Pour s'abriter de la pluie battante qui a pris le relais des lacrymos matinaux, environ 200 opposants à l'A69 se sont réfugiés sous un hangar agricole. Quelques jeunes activistes masquant leur visages derrière des foulards, de vieux syndicalistes et militants de la Confédération Paysanne, deux députées LFI ceintes de leur écharpe tricolore et une très chic habitante de Castres, venue avec son chihuahua vêtu d'un petit manteau rose coordonné à l'anorak de sa maîtresse. « C'est mon arme anti-agression, des fois qu'on me prendrait pour une black bloc », plaisante cette retraitée de 73 ans. En dépit de son look de bourgeoise liftée et pomponnée, Tina Roumegoux ne manque pas une manifestation contre l'autoroute qui doit relier Castres à Toulouse fin 2025.

Agrandissement : Illustration 1

« Comme tout le monde, j'étais pour il y a trente ans », confie Tina. Mais l'habitante de la sous-préfecture du Tarn a évolué avec les années. « On n'a jamais de bouchons sur la route nationale vers Toulouse, à quoi et à qui ça servira de la doubler par une autoroute supplémentaire », s'interroge la Castraise. Elle se déclare préoccupée par la sécheresse en Espagne ou les embouteillages sur les autoroutes en Italie, son deuxième pays. « J'ai croisé le préfet venu serrer des mains hier, je lui ai demandé pourquoi il avait interdit la manifestation. Il m'a répondu qu'il était là pour faire respecter l'ordre, on aurait dit un homme des années 50 », rapporte Tina.
Michel Vilbois, préfet du Tarn, a interdit vendredi tout manifestation « sur la voie publique » pendant le week-end à Saïx, petite commune résidentielle aux portes de Castres. Le représentant de l'Etat a toutefois précisé que rien n'interdisait de se rassembler « sur un terrain privé ». C'est le cas de l'exploitation agricole qui abrite le temps du week-end le campement des opposants, de plus en plus boueux au fil des heures et des piétinements Sur la remorque d'un tracteur servant d'estrade, plusieurs générations de militants se succèdent au micro à l'heure du déjeuner pour une conférence de presse improvisée. « Merci aux activistes qui sont venus spécialement ce week-end » lance Thomas Digard, porte-parole du collectif La Voie est Libre qui s'efforce de coordonner la lutte contre l'A69 sur le terrain politique et juridique. Au sol, des zadistes ont pris le relais des « écureuils » pour s'opposer à l'avancée des machines de chantier. Thomas Brail est discrètement présent dans l'assistance. Le grimpeur-arboriste de Mazamet laisse la vedette à d'autres, après avoir popularisé la résistance contre l'A69 l'an dernier.
Le préfet du Tarn, Michel Vilbois, a évoqué de son coté « une quarantaine d'éléments violents » qui auraient agressé le maire de Saïx, la veille. La préfecture tente de déloger les zadistes qui se sont réinstallés avec l'accord du propriétaire sur une parcelle boisée qui doit être expropriée, au bout du champs qui sert de campement provisoire aux opposants. Une première tentative de ZAD avait été démantelée lors de la dernière grande manifestation des opposants au mois d'octobre. « Nous sommes là depuis novembre, aucune procédure d'expulsion nous a été notifiée », assure un activiste masqué venu ouvertement défier Gérald Darmanin au micro. Le ministre de l'Intérieur assure depuis les affrontements de Sainte-Solline que plus aucune ZAD ne sera tolérée en France.

