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Le « hold-up démocratique » dénoncé par la Coordination Rurale en Lozère ou Gironde ne s'est pas reproduit à Albi. La FNSEA a finalement renoncé à présenter un candidat contre Sébastien Bruyère. Le chef de file de la liste arrivée en tête dans le collège des exploitants agricoles a été élu à la présidence de la chambre d'agriculture du Tarn au troisième tour de scrutin. Le viticulteur du Gaillacois approché pour tenter de renverser la vapeur dans la dernière ligne droite, élu dans le collège des coopératives, n'est pas sorti du bois.
Les scores des « bonnets jaunes » qui avaient envahi le salon de l'agriculture lors de l'inauguration par Emmanuel Macron l'an dernier représentent une petite révolution lors des élections professionnelles agricoles de février dernier en Occitanie. La liste de ces bruyants contestataires a rassemblé 44% des suffrages dans le Tarn, loin devant celle de la FDSEA (35%) alliée aux Jeunes Agriculteurs (JA). La Confédération Paysanne, qui regroupe les paysans classés « à gauche », ferme la marche avec 20% des 2.672 bulletins dépouillés à la préfecture. Dans le Tarn comme dans le Gers et une quinzaine de départements situés majoritairement dans le grand Sud Ouest, la FNSEA a été doublée sur sa droite.
Bonnets jaunes et blanc bonnet
Les dirigeants locaux de la FNSEA avaient pourtant senti le vent tourner dès l'hiver 2023. C'est dans le Tarn qu'une poignée de Jeunes Agriculteurs avaient lancé la campagne de déboulonnage des panneaux routiers à l'entrée des communes. Ces actions, aussi médiatiques que pacifiques, entendaient renouveler les traditionnels manifs agricoles, avec jet de purins sur les préfectures et autres bâtiments publics symboliques. Le slogan, relayé par les communicants de la FNSEA, sonnait comme un avertissement à Macron et au gouvernement : « la France marche sur la tête ». Mais dans le ciboulot de nombreux agriculteurs, déboussolés par des crises à répétition (sécheresse, grippe aviaire, arrachage des vignes, accords de libre échange de l'Europe avec l'Argentine et le Brésil, etc), les neurones sont entrés en ébullition. Tempête sous les bérets, les casquettes et les bonnets : Macron et ses premiers ministres qui se sont succèdés à Matignon (Borne, Attal, Barnier, Bayrou), c'est comme le businessman président le tentaculaire groupe industriel Avril (les huiles Lesieur et Puget, le Diester et les oeufs Matines) tout en tirant les ficelles du syndicat majoritaire : bonnet blanc et blanc bonnet !
La fameuse « cogestion » qui a fait du siège de la FNSEA le véritable ministère-bis de l'Agriculture depuis 1945 a du plomb dans l'aile. Le syndicat a conduit à marche forcée la modernisation de la vieille France vichyste à force d'engrais de synthèse, de pesticides et de tracteurs gros comme des tanks Sherman. Il se retrouve désormais en première ligne face aux chariots de Leclerc, Carrefour, Lidl et Cie. « Pas question de revenir en arrière pour faire plaisir aux écolos », plaidait en substance Céline Imart au printemps dernier pendant la campagne des élections européennes qui a vu le triomphe de la liste RN tirée par Bardella dans le Tarn (33%). Elue au parlement de Strasbourg sur la liste LR en dépit de son maigre score sur ses terres (6%), l'ancienne dirigeante des JA a refusé de « faire barrage » au RN en appelant à voter pour le fiston Carayon qui a quitté le parti pour rejoindre Eric Ciotti aux dernières élections législatives.
Cogestion locale avec le PS ou le RN ?
L'agricultrice de choc qui laboure 230 hectares à Cuq-Toulza s'est faite bien plus discrète pour le dernier scrutin, purement professionnel, à la chambre d'agriculture. Céline Imart, comme d'autres jeunes agriculteurs du département, a-t-elle aussi lâché la « vieille » FDSEA au profit de la Coordination Rurale dans le secret de l'isoloir électronique ? La FDSEA a payé dans les urnes la colère des agriculteurs du Tarn contre la « cogestion » avec le président (PS) du département et Carole Delga, présidente de la région. On a vu de grands propriétaires, pas foncièrement écolos, protester jusque dans les colonnes du Figaro contre l'A69 qui bousille leurs exploitations pour faire passer la future autoroute de Castres. Dans le Gaillacois, d'autres agriculteurs s'étaient organisés en milice pour chasser les zadistes de Sivens : ils ne comprennent pas que le barrage promis par les élus ne soit toujours pas sorti de terre. Sans parler du loup, qui fait son retour dans les montagnes mais qu'on ne peut pas chasser, le fusil étant réservé aux agents de l'OFB...
Excédé, le nouveau président des Jeunes Agriculteurs du Tarn élu en mars 2022 avait tenu à exposer ses doléances au député du coin. La photo de Christopher Régis, céréalier du canton de Puylaurens-Cuq Toulza, aux cotés de Frédéric Cabrolier dans les locaux de la chambre d'agriculture, a été publiée dans Le Paysan Tarnais. Mauvaise pioche « co-gestionnaire » : l'unique député RN du Tarn a été renvoyé à son mandat de conseiller municipal d'opposition d'Albi par l'ex-sénateur Bonnecarrère lors de la dissolution-surprise d'Emmanuel Macron. Les jeunes pousses du syndicalisme agricole ont pris leur revanche en déboulonnant la statue de la FNSEA locale, jugée trop passive à leur goût. L'ancien député d'extrême droite a tenu à féliciter le nouveau président de la chambre pour avoir échapper "aux magouilles d'entre tours".