La France, sous l’impulsion de Mediapart, a mal à ses institutions. Le scandale – et le mot est ici d’une légèreté absolument coupable -, mis sur la place publique depuis de nombreuses années, atteint jusqu’aux fondements de la démocratie occidentale.
Le plus étonnant, le plus honteux peut-être, est que presque personne ne s’avisa au moment du prononcé arbitral d’hurler à l’illégalité la plus absolue de la somme accordée à Bernard Tapie à titre de tort moral.
40 millions d’euros. 40’000’000 !
Au sens strict, le préjudice moral « pur » correspond à l’atteinte aux sentiments de la victime, à l’instar de celle qu’elle peut éprouver dans son honneur, dans sa réputation ou dans son affection. Une telle atteinte se distingue alors à la fois des préjudices matériels « purs », tels que des atteintes aux biens immédiatement susceptibles d’évaluation pécuniaire, et des préjudices corporels, qui englobent quant à eux toutes les conséquences d’une lésion du corps humain, qu’elles soient d’ordre patrimonial ou non patrimonial. Au sens large, le préjudice moral regroupe l’ensemble des atteintes qui n’affectent pas directement un patrimoine. Soit, outre les préjudices moraux « purs », les effets extrapatrimoniaux d’un dommage corporel, à l’exemple du « prix de la douleur » ou pretium doloris.
L’une des dernières jurisprudences significatives en France dans le champ du droit moral est lié à un arrêt rendu par la Cour d’appel de Nouméa qui a octroyé une somme de 125’701 euros au titre de la perte de chance de survie. Un décès d’un parent pour un enfant mineur équivaut à une indemnité maximale de l’ordre de 25’000 euros. En Suisse, à titre comparatif, on peut imaginer que le décès d’un parent équivale à quelque 50’000 francs suisses au maximum.
Tout un chacun peut ne rien comprendre à l’affaire du Crédit Lyonnais, à la vente d’Adidas, à la personnalité de Bernard Tapie, aux dessous de la chose. Mais tout un chacun, n’importe qui, du plus honorable clochard au plus mesquin expert-comptable, du boulanger de quartier au serrurier de banlieue, de l’avocat le plus prestigieux au sans-papier le plus ignoré, sait de certitude absolue que cette somme accordée à Bernard Tapie à titre de tort moral relève du détournement organisé de fonds publics (et il importe peu de jouer avec les subtilités de la qualification juridique exacte).
40 millions d’euros. 40’000’000.
On peut ergoter sur les responsabilités pénales des uns et des autres, de celui-ci ou de celle-là, de tel ou telle; on peut faire de la casuistique pénale ou de la politique de bassecour; on peut se convaincre que le Tribunal arbitral est plus coupable que le président, la ministre ou le conseiller; on peut se dire que le bénéficiaire est plus margoulin que ses commis; on peut dire que la secrétaire qui a posté le pli judiciaire est moins scélérate que les signataires de la sentence; on peut dire que l’avocat de la victime atteinte dans sa personnalité est plus escroc que le mandataire de la partie qui a refusé de recourir suivant les instructions de je ne sais quel juriste-fonctionnaire servile; on peut dire tout et son contraire.
40 millions d’euros. 40’000’000.
A titre de tort moral.
La déliquescence de l’institution administrative, politique et arbitrale, l’insolence criminelle du gouvernement (et il importe peu de savoir qui tenait le volant, qui appuyait sur la pédale, qui passait les vitesses, qui lorgnait dans le rétroviseur) est au-delà de tout décence.
40’000’000 d’euros. 40’000’000.
Octroyés il y a près de cinq ans.
Et tout le monde – ou presque – reste là, ébahi et se réjouissant presque de la qualité du yacht acquis par Bernard Tapie.
A ce stade de démesure, à ce stade d’énormité, à ce stade de criminalité économique et financière, on ose – même de l’étranger – s’interroger : la VIème république, c’est pour quand ?