Agrandissement : Illustration 2

Avec lui, cinq autres jeunes, cagoulés et masqués, déclament laborieusement un discours passablement ampoulé sur la scène. « Nous ne sommes pas des antifas, nous ne sommes pas des autonomes, nous sommes tous ça à la fois et plus encore ». La sono est parfois aléatoire. Pas facile de lire le texte sur l'écran d'ordinateur, en se passant le micro sous des masques en papier d'écureuils ou de renards. Ainsi grimés, la scène prend un petit air burlesque de carnaval qui renouvelle le cliché révolutionnaire. Les zadistes se sont fait violence pour répondre à une presse généralement abhorrée. Des équipes de télévision se plaignent d'avoir été molestées vendredi, lors des premiers heurts entre zadistes et forces de l'ordre. Interdiction formelle de filmer les visages. Le territoire tenu par les zadistes à l'autre bout du champ est également décrété « no gone zone » pour la presse « mainstream ».

Agrandissement : Illustration 3

C'est donc loin des caméras de BFM-TV et Cie que des heurts ont à nouveau éclaté dans la matinée avec la centaine de gendarmes mobiles déployés par le préfet sur la route de Semalens. Ils défendent l'accès au centre d'entraînement du Castres Olympique, propriété du groupe pharmaceutique Pierre Fabre copieusement taggés quelques jours plus tôt. Un transformateur électrique repeint façon street art jouxte un vieux pigeonnier restauré au bord d'un petit chemin goudronné et parsemé d'embûches incendiés. Les zadistes se sont repliés de l'autre coté de la voie ferrée qui coupe la route, interdite d'accès par les gendarmes. Plus un train de circule depuis vendredi. La ligne Toulouse-Mazamet s'arrête à Lavaur, le reste du trajet vers Castres est assuré par autocars. Le train est pourtant présenté comme la meilleure alternative à l'autoroute par La Voie est Libre. La modernisation de la ligne ne coûterait qu'une centaine de millions d'euros, selon les opposants. Ils contestent les chiffres avancés par Carole Delga, présidente de région favorable à l'A69, qui évoque plus d'un milliard pour doubler et électrifier la voie ferrée.

Agrandissement : Illustration 4

Quoiqu'il en soit, c'est donc en voiture que l'invitée-vedette du jour est arrivée discrètement en contournant les barrages. Greta Thunberg a fait une courte apparition sur la scène improvisée du Hangar Vert, sous les figures carnavalesques en carton pâte d'Emmanuel Macron et d'un écureuil géant. Sans dire un mot au micro. La jeune suédoise était accompagnée de six autres jeunes activistes européens. Un jeune espagnol lance un appel au « réarmement démocratique ». Il est chaudement applaudi par l'assistance. « No passaran », lance une voix dans la petite foule rassemblée sous le hangar. Dès que Greta Thunberg descend de scène, sous une nuée de micros et de caméras, une fanfare prend le relais. « Qu'ils arrêtent la musique », maugrée un journaliste alors qu'une autre conférence de presse s'improvise dans un coin du hangar autour de l'activiste, aussi mutique que médiatique. C'est l'heure pour David , 11 ans, de monter sur scène. Le blondinet entonne au micro le rap des opposants. « On lâchera rien, A69 c'est pas du bluff », entonne le gamin, déjà très « pro » sur scène.

Agrandissement : Illustration 5

Un moment de flottement règne entre les balles de foin après le départ de Greta Thunberg et son cortège médiatique. L'activiste suédoise a expliqué sa relative discrétion, inversement proportionnelle à sa médiation sur place, par son souci de "ne pas personnaliser" la lutte. Elle est attendue dimanche en Gironde en soutien aux opposants de nouveaux puits de pétrole du coté d'Arcachon. Le week-end de mobilisation des opposants à l'autoroute doit aussi se poursuivre tout le week-end dans le Tarn. « Le programme sera adapté en fonction de la météo et des attaques de la préfecture », annonce un organisateur au micro. Thomas Brail s'esquive discrètement avec son matériel de grimpe et quelques militants du GNSA. Des voitures s'enlisent dans le champs qui sert de parking. Certains partent, d'autres arrivent. Un hélicoptère de la gendarmerie survole la zone. La préfecture du Tarn annonce deux interpellations dans l'après-midi.