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Billet de blog 22 mai 2025

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Le chantier de l'A69 en sursis jusqu'au 28 mai « au plus tôt »

Nouvelle audience marathon devant la justice administrative pour l'autoroute entre Castres et Toulouse. Partisans et opposants de l'A69 se sont retrouvés pendant près de quatre heures pour échanger leurs arguments devant la cour administrative d'appel. Mais en inversant les rôles.

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© Stéphane Thépot

Pour la première manche de ce « match retour » depuis la suspension surprise du chantier par le tribunal administratif de Toulouse en février dernier, les avocates des opposants jouaient « en défense » et se sont exprimées les dernières. Cette fois, ce sont les sociétés concessionnaires, mais aussi l'Etat et les collectivités soutenant ce projet de liaison autoroutière de 70 kms qui contre-attaquent.

« Il n'est pas courant que la justice se prononce sur le sort d'un ouvrage déjà réalisé à 80% », convient d'emblée le rapporteur public. Frédéric Diard repousse rapidement l'accusation des opposants qui dénoncent une « stratégie du fait accompli » : « une allégation plus polémique que juridique », selon le jeune magistrat barbu. Au fil des pages de son raisonnement lu pendant 45 minutes d'une voix monocorde et parfois peu assurée, quelques arguments des partisans de l'A69 sont aussi écartés : l'amélioration en matière de sécurité routière ne lui semble ainsi pas « significative », l'actuelle RN 126 n'étant pas particulièrement « accidentogène ». Prudent, le rapporteur public laisse même planer « le risque énorme » d'une confirmation du jugement de première instance par la cour d'appel.

L'autoroute comparée au canal du midi

Frédéric Diard se déclare toutefois « peu convaincu » par l'argumentaire des magistrates du tribunal administratif, qui se sont fondées sur la notion de « raison impérative d'intérêt public majeur » (RIIPM) issue du droit européen pour censurer les dérogations environnementales accordées par les préfets du Tarn et de la Haute-Garonne pour un ouvrage pourtant reconnu « d'utilité public » par le Conseil d'Etat. Mais avant-même que l'affaire ne soit à nouveau examinée sur le fond par la Cour d'Appel, il préconise d'accorder sans attendre le feu vert attendu par les partisans de l'A69 pour redémarrer le chantier. A la notion d'urgence invoquée auparavant par les opposants et désormais par les défenseurs du projet, le rapporteur s'en remet au temps long en comparant l'autoroute au vénérable canal du midi, creusé sous Louis XIV et désormais inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco.

La comparaison fait sortir Me Alice Terrasse de ses gonds. L'avocate historique de France Nature Environnement se déclare « scandalisée » qu'on ose comparer une future voie rapide goudronnée avec le canal historique bordé de platanes qui sert de carte postale touristique à toute la région. Au terme d'une plaidoirie fleuve de près de 60 minutes, elle prévient qu'il faudra replanter bien plus que les 300 arbres jadis défendus par « des écureuils » militants sur le chantier de l'A69 pour renaturer le site en cas de victoire définitive des opposants.

De l'autre coté de la barre, l'avocate du conseil départemental du Tarn et des collectivités tarnaises concernées par le tracé tient à souligner que les 160.000 habitants du bassin de Castres-Mazamet attendent une reprise rapide du chantier. « Notre système juridique ne prône pas la décroissance », lance Me Courrèges. La région Occitanie a elle aussi fait entendre sa voix pour la première fois devant des juges. Venu de Dordogne où il défendait le projet de déviation de Beynac, contesté jusque devant le Conseil d'Etat au nom de la défense du paysage et du patrimoine, Me Heymans file la métaphore ferroviaire : l'autoroute serait le meilleur moyen de raccrocher « le wagon » de Castres-Mazamet à la « locomotive » économique de la métropole toulousaine.

Un concessionnaire au bord de la faillite ?

Les défenseurs du concessionnaire, Atosca, et de la principale entreprise de travaux publics engagée sur le chantier ont profité de l'occasion pour faire valoir la situation financière délicate de leurs clients depuis l'arrêt brutal des engins de terrassement. L'avocat d'Atosca agite même le spectre d'une cessation de paiement. L'entreprise Guintoli a procédé à 87 licenciements, dénoncé 127 contrats d'intérim et 67 contrats avec des sous-traitants. Le préjudice financier est estimé à plus de 7 millions d'euros et la seule sécurisation du chantier aurait déjà coûté entre 17 et 19 millions d'euros. Des chiffres relativisés par les avocates de la défense. L'associée de Me Terrasse fait mention du chiffre d'affaire annuel de l'entreprise pour démontrer que le groupe aurait les reins assez solides pour combler les pertes d'Atosca. Le rapporteur public lui même a considéré que les sommes avancées par les constructeurs étaient « surestimées ».

L'avocat des Autoroutes du Sud de la France préfère jouer profil bas. La filiale du groupe Vinci est chargé d'élargir la portion d'autoroute de 7kms déjà existante pour faire la jonction avec l'A68 (Toulouse-Albi). Il en profite pour démonter l'argument du rapporteur public sur la sécurité routière en soulignant la spécificité du petit tronçon de l'A680 en Haute-Garonne, « bien plus dangereuse » depuis l'arrêt des travaux : les automobilistes ne respectent pas la limitation à 70 km/h sur l'autoroute en chantier, resté ouverte à la circulation.

Les spécialistes des chantiers soulignent que même si la cour d'appel suivait les recommandations du rapporteur public, les travaux ne pourront pas reprendre avant « deux ou trois mois ». Les juristes vont valoir que les magistrats n'ont aucun pouvoir « d'homologation » du chantier : si la cour accorde le sursis à exécution demandé, c'est bien l'Etat qui devra donner le feu vert à la reprise des travaux. D'ici-là, les députés devront à leur tour se déterminer le 2 juin sur le projet de loi de « régularisation » adopté la semaine dernière au Sénat. « Nous privilégions la voie judiciaire » a tenu à préciser devant les magistrats le juriste du ministère de la Transition Ecologique, venu défendre cet autre contre-feu face à un jugement considéré comme « une anomalie ». Le président, Bernard Chabert, a indiqué que la cour rendrait son avis le 28 mai  « au plus tôt ».

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