(Par BEATRICE RIAND)
Petit salopiot, tu nous as déshabillés, avec lenteur, en toute conscience, sans concupiscence (certaines le regretteront) mais avec une jubilation que même les super- structures nerveuses de ton cerveau ne pouvaient nous dissimuler.
Tu as aimé cela, petit saligaud … les spectateurs en ont oublié qu’ils avaient payé un billet, ils voulaient s’assoir à ta petite table, boire un verre avec toi et continuer de s’abreuver à ta verve. Encore et encore. Ils ont aimé, et moi avec, et le temps a volé, nous a volés. On ne l’a pas vu passer, ce con.
Tu es une canaille parce que tu as fouillé dans nos entrailles … sale temps qui nous fuit, sale corps qui s’affaisse, sale vie qui amoche. Fini les rêves déments, le corps qui chante, la tête qui explose, bonjour la vie, ses emmerdes, ses embrouilles. Plus possible de l’ignorer, cette machine qui nous porte. Non, faut faire avec. Ruser. S’économiser. Faut être prudent. Moyen.
Mais tu nous as fait rire, avec ces combats perdus d’avance … et les mots s’enchaînent, se suivent, et toujours nous ressemblent. Nous assemblent.
J’ai cherché la faille, en bonne emmerdeuse. Une phrase cerne d’emblée le personnage : « Je bande mou ». Forcément, ça interpelle … et tu te dis, attention, c’est du lourd qui s’annonce. Du 5 tonnes. Mais non. Je cherche ailleurs alors. Je cherche la faute.
Décor minimaliste … mais ça fonctionne. Des cahiers sur la table, un ou deux regards furtifs … on s’en fiche, regarde tant que tu veux, tant que tu continues. Peu de lumières … oui, mais bien dosées, et puis l’essentiel est ailleurs.
Tu es là, tu parles et on te suit. On te croît. Le thème oblige à l’immersion : on vieillit tous, on recule tous. On connaît tous des défaites. Et on adore connaître celle des autres, histoire de se situer … Il y a des pauses, tu oses les silences : un grand art que le silence … il y a des qualités de silence. Comme un souffle qui espère, comme une parenthèse qui ouvre sur le peut-être.
Et puis, que te dire d’autre, Recrosio. Tu as tout juste, tout bon : les inflexions de la voix, les mimiques faciales, la tension dans le corps, les mimes.
Merde, ça fait du bien de t’entendre … mais les gens le savent-ils ? Quatre, cinq représentations à Sion, ce n’est pas assez. Et puis, les écoles, les écoles … il faut que les jeunes t’écoutent, te voient, t’entendent. Il y a plein de Dylan qui ne le savent pas. Plein de Max qui s’ignorent.
Tu vois, je n’ai pas pu rester au « bord de scène », cette invitation que tu lances à celles et ceux qui souhaitent échanger avec toi après le spectacle. Une prochaîne fois. Deux enfants à la maison. Une bobonne. Et puis la pression.
Ecrire sur ce que j’ai vu dans la foulée … sans notes. Sans appui. J’aurais pu planquer une feuille et te voler tes phrases, histoire que tu fasses le travail à ma place. J’aurais pu ainsi disserter sur la portée philosophique de certaines saillies (tu as lu Spinoza, avoue-le). Mais bon, à quoi bon raisonner : inutile, tout est bon dans ce cochon !
Et puis un mec qui termine son spectacle en nous souhaitant à tous un bon orgasme mérite mieux qu’un prêchi-prêcha verbeux et indigeste.
Bravo, Recrosio.
Et courez-y, vous autres … allez-y. Il vous régalera.