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Billet de blog 22 mars 2014

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Nicolas Sarkozy, l'avocat de tous ces "bâtards" de réprimés

Les avocats, de Paris et de Navarre, comme un seul homme, se sont levés pour dire leur courroux face à des pratiques policières et judiciaires qu’un ancien président de la République assimile à celles de la Stasi.

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Les avocats, de Paris et de Navarre, comme un seul homme, se sont levés pour dire leur courroux face à des pratiques policières et judiciaires qu’un ancien président de la République assimile à celles de la Stasi. Cette feinte solidarité pour l’un de nous autres, avocat, n’aurait-il pas été noble de la faire monter au mât de la cité pour tous les justiciables, innocents ou harcelés, qui ont eu à connaître de la douceur des geôles, des joies de la garde à vue, du harcèlement d’un petit juge formaliste dépourvu de bon sens, des affres des journalistes trop vite informés, de la présomption d’innocence réellement bafouée.


Car, en fait, ce que dit Nicolas Sarkozy dans Le Figaro du 21 mars 2014 est une parole d’avocat connue de tous ces grands pénalistes qui le soutiennent et qui se sont bien gardés de s’unir pour défendre d’autres causes bien plus scandaleuses que celle de celui qui « n’éprouve nul désir de s’impliquer aujourd’hui dans la vie politique » de la France. Non, ce que veut Nicolas Sarkozy, c’est de devenir cet avocat des causes pro bono qui méritent, – elles -, l’expression d’une colère justifiée.Les grands pénalistes qui sont montés au créneau pour expliquer que « les principes sacrés de la Républiques » devaient être défendus connaissent mieux que personne les débordements injustes des procédures pénales détruisant au hasard qui un père de famille, qui un brigand, qui un noble banquier, qui un huissier de province, qui un petit morveux des banlieues, qui un curé de campagne, qui un voyou sur le déclin, qui un professeur de là-bas en dépression, qui un avocat trop en osmose avec son client, qui une femme adultère amoureuse, qui un manifestant trop actif, qui un petit trafiquant de marijuana en mal de revenus accessoires, qui un automobiliste sans permis, qui un clochard en recherche d’un repas volé dans un grande surface. Les grands pénalistes connaissent les dessous des cartes, les fantaisies du parquet, les vérités fluctuantes des juges, les petits accommodements entre copains. Les grands pénalistes savent depuis longtemps que l’institution judiciaire tient plus du casino truqueur que du musée scientifique.

Les principes sacrés du droit occidental « sont foulés aux pieds avec une violence inédite et une absence de scrupule sans précédent », dit Nicolas Sarkozy. Avocat, il fait de son cas le paradigme de tous ceux qui traversent les institutions. Car le droit est cet instrument de domination et de pouvoir qui malaxe le faible, qui corrompt la vérité, qui érige le formalisme en un art du mensonge, qui fait de l’innocent un coupable, du coupable un acquitté. Qui transforme un accusé en une victime. Qui oublie les lésés et leurs dommages. Qui ignore les paroles de certains pour mieux retenir celle des moins scrupuleux. Nicolas Sarkozy connaît ces jeux de la roublardise, du faux semblant et de l’ignominie formelle. Mais aujourd’hui mieux que jamais il a peut-être compris le malheur qui a pu s’abattre sur tous ceux qui n’ont pas pu plonger leur plume dans le vitriol et faire publier leurs mots en pleine page du Figaro auquel ils n’auront jamais accès.

Nicolas Sarkozy est dans le semblant de l’indécence qu’il transforme, hélas sans le vouloir, en un art de la vérité judiciaire. Car, et tous les grands pénalistes ne peuvent l’ignorer, le droit à la vie privée a été bafoué par des écoutes téléphoniques bien avant qu’un magistrat songe à écouter un ancien président de la République. La proportionnalité pénale a de même été ignorée dans maints litiges connus de cet ancien président, qui n’a guère lutté lui-même en son temps de gloire contre « la calmonie érigée en méthode de gouvernement ».

