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Après des mois de luttes de tranchées sur le terrain, les « écureuils » qui ont vainement tenté de s'opposer aux bulldozers vont-ils enfin obtenir leur revanche sur tapis vert devant un tribunal ? « Seuls les partisans de l'autoroute ont été surpris », se réjouit déjà Gilles Garric dans l'arrière-salle bondée du Winger. Ce porte-parole de La Voie est Libre (LVEL), collectif des opposants à l'A69, a réuni ses troupes et ses alliés dans cette brasserie proche de la gare Matabiau à l'heure du déjeuner. Base arrière des Insoumis au centre-ville, le café est stratégiquement placé à deux pas du tribunal administratif de Toulouse.
Gilles Garric résume en une phrase le contenu de l'audience où pas moins de sept avocats d'affilée se sont succédé devant les juges pendant plus de trois heures. La salle était bien trop petite pour laisser entrer tous les opposants qui se pressaient devant l'entrée, engendrant une belle mêlée dès 8h30. D'autres militants avaient improvisé un procès parodique et théâtral de l'autoroute sur le parvis en bois de la gare qui enjambe le canal du midi à l'heure du petit-déjeuner.

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« On est toujours confiants » assure Gilles Garric qui attend une « victoire potentiellement majeure » dans quinze jours, sans même le temps d'avaler un sandwich. Mona Rousseau, rapporteure publique, a en effet confirmé qu'elle ne trouvait pas de « raison impérative d'intérêt public majeur » aux dérogations accordées par les préfets du Tarn et de la région A69 pour accorder l'autorisation environnementale aux travaux. Cette notion juridique est supérieure à la déclaration d'utilité publique de l'autoroute, explique posément derrière ses lunettes rondes la magistrate en énumérant d'autres infrastructures routières contestées à Montpellier, à Caen ou à Beynac (Dordogne).
Dans le cas de l'A69, les gains de sécurité routière attendus par-rapport à l'actuelle route nationale jalonnée de platanes qui serpentent dans les coