Rien de tel que la saveur d’une paella marinière pour amener à petits pas les Catalans à s’épancher, à mots feutrés, sur le cas fiscal de Lionel Messi. La diva du FC Barça, la star des stars, le meilleur joueur de football au monde, le top scorer de la Liga espagnole, l’idole planétaire du ballon rond, aurait donc « oublié » de déclarer près de 4 millions d’euros au fisc espagnol. En ces temps de disette budgétaire, en ces temps de chômage dramatique des jeunes en Espagne, en ces temps de contrainte budgétaire, en ces temps où la justice ibérique colle aux basques des ministres, d’une princesse royale et de son coquin de mari, le football n’a pas échappé aux scandales. Et la cible n’est pas banale; elle a un nom : Lionel Messi.
A mots doux, l’enquêteur que je suis tente d’appréhender la chose à travers le regard du Catalan. Et on sent la délicatesse du sujet. Que l’on résout par une boutade toute hispanique : « S’il s’agissait de Casillas, du Real Madrid, ce serait très grave ! ». En peu de mots, l’essentiel est dit : l’administration madrilène hait la Catalogne, jalouse le Barça et fera tout son possible pour pourrir la vie du Messie de chez nous. Mais aussi : en ces temps d’instabilité économique, ce n’est pas bien du tout que de soutirer à l’Etat de l’argent dont celui-ci a temps besoin.
La Catalogne a aussi accepté les explications publiques fournies par le joueur : il s’agit simplement d’une querelle d’interprétation. A aucun moment, moi, Lionel Messi, n’ai eu la volonté de frauder le pays qui m’a accueilli, qui m’a soigné et qui a fait de moi ce que je suis aujourd’hui.
Les vrais fiscalistes ne me contrediront pas : les querelles interprétatives en droit fiscal sont multiples. Un mot peut en cacher en autre; un ouvrage de doctrine peut être contredit par le suivant; la jurisprudence a ses sautes d’humeur que personne ne peut contrôler; une déduction fiscale est admise par un contrôleur et refusé par son adjoint; l’humeur matinale d’un contribuable peut affecter le résultat d’une investigation et d’un contrôle. En résumé : rien n’est du domaine de la certitude dans ce jeu de filous et de voyous. Que ceux qui croient encore au principe d’une quelconque égalité fiscale se rassoient et lisent du John Grisham ou du Sulitzer.
L’affaire se corse encore plus dès l’instant où l’on sait que ce qui est en jeu dans ce poker-menteur, ce sont les droits d’images de la star mondiale. Messi à lui seul est une entreprise dont les recettes ne sont pas seulement liés à son salaire, à ses primes et ses bonus contractuels. Sa seule présence aux côtés des leaders de produits ou de marques engendrent des mouvements bancaires, des virements et des contre-virements qui donnent le tournis aux plus grands experts-comptables. Il n’y a donc nulle surprise à ce que « L’Entreprise Messi » songe à suivre les pas de Apple dont une commission sénatoriale américaine a dévoilé l’art de ne payer des impôts dans aucun pays au monde.
Et puis, soyons un instant sérieux : si Lionel Messi manie le ballon comme Mozart le clavecin, sans trop de risque de me tromper, j’ose affirmer que les subtilités du droit fiscal, des paradis offshores et des contrats tarabiscotés ne sont pas le pain quotidien de ce joueur de football. S’il connaissait par cœur la législation helvétique ou celle des Iles Vierges, il n’aurait pas eu cette maîtrise du cuir rond qui est la sienne. Les heures passées dans une bibliothèque font rarement un sportif de haut niveau.
Le cas Messi, à l’exemple d’une volée d’autres si similaires, révèle un monde fiscalement pourri où les juristes spécialistes, les avocats fiscalistes, les économistes d’entreprise, les créateurs de Antstalts, les fiduciaires fiduciantes, les fiduciants de la fiducie de haute voltige, les autres artistes de l’argent évaporé, entretiennent un marché où les meilleurs sont ceux qui privilégient les immensément riches en leur faisant croire que sous leur houlette ils pourront optimiser leurs charges fiscales, une optimisation qui, disent-ils après avoir savouré un thé au tilleul ou une ligne de coke, peut être assimilée avec eux à une défiscalisation totale. Et c’est alors que sont constituées des paravents en forme de sociétés développant des prestations fictives et des factures d’une qualité frisant l’escroquerie à haute dose. Ces beaux parleurs transforment la fraude en évasion fiscale, traduisent soustraction fiscale par optimisation fiscale et rédigent des ouvrages où ils parviennent à faire croire à leurs étudiants que la fraude fiscale n’est pas la soustraction fiscale qui n’est pas l’évasion fiscale qui n’est pas l’optimisation fiscale qui n’est illégale. Sur ce chemin tortueux de la terminologie mensongère apparaissent des petits lutins dont le nom porté aux nues est utilisé pour apprivoiser d’autres gredins coquins, mesquins et finalement très peu malins.
Lionel Messi a pourtant cette responsabilité – mondiale – de s’être entouré d’hommes et de femmes qui, à force de courtisanerie et de servilité serpentine, l’ont utilisé pour éviter à cette idole de la jeunesse de trop payer d’impôts. Mais, à ce niveau de gloire, l’homme béni des dieux a le devoir absolu d’éviter toute compromission, fut-elle à fin d’optimisation fiscale. Le danger de tomber une piscine toxique et de ne plus pouvoir remonter à la surface est bien trop grande : Diego Maradona, le frère de sang de Lionel Messi, est là chaque jour pour nous le rappeler.
La main de Dieu impose aujourd’hui à Lionel Messi le versement d’une dime spéciale. Que le Divin Léo ne fuie pas et assume en regardant l’Espagne droit dans les yeux. Il aura alors à jamais dépassé Diego.