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Pas moins de 22 oursons ont été détectés dans les Pyrénées en 2024, selon le rapport annuel publié par l'Office français de la biodiversité (OFB). Ce "pic" de naissances est un record qui pourrait même être battu dès cette année, puisque cet austère document de 25 pages révèle que « 17 à 21 femelles sont susceptibles d'avoir des oursons » à leur sortie de l'hibernation. Soit davantage que les 13 portées identifiées sur les versants français et espagnols du massif par les 450 naturalistes professionnels et amateurs du « réseau ours brun » (ROB) qui parcourent inlassablement la montagne à la recherche de traces, poils ou crottes.
« Nous n'aurions jamais osé l'espéré quand nous avons initié les premiers lâchers d'ours » se félicite l'association Pays de l'ours, qui a lancé le mouvement en 1996 depuis le village de Melles (Haute-Garonne) avec deux femelles importées de Slovénie. Un gros mâle de plus de 250 kilos, baptisé Pyros, suivra le même chemin au printemps suivant. En dépit de la mort d'une des deux femelles, abattue par un chasseur dès l'automne 1997, ce premier foyer de repeuplement a prospéré. Une deuxième vague de réintroductions (4 femelles et un mâle), fortement contestée par des éleveurs en colère, s'est déroulée en 2006 dans les Pyrénées Centrales.
Désormais, on ne prend même plus la peine de « baptiser » les oursons de l'année, désignés par un numéro de code dans le rapport du ROB qui se contente de distinguer leur sexe par une lettre (M ou F) dès que possible. La tradition perdure toutefois dans les Pyrénées Atlantiques, où les enfants de 43 écoles du Haut Béarn ont choisi des prénoms pour les oursons M154 et F155, nés en 2023. Il s'agit des rejetons de Sorita, l'une des deux nouvelles femelles importées de Slovénie pour renforcer le noyau des Pyrénées Occidentales. Cette troisième vague houleuse de lâchers, réalisée par hélicoptère dans le fief électoral de Jean Lassalle, avait été avalisée par Emmanuel Macron. Comme une ultime bouée de sauvetage pour les deux derniers mâles qui hantaient les vallées d'Aspe et Ossau, solitaires condamnés au « célibat » depuis la Toussaint 2004 et la mort de Cannelle, elle aussi tuée par un chasseur.
Combien de reproducteurs « efficaces » ?
Les naissances l'emportent toutefois sur les décès, "naturels" ou causés par l'homme. Le rapport 2024 fait état de 5 ours portés disparus, car non détectés depuis deux ans. Mais aucun cadavre n'a été retrouvé. Le carnet rose des ours, qui porte la population totale estimée à une centaine de plantigrades sur l'ensemble du massif, a toutefois son revers. « La diminution de la diversité génétique constatée ces dernières années pourrait potentiellement altérer cette dynamique dans les années futures », alerte sobrement le rapport annuel des experts du ROB. L'association Pays de l'ours abonde dans le même sens. « Tout le monde se concentre sur la courbe démographique qui semble montrer que tout va bien, mais il faut changer d'indicateur et se concentrer sur le nombre de reproducteurs », explique Alain Reynes, directeur de l'association. Il redoute que le pic de naissances constatées soit suivi d'un lent déclin, faute de sang neuf. Les effets redoutés de la consanguinité seraient déjà perceptibles dans le nombre d'oursons par portée, en baisse depuis plusieurs années selon Alain Reynes qui n'hésite pas à évoquer une « bombe génétique » à retardement.
La situation semblait pourtant avoir évolué favorablement depuis la disparition de Pyros, père de 32 oursons, soit 80% des naissances de son vivant.(cf l'arbre généalogique établi en 2013 pour un rapport du Muséum en illustration de cet article) Porté disparu en 2017, ce mâle "super-dominant" n'a laissé que cinq autres congénères s'accoupler durant son règne. En 2024, huit mâles ont participé à la reproduction, selon le rapport du ROB. Fait nouveau, les "infanticides" tendent même à se multiplier du fait de mâles qui n'hésitent pas à s'attaquer aux oursons pour se reproduire avec une femelle suitée. Seuls 9 des 16 oursons nés en 2023 ont été à nouveaux détectés en 2024, soit un « taux de survie provisoire de 56% », rapportent les experts.
Une étudiante en Master se penche spécifiquement sur la question de mortalité des oursons. L'OFB, qui avait déjà mentionné les risques de consanguinité en 2020, a révélé qu'une étude de « démo-génétique » était en cours avec le Muséum d'Histoires Naturelles de Paris. Les résultats de cette thèse ne seront pas publiées « avant fin 2026 ». « A quoi bon attendre trois ans alors qu'on connaît déjà les conclusions », apostrophe Alain Reynes qui soupçonne l'Etat de « jouer la montre » ? Selon le directeur de l'association Pays de l'ours, on ne compterait qu'une dizaine de « reproducteurs efficaces » dans les Pyrénées, alors que la littérature scientifique sur le sujet s'accorderait sur le chiffre d'une cinquantaine pour que la population soit considérée comme « viable ». Le rapport de l'OFB évoque de son coté une cinquantaine d'animaux adultes « potentiellement reproducteurs » (30 femelles, 20 mâles). En Espagne, où environ 350 plantigrades séparés des Pyrénées subsistent dans les monts Cantabriques, les associations s'inquiètent aussi pour leur survie. Là, c'est surtout le braconnage qui est redouté.
La course des études génétiques
« L'OFB dispose déjà d'analyses, mais elles n'ont pas été publiées », déplore Alain Reynes. L'association a donc décidé de lancer sa propre étude avec un petit cabinet d'étude de Montpellier spécialisé dans l'interprétation des analyses génétiques. Les premiers résultats de ce travail, confié à une étudiante encadrée par un laboratoire universitaire commun du CNRS et de l'INRAE à Bordeaux, sont annoncés dès la fin de l'année. L'objectif est clair : pousser les autorités à relancer une quatrième vague de lâchers d'ours avant les prochaines élections, locales et nationales. Les associations pro-ours ne manquent pas de rappeler que la France s'est engagée auprès de l'Europe, qui largement a financé les programmes de réintroduction comme les mesures de protection des troupeaux, à remplacer chaque animal tué.
« C'est une question qui doit être réglée par le politique » reconnaît Thierry Hegay, sous-préfet nommé fin 2022 « Mr Ours » pour les Pyrénées. Le missi-dominici du gouvernement pourra au moins piocher un point positif dans le rapport 2024 à opposer aux plus féroces des éleveurs anti-ours : en dépit de l'augmentation de la population d'ours, le chiffre des attaques contre les troupeaux est en baisse : 310 indemnisées comme « ours non écarté » par l'OFB, contre 349 l'an dernier. La plupart (208) se concentrent en Ariège.