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Billet de blog 11 octobre 2024

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Le procès des « Clandestinos » albigeois

Prison avec sursis requise contre six travailleurs étrangers découverts dans un dortoir insalubre du « plus grand restaurant du Tarn ». 

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© Stéphane Thépot

« A qui profite ce procès », demande Me Guillaume Bosset ? L'avocat sort du box récemment rénové du tribunal judiciaire d'Albi pour défendre six pauvres diables de 20 à 30 ans, serrés en rang d'oignon dans leur survêtements. Tous ont débarqué dans la préfecture du Tarn directement depuis Paris depuis moins d'un an pour travailler dans un de ces buffets "à volonté" qui fleurissent dans la périphérie des villes. C'est à l'étage d'un hangar transformé en restaurant d'une zone commerciale qu'une descente de police et d'inspecteurs du travail les a découvert au printemps dernier, sommairement hébergés dans des dortoirs insalubres. L'affaire a provoqué quelques remous localement. Le préfet du département affirmait même envisager de fermer l'établissement. Ouvert en fanfare en octobre 2023, les « Saveurs Gourmandes » qui se présentait comme « le plus grand restaurant du Tarn » se sont contentés de changer de nom cet été, suite de cette méchante publicité. Le propriétaire de cette grande surface de la restauration n'a pas eu besoin de comparaître à la barre. Seuls les six salariés présents lors de cette rafle dans son hôtellerie clandestine, sur la vingtaine employés de l'entreprise, sont poursuivis. Pour détention de faux papiers.

« C'est une infraction pénale », souligne la procureure de la République d'Albi, Stéphanie Bazart. Leur avocat a vainement tenté de demander un report de l'audience pour un complément d'enquête. Me Gosset estime que la magistrate présidant les débats ce jour-là est « insuffisamment éclairée pour apprécier ce dossier dans sa globalité ». L'union départementale CGT, qui a pris les six travailleurs étrangers sous son aile, a en effet déposé une plainte pour « trafic d'être humains ». Elle est toujours à l'instruction, confirme le Parquet d'Albi. Après une courte interruption de séance, la présidente Angélique Cabanes décide toutefois de poursuivre l'audience. Et de juger « sur le fond ». Pendant une bonne heure, la juge du siège va s'attacher à reprendre pas à pas l'instruction de l'affaire, s'efforçant de donner la parole à chacun.

Les quatre jeunes Sénégalais et leur collègue Guinéen semblent comprendre le français, mais ils le parlent plus difficilement, balbutiant à grand peine quelques mots timides loin du micro. Le dernier prévenu, venu du Bangladesh, a besoin d'un interprète. Lors de la perquisition, les policiers ont découvert sur eux une véritable panoplie européenne de cartes d'identité : belge, italienne, espagnole ou portugaise. La présidente tente de savoir comment ils ont pu se procurer ces faux documents, payés entre 300 et 800 €. Avec versement possible en deux fois : un premier règlement pour faciliter l'embauche, un autre après le versement du salaire, rapporte l'ancien cuisinier bengali. Le Parquet retient que chacun s'est débrouillé de son coté pour accéder à ces indispensables sésames pour travailler. Une manière implicite de disculper l'employeur, lui même venu du 93, des soupçons d'avoir fomenté lui-même la fraude. Le restaurateur, d'origine asiatique, s'est toujours présenté comme « victime » d'un trafic organisé de faux-papiers. « Je dormais dans la rue. J'ai donné ma photo à quelqu'un rencontré à Barbès et deux semaines après, j'avais ma carte d'identité », raconte un africain « italien ». Un autre a expliqué aux policiers qu'on lui a proposé ce précieux document dans un Leroy-Merlin de la région parisienne.

L'un des anciens salariés disposait même d'un passeport en bonne et due forme. « Vous saviez donc qu'on ne trouve pas ces papiers dans un magasin de bricolage », s'étonne la présidente du tribunal. Au moment de détailler la situation personnelle de chacun, surprise : tous ces « clandestins » albigeois ont retrouvé un travail dans le département. Grâce à la CGT, trois d'entre eux viennent de décrocher un job dans l'abattoir Bigard de Castres, le plus important du Tarn. Deux autres empilent désormais les tuiles sur les toits comme couvreurs, un dernier travaille dans une pizzeria d'Albi. Deux anciens salariés du grand buffet asiatique sont pourtant visés depuis l'inspection inopinée par une OQTF (obligation de quitter le territoire). Le tribunal administratif a été saisi en parallèle. Mais tous ont un casier judiciaire vide, s'est assurée la présidente du tribunal d'Albi.

« Je réclame une justice équitable », dit l'ancien salarié bengali, s'excusant par la voix de son interprète d'avoir commis un « délit » considéré comme purement formel. « Je respecte les lois de la France, tout ce que je veux, c'est travailler pour aider ma mère, malade, restée au Bangladesh », assure-t-il. Un Sénégalais rapporte qu'il dormait « à la rue » lorsqu'il est arrivé à Paris. Dès l'ouverture de l'audience, leur avocat avait réclamé des peines « adaptées à ce qu'ils ont vécu ». L'un après l'autre, les six mis en cause, dont deux se déclarent pères de famille, reconnaissent avoir utilisé des documents administratifs frauduleux. Ils balbutient des excuses, contrits comme des gamins pris la main dans le pot de confiture. Leur défenseur plaide « l'état de nécessité » : impossible de trouver du travail sans papiers. « Qui est le véritable bénéficiaire », demande Me Gosset ?

Le Parquet d'Albi semble avoir retenu la demande de modération de leur défenseur. Stéphanie Bazart réclame la peine prévue par le Code Pénal : trois mois de prison, assortis de peines de sursis simple, « à titre d'avertissement ». Le tribunal a mis sa décision en délibéré au 12 décembre. D'ici là, la CGT qui avait rassemblé un petit comité de soutien sous la pluie devant l'entrée du tribunal, annonce son intention de déposer une plainte devant les Prud'hommes visant l'ancien employeur.

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