Tous les réprimés confrontés à des injustices de la procédure pénale ont le même discours que Nicolas Sarkozy : « Que chacun réfléchisse à ce bref inventaire car demain il pourra, à son tour, être concerné ». Oui, tout un chacun, de par la grâce fielleuse d’une procédure pénale mal embouchée, pourra se retrouver confronter à un système où le bon sens aura quitté le prétoire avant même que l’accusé n’y soit conduit. Et c’est là, en ce lieu qui est trop souvent celui du délabrement du bon sens, que tous ceux qui sont pris au piège de l’indicible formaliste n’auront pas la chance de pouvoir se défendre. Ils feront semblant se sachant par avance condamnés à l’opprobre ou à une mise au ban.

Les perquisitions inutiles, les suspicions intolérables, les articles rédigés sans complaisance par des journalistes peu scrupuleux, les actes inquisitoriaux sans queue ni tête, les petits « dépassements » sanctionnées au-delà de toute proportionnalité, les commissions rogatoires destinées simplement à faire durer les procédures de crainte d’avoir à constater une innocence anticipée d’un prévenu, des accusations dépourvues de toute crédibilité, des hommes placés sous le statut de témoins assistés sans raison, la perte de tout bon sens dans les procédures pénales, tout cela et bien plus encore est connu de ces grands pénalistes qui, jour après jour, s’escriment à démontrer la bonne manière de pratiquer la justice.

Les grands pénalistes, et les autres aussi, savent les pratiques de copinage, connaissent la nature des rapports de bon voisinage judiciaire, sont à la source d’actes utiles de compromission préservant leurs clients et leur propre grandeur, n’ignorent pas les amitiés de certains avec d’autres, tout cela sans que les justiciables n’imaginent qu’ils sont si souvent l’objet de tous ces traquenards. Ces « trafics d’influence » débordent de toutes parts sans que quiconque, parmi ces grands pénalistes, n’ait songé avant Nicolas Sarkozy à venir sur la place publique transformé leur vocation en un cri public d’insatisfaction face à l’inacceptable et à l’inadmissible.

Nicolas Sarkozy savait. Il savait que le droit n’est pas la justice. Que l’institution judiciaire n’est pas arrimée au bon sens, ni même à une intelligence morale minimale. Il savait que les instructions pénales à charge sont la règle, les instructions à décharge l’exception. Il savait. Et il a su se taire du temps de sa grandeur. Et il vient aujourd’hui parler, en écrivant, pour apparaître en une sorte d’avocat vertueux des petits justiciables assassinés sans pouvoir parler.

Avocat, j’ai connu un jour un juge d’instruction poser cette question à un justiciable, aujourd’hui ruiné et dont tous les droits ont été bafoués au-delà même de ce que le lecteur pourrait imaginer (mon lecteur français se croira rassuré puisque la chose se passe en Suisse !) : « Monsieur Dupont, acceptez-vous de répondre à mes questions ? ». Le prévenu ( le « mis en examen » dit-on en France) hésita deux secondes. Et le magistrat, rouge de colère, lui dit : « J’ai vu vos yeux, Monsieur Dupont, aller tout là-haut vers la droite. Je connais ce mouvement des yeux. Cela veut dire que vous mentez. Vous êtes un menteur, un grand menteur, un immense menteur, Monsieur Dupont ! ». Et Monsieur Dupont fut assassiné sur la place publique sans que quiconque, d’avocat ou de magistrat, n’ait un seul mot à redire face à ces pratiques nauséabondes. Le magistrat fut promu, l’inculpé fut condamné. Le citoyen ordinaire fit semblant de croire que la justice avait été rendue.

Et Nicolas Sarkozy, en grand prêtre de l’harmonie constitutionnelle, ose : « Et pourtant, envers et contre tout, je garde confiance dans l’institution judiciaire, dans l’impartialité de l’immense majorité des juges, dans la capacité de la justice à ne pas se laisser instrumentaliser ». Petit naïf, va !

Nicolas Sarkozy est devenu ce 21 mars 2014 l’avocat de tous ces « bâtards » de réprimés.

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