec les erreurs qui peuvent se commettre sur le chemin, et moi je n’affirme pas que le gouvernement n’ait pas pu en commettre. Mais peut-être que les autres aussi. Pour cette raison, nous devons reconstruire le consensus.

Le pacte de stabilité que vous avez conclu avec ERC n’est donc pas rompu ?

Cela dépend d’eux. C’est un pacte à trois, avec ERC, CIU (parti du Président) et le gouvernement.

Est-ce qu’ils vous ont informé que le pacte était rompu, ou suspendu ?

Formellement, ils ne nous ont rien dit. Ils n’ont pas dit que le pacte était rompu. Mais toutes les décisions ont des conséquences. Si nous n’allons pas voter le 9N, alors que nous le pouvons, cela aura des conséquences. Mettre en minorité le gouvernement a des conséquences. Et maintenant, tout le monde doit évaluer les décisions qui se prennent. Il est très facile de faire des déclarations, et très difficile de prendre des décisions. Et à l’heure actuelle il est plus important de prendre des décisions qui obtiennent l’assentiment de tous plutôt que d’aller faire des déclarations, qui pour brillantes qu’elles soient, ne servent à rien.

Il se parle maintenant de liste conjointe, de liste unique, de liste du pays …. Qu’est-ce qu’une liste conjointe ? Une liste de partis ? La société civile sera-t-elle représentée ?

Je vous livre ici mon opinion personnelle, et non pas celle de mon parti, ou celle du gouvernement … Un référendum sous forme d’élections est décisif s’il y a une liste qui obtient, avec un programme clair, une majorité absolue. Même s’il y a d’autres listes après, qui s’ajoutent à cette majorité absolue. S’il y a une liste partisane de l’indépendance qui obtient la majorité absolue, le référendum est gagné.

Mais vous ne m’avez pas répondu sur qui compose la liste. Est-elle uniquement affaire de partis ou la société civile sera-t-elle représentée ?

Je ne peux vous en dire plus pour l’instant. Ce n’est pas encore le moment.

Cette liste unique, dont vous parlez, pourrait-elle se voir annoncée avant le 9N ? Tout le monde, l’ANC (Assemblée nationale catalane), Omnium, et aussi ERC, demande à ce que vous annonciez la date des élections plébiscitaires.

Si nous voulons que le 9N soit un succès, nous devons nous concentrer maintenant sur le 9N. Est-ce que nous pouvons nous en sortir ? Oui. Mais si nous nous y concentrons. Un pas après l’autre.

Il est important de savoir qui forme, et pour quoi, cette liste conjointe. Quelle est sa raison d’être ? déclarer unilatéralement l’indépendance ?

Est-ce que cette liste est très importante ? Oui. Mais elle fait partie d’un scénario postérieur au 9N. Et non pas de l’actuel. Pour savoir qui formera part de cette liste conjointe, et à quoi elle servira, il faut en débattre. Pour l’instant, personne n’a voulu entrer dans ce débat. Et cela prendra du temps. Comment voulez-vous que je donne une date alors qu’il n’y a même pas un consensus sur l’instrument ? (…) On ne peut parler de la composition de la liste, si avant on ne reconnaît pas qu’elle peut être un instrument. Mais si tout le monde commence à parler publiquement de sa position, du qui, du quoi, du pourquoi … nous rendrons l’accord plus difficile. Et il est très important de trouver un accord. Parce que si les élections ne servent pas à faire un référendum, alors pourquoi devrions-nous les convoquer ? Si nous ne les convertissons pas en un référendum, alors il faut attendre, elles viendront quand elles devront venir. Il n’y a aucun sens de convoquer des élections anticipées si nous ne les convertissons pas en un référendum. Et jusqu’à maintenant, personne n’avait voulu en parler. Cela demandera du temps. Vous comprenez la puissance de cet instrument ? Comment voulez-vous que ce soit facile d’arriver à un accord ?

Vous dites que cela prendra du temps. Combien de temps ?

Un certain nombre de semaines. Il sera très difficile que ce soit avant le 9N.

Vous fixez-vous une date limite ?

Non. Parce que le concept est plus important que le temps. Mais il est évident que, passé le 9N, nous devons tous nous assoir et parler. Si le 9N est un succès, nous devons aller plus loin. Parce que je suis décidé à rendre possible le référendum.

Et si le référendum est gagné, mais que l’Etat espagnol continue sans vouloir négocier, y aura-t-il une déclaration unilatérale d’indépendance ?

En premier lieu, il faudra déterminer où sont les majorités. En Ecosse, le « non » a gagné. Pour continuer à aller de l’avant, il faut gagner aussi le référendum.

Pensez-vous que l’Etat espagnol puisse vous inhabiliter ? ou suspendre l’autonomie ?

Je ne sais pas. Ils sont capables de beaucoup de choses.

Le Président Mas habite pleinement sa fonction, et maintient sa volonté de réunir les groupes politiques autour d’un consensus. Aujourd’hui, il est arrivé à un accord avec l’un des partis, la CUP, concernant la nouvelle version du 9N.

Nul doute que les autres s’y adjoindront … pour faire le pays, comme on le dit là-bas.

C’est ce qu’ont réclamé 110’000 Catalans, hier, réunis sur la Place de Catalogne, à Barcelone, alors qu’ils chantaient le chant des Segadors, leur hymne national.

C’est ce que réclame la société civile, qui répond toujours présente … le gouvernement a en effet demandé l’aide de 20’000 volontaires, qui agiraient en lieu et place des fonctionnaires, dans l’organisation de ce nouveau 9N : en trois jours, selon NacioDigital, 23’870 personnes se sont inscrites. Et d’autres les rejoignent, d’heure en heure.

C’est ce que veut la rue … c’est ce qu’exige le peuple qui, seul, a initié le processus, et ne laissera personne le dénaturer ou l’affaiblir.

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