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Puylaurens ne s'est pas « soulevé ». Aucun tremblement tellurique n'a secoué cette petite ville perchée entre Castres et Toulouse offrant un beau panorama sur la plaine fertile du Lauragais et les versants de la Montagne Noire. Dès la mi-journée, les rares commerces ouverts ont baissé leurs rideaux, redoutant les affrontements annoncés entre les opposants à la future autoroute A69 et l'impressionnant déploiement de forces de l'ordre déployées autour de cette bourgade de 3.000 habitants. La « bataille » a bien eu lieu, mais loin des remparts de la ville, gardée par 1.600 gendarmes et CRS lourdement équipés. Dans les champs, l'appel à la croisade lancé par les « hérétiques » pour libérer les terres agricoles de l'emprise du macadam dans cet ancien pays cathares a tourné court.
En début de soirée, alors que quelques gouttes tombent enfin d'un ciel de plus en plus orageux, le préfet du Tarn se félicite : « aucune dégradation majeure sur des entreprises ou des éléments de chantier », selon un premier bilan délivré à chaud par Michel Vilbois avant l'heure de la grand-messe cathodique de 20 heures. Quelques images spectaculaires de cocktails Molotov enflammés tournent en boucle sur les chaînes d'info continue et les réseaux dits sociaux, mais rien de comparable avec les scènes de néo-western gravés dans la mémoire collective depuis Sainte-Soline. Quelques blessés légers dans les deux camps, mais aucune interpellation. Le préfet, qui menaçait chaque manifestant d'une amende de 135€, n'a mentionné aucun chiffre de distribution de PV.
Arlette et les Black Blocs
Arlette, 84 ans, est arrivée de Toulouse en bus avec un groupe d'étudiants en fin de matinée. L'interdiction préfectorale n'a pas découragé cette militante dans l'âme, engagée de longue date dans les luttes écologistes. « J'étais aussi à Notre-Dame-des-Landes et sur la ZAD de Sivens », confie la vieille dame, empoignant fermement son bâton de randonnée. La marche d'approche pour rejoindre le campement depuis la route nationale n'a pas davantage effrayé la doyenne supposée des manifestants. Elle raconte avoir longtemps fait partie d'un groupe de randonnée, tout en militant activement contre les OGM en son temps. Opérée des hanches après une chute, Arlette fait toutefois attention à ses chevilles en quittant le chemin pour s'engager dans un champs en friche qui dévale jusqu'à Fond Basse.
Chapiteaux, barnums, cuisine collective (végétarienne) et toilettes sèches : cette propriété d'une agricultrice opposée à la future autoroute a été transformée en 24 heures seulement en camp de base des anti-A69. Plusieurs centaines d'opposants aguerris ont convergé dès le milieu de la semaine sur cette parcelle à l'écart de Puylaurens. Les gendarmes positionnés en nombre à l'entrée de la commune laisse passer les manifestants qui doivent continuer à pied après la fouille réglementaire des sacs. La préfecture du Tarn annonce avoir saisi des « armes par destination » dès le début de la semaine. Les photos de boules de pétanque et autres instruments de bricolage ont été fournies à la presse. Elles ont également été produites devant le tribunal administratif de Toulouse, saisi en urgence par la Confédération Paysanne qui contestait les interdictions de manifester prises par les préfets du Tarn et de la Haute-Garonne. Le juge de permanence a rejeté la requête vendredi soir, considérant que le parcours de la manifestation n'avait pas été déposé dans les délais réglementaires.
Cela n'a pas empêché Arlette et quelques milliers de militants déterminés de braver l'interdiction. La Confédération Paysanne évoque 3.000 personnes au camps de base à la mi-journée. La préfecture, qui avait déployé des drones, n'en a compté qu'un millier. Les Soulèvement de la Terre, qui espéraient « entre 10.000 et 15.000 manifestants », en revendiquera finalement 7000.
Dans les yeux des « Bleus »
Depuis le ciel qui commence à se couvrir de nuages, l'hélicoptère de la gendarmerie ne peut que constater en début d'après-midi les sorties coordonnées de plusieurs files bigarrées en rangs serrés depuis Fond Basse. Selon une stratégie déjà éprouvée l'automne dernier lors d'une précédente manifestation aux abords de Castres, plusieurs groupes sortent du périmètre vers 14h dans un joyeux tintamarre, au son des tambours et même d'une camion sono diffusant de la musique techno : les « Jaunes » pour les plus calmes, les « Verts » pour les sportifs, les « Roses » pour les féministes et les « Bleus » pour les plus « intrépides » », selon le tract distribué à l'entrée du campement.

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Sans surprise, c'est le cortège « bleu » qui est le premier au contact avec les fourgons de la même couleur de la Gendarmerie mobile. C'est aussi celui qui comptait le plus de black blocs dans ses rangs. La préfecture en attendait plus de 200, mais les petits hommes (et quelques femmes) noirs et cagoulés sont visiblement plus nombreux sur le campement, où la presse a interdiction formelle de prendre des photos. Un drapeau palestinien est brandi à l'avant-garde des « Bleus ».
Fronde géante contre Centaure
Les militants du collectif La Voie est Libre, reconnaissables à leurs tee-shirt blancs qui les distinguent ostensiblement des militants cagoulés, ont majoritairement préféré marcher avec les Verts et les Roses, derrière la marionnette d'une chauve-souris géante. Les premières salves de grenades lacrymogènes sont tirées vers 15h, répondant aux tirs de mortiers d'artifice et aux jets de projectiles de tous calibres expédiés avec une fronde géante par les assaillants cagoulés. Les manifestants les plus déterminés se dirigeaient vers le lieu où les machines de chantier du groupe NGE ont été mises à l'abri pour le week-end.
« Je leur souhaite bon courage s'ils essaient de s'approcher », lâche un cadre de l'entreprise de travaux public venu suivre les opérations depuis les anciens remparts de Puylaurens à la mi-journée. L'homme venu du nord de la France explique que les engins ont été regroupés dès jeudi pour éviter les sabotages à répétition qui se multiplient ces derniers jours. Le centre de stockage est notamment protégé par deux Centaures, les nouveaux blindés de la Gendarmerie Nationale. Les travaux de l'A69 ne reprendront que mardi car il faudra bien une nouvelle journée pour ramener les engins sur les différents chantiers qui s'étalent sur plus de 50 kms, entre Castres et Toulouse. Un nouveau long week-end de pause printanière pour l'entreprise, mais l'autoroute sera bien livrée fin 2025, assure le concessionnaire.

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« C'est pas des manifestants, c'est des casseurs », lâche une habitante de Puylaurens venue assister au « spectacle » des affrontements depuis les remparts de la ville. A ses cotés, un couple de retraités ne dit mots. Michelle et Michel, septuagénaires venus de Castres, confient qu'ils ont été refoulés par les gendarmes car ils sont arrivés trop tard pour manifester. Ils n'ont pas été verbalisés.