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Billet de blog 6 mai 2024

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Toutes les musiques que j'aime...

La scène musicale toulousaine présente une large biodiversité culturelle. Le projet de « cité de la musique » promis à l'orchestre national du Capitole devrait-il aussi s'écrire au pluriel ?

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Illustration 1
Le chanteur Dick Annegarn résidait dans le quartier Saint-Aubin avant de s'installer définitivement dans le sud du département © Stéphane Thépot

Toulouse rime avec blues. Claude Nougaro n'a-t-il pas poussé la licence poétique jusqu'à faire de son papa, baryton à l'opéra, son seul « chanteur de blues » lorsqu'il « arrête ses pas » sur la place du Capitole dans son hymne à sa ville natale ? La vérité, plus prosaïque, incite à reconnaître que la musique des esclaves noirs dans les plantations de la lointaine Amérique n'est pas le genre le mieux représenté à Toulouse. "Toutes les musiques qu'on aime...", elles ne viennent pas de là, pour paraphraser un vieux tube (1973) de Johnny Halliday.

« Quand on veut chanter l'espoir, quel manque de pot », anticipait un Nougaro plutôt fan de jazz (Armstrong, 1965)... mais qui fera un retour triomphal dans les hits-parades en se découvrant chanteur de rock de l'autre coté de l'Atlantique (Nougayork, 1987). Juste pour le plaisir de faire rimer New-York. En vérité, Claude Nougaro, qui se rêvait danseur dans sa jeunesse, était d'abord un poète. Un « tchatcheur », jongleur de mots enchanteurs. Il descendait en ligne directe des troubadours occitans, assure Claude Sicre. Le chanteur des Fabulous Troubadors, duo de "rap patois" qui animait jadis la vie culturelle de son quartier fétiche d'Arnaud Bernard, partageait une passion pour le Brésil avec Nougaro. Sa musique est métisse, c'était un précurseur de la "World Music". La scène musicale toulousaine partage cette biodiversité culturelle, du "classique" au bel canto et au tango en passant par tous ces refrains populaires entendus à la radio que certains puristes désignent sous le vocable un peu méprisant de "variétés".

En 1987, Claude Sicre avait fait revenir le chanteur de Paris pour animer le carnaval universitaire en le hissant sur le toit du Capitole. « Tu veux me faire chanter sur la tête de mon père », s'est exclamé Nougaro ! Il se disait « motsicien », à la grande joie des rappeurs contemporains. BigFlo et Oli, qui s'apprêtent à remplir le Stadium pendant deux soirées consécutives en juin, ont prévu de lui rendre hommage devant leurs fans. « Prête nous ta langue, qu'on la maltraite un peu », balancent au micro de France Inter les deux jeunes frangins toulousains dans une très belle lettre ouverte au chanteur disparu il y a vingt ans déjà.

Le riche programme de "l'année Nougaro" à Toulouse a débuté en mars dans la salle du quartier des Sept Deniers qui porte son nom par deux remarquables concerts mêlant violonistes classiques et cuivres de free jazz à l'initiative de Joël Saurin. L'ancien bassiste du groupe Zebda a voulu revisiter un album oublié de Nougaro, Âmes Soeurs (1973), loin de ses tubes les plus connus. Le musicien toulousain confie avoir surtout voulu le tordre le cou à l'idée que le français, langue littéraire, n'était pas indiqué pour être chanté. C'est oublier que même Molière accompagnait ses pièces de théâtre avec la musique composée par Lully, appuie Michel Brun. Ce passionné de musique baroque dépoussière aussi à sa façon la frontière entre musique dite "savante" et populaire.

Bigflo et Oli, « ambassadeurs du conservatoire »

L'ancien prof de flûte traversière au conservatoire de Toulouse se souvient de débats homériques avec Marc Bleuse, ancien directeur qui a marqué institution toulousaine de son empreinte entre 1992 et 2005. « Il avait une vision classique et élitiste de la musique, mais il a su faire du conservatoire un outil extraordinaire », reconnaît Michel Brun. Sous son impulsion, l'école qui venait de quitter la rue Labéda pour aménager sur le site de l'ancien hôpital militaire Larrey s'est hissé dans les premiers rangs à l'échelle nationale, formant chaque année plus d'une centaine de musiciens et de danseurs. Le nouveau directeur, Michel Crosset, s'efforce depuis son arrivée en 2021 de battre en brèche l'image encore trop élitiste à son goût de l'établissement en multipliant les ouvertures vers le public et les concerts à l'auditorium Saint-Pierre des Cuisines. Il ne manque pas d'ériger BigFlo et Oli, anciens élèves de l'école, en « ambassadeurs » du conservatoire.

