Avocat, libéral de pensée, cultivé, genevois, Michel Halpérin est également un ami des petits rongeurs, un plaisantin et un sujet fiscal.
Inaugurant une nouvelle rubrique du Matin Dimanche, Maître Halpérin compare les Suisses aux lemmings. A ces petits rongeurs qui « croissaient et se multipliaient ». Qui abandonnèrent un jour « leurs campements, migrèrent vers de hautes falaises d’où ils jetèrent ensemble pour s’écraser au sol ou dans l’océan glacial ». La Suisse, suggère le chroniqueur du jour, a renoncé depuis une trentaine d’années à des éléments importants de sa souveraineté fiscale. Pas à pas, quoique grossièrement, la conclusion surgit à la vue du lecteur : « Comme nos voisins et amis des dictatures fiscales, nous serons alors passés du rang de citoyens à celui de sujets. »
Dans le même Matin Dimanche, du même jour, quelques pas après le coup de semonce métaphorique de Me Michel Halpérin, dans la rubrique « Economie », le lecteur attentif apprend que les Etats-Unis d’Amérique « adoptent à leur tour » la transparence, « les fraudeurs devront dire bye-bye au Delaware ». L’Amérique d’Obama a en effet livrer « en bloc tous les noms des clients norvégiens détenteurs de cartes de crédits dans 18 banques, dont Wells Fargo ». Le vice-directeur du fisc américain, Douglas O’Donnel s’est réjoui : « Gâce à notre réseau d’accords d’entraide bilatéraux, des pays peuvent mettre un terme à la fraude globalisée qui consiste à cacher des revenus à l’étranger ».
Michel Halpérin est trop avisé pour ne pas savoir que le citoyen suisse, à l’exemple de ses voisins appartenant à des « dictatures fiscales » (on aurait aimé que cet honorable membre du barreau genevois expliquât sans sourire quelles étaient ces dictatures fiscales et en quoi leur régime de fiscalité aurait été assimilable à ce qu’est une dictature), est aussi un sujet fiscal. Les livres de doctrine et de jurisprudences fiscales, parmi lesquels ceux de son éminent confrère Raoul Oberson, pullulent depuis longtemps des signifiants « sujet fiscal » sans que personne jusqu’à aujourd’hui n’eût songé à penser que ces mots accolés pussent être mis en parallèle avec une quelconque dictature fiscale. Mais le rongeur plaisantin, ce lemming qui en troupe s’en allait vers son destin glacial (le nôtre à tous en fin de compte), nécessitait une métaphore trompeuse. Car le sujet rongeant, en matière de fiscalité, est l’Etat et l’objet de son courroux le citoyen rongé.
Mais, dit très confraternellement, le citoyen, sujet fiscal, des pays de chez nous, de l’Italie à l’Allemagne, de la France à l’Autriche, est inscrit dans des démocraties parlementaires qui fixent des lois, des barèmes, des conduites à tenir et des revenus à déclarer. Dès l’instant où ces citoyens considèrent, pour des raisons subjectives qui leur appartiennent, que les règles de l’Etat de chez eux ne sont pas en conformité avec leurs ambitions personnelles, ils peuvent devenir, s’ils s’enfuient ou refusent d’annoncer leur confortable magot, des délinquants fiscaux, parfois des criminels économiques.
Et un criminel, fraudeur de son état, dit la loi, peut être recherché, poursuivi et sanctionné. Et l’on dit qu’une bonne aide internationale permet parfois de retrouver ces voyous de l’argent non déclaré. Qui, de sujets fiscaux, deviennent alors des prévenus, des mis en examens, des inculpés, des accusés et puis, parfois, des condamnés. Ou des acquittés, ne sait-on jamais. Cela s’appelle, grossièrement énoncé, un Etat de droit.
Je n’ose imaginer une seconde qu’un ancien Bâtonnier ait songé à assimiler un Etat de droit à une dictature. Qu’il sache que je ne l’ai pas pensé une seule seconde. En revanche, Me Michel Halpérin m’a convaincu : il est un remarquable défenseur de la banque suisse, de ses banquiers et de tous leurs clients.
Respectueux ou non des lois fiscales de chez eux ou d’ailleurs.