« C'est une véritable pépinière, on voit chaque année des dizaines de musiciens sortis de l'école débarquer à Paris » ajoute le mandoliniste Julien Martineau. Le musicien qui développe une carrière de soliste à coté de son pupitre au sein de l'orchestre du Capitole enseigne désormais son instrument au sein de l'école toulousaine. Il n'a pas manqué d'inscrire quatre jeunes prodiges toulousains de la musique classique au programme de la troisième édition de son festival estival, aux cotés de têtes d'affiches comme Ibrahim Maalouf ou Kyle Eastwood. « Le conservatoire de Toulouse mériterait un statut d'établissement national, comme à Lyon », estime Jean-Christophe Sellin. L'ancien adjoint (LFI) de Pierre Cohen salue aussi l'action de l'association Music Halles, qui offre des « cours » de rock et les musiques actuelles avec des musiciens professionnel au sein de l'ancienne papeterie Job dans le quartier des Amidonniers. Il pointe en revanche le manque de salles de répétition pour les groupes amateurs ou professionnels. « Il faudrait multiplier les salles comme le Métronum dans les quartiers périphériques ».

Quelles jauges pour quelles musiques ?

Arrivé l'an dernier à Borderouge pour diriger à la fois le Métronum et le festival Rio Loco, Fabien Lhérisson se déclare frappé par la place de « carrefour musical » de Toulouse. « Il y a beaucoup de concerts et de festivals dans des genres très variés », constate ce quinqua barbu qui a longtemps dirigé une 3salle de musiques actuelles" (SMAC) réputée dans les milieux rock de la région parisienne. Sa mission est d'obtenir la même reconnaissance du ministère de la Culture pour l'équivalent public du Bikini à Ramonville. Fabien Lhérisson ne craint pas de « lancer des ponts » au-delà du rock en accueillant aussi du jazz à Borderouge. Les musiciens baroques de Michel Brun viendront même jouer du Bach dans ce temple des musiques amplifiées.

Le rock, le rap ou la musique électro ne sont plus vraiment les parents pauvres de la musique à Toulouse. Groupes et DJ se produisent dans de multiples salles privées, comme Le Connexion Café de la rue Gabriel Péri, en plein chantier de rénovation suite à un changement de propriétaire. Le quartier de la Cartoucherie va s'enrichir d'une nouvelle salle modulaire de 400 à 700 places en septembre. Initié par Gilles Jumaire, ancien patron de Bleu Citron qui produit la plupart des concerts du Bikini, ce projet se présente comme complémentaire du Zénith voisin (9000 places), inauguré en 1999. Présentée comme l'équivalent toulousain de l'Olympia, cette salle à l'architecture aussi déroutante que le reste de l'écoquartier aménagé autour des anciennes halles a été baptisée La Cabane. Cette salle privée devrait abriter des concerts et des spectacles d'humour, sur le même créneau que l'amphithéâtre du casino Barrière sur l'île du Ramier (1200 places).

C'est paradoxalement la musique dite "classique", jadis dominante, qui semble demeurer à la traîne. La promesse de Jean-Luc Moudenc à Tugan Sokhiev d'offrir un nouvel « auditorium » à l'orchestre du Capitole s'est évanouie depuis que le ministère de la Justice a fait savoir que l'ancienne prison Saint-Michel n'était finalement plus à vendre. Le chef russe, qui compte toujours de nombreux supporters dans la ville et parmi les musiciens, s'est brouillé avec le maire juste avant la fin de son contrat à cause de la guerre en Ukraine. Francis Grass, adjoint à la Culture, veut croire que le jeune chef finlandais choisi pour lui succéder saura faire oublier cet épisode. Tarmo Peltokovski doit prendre ses fonction de directeur musical de l'orchestre en septembre. « Le premier contact avec l'orchestre a été encore plus enthousiaste qu'avec Tugan », assure Francis Grass.

Le "ministre de la Culture" de Jean-Luc Moudenc reconnaît toutefois que la Halle aux Grains n'est plus au niveau de l'orchestre sur le plan acoustique. La construction d'une nouvelle salle de concerts s'impose. Jauge prévue 2.100 places. Mais il faut aussi prévoir les places de parking et un accès au métro ou aux transports en commun. La redéfinition du projet ne porte plus seulement sur un « auditorium ». Le nouveau bâtiment ne sera pas exclusivement réservé à l'orchestre du Capitole. La municipalité recherche un site pour édifier une « cité de la musique ». Mais aussi de crédits pour un projet plus modeste que la nouvelle Philharmonie de Paris de Jean Nouvel (plus de 300 millions). « On peut faire quelque chose de simple, fonctionnel et esthétique sans avoir la prétention de faire une coûteuse œuvre d'art », assure Francis Grass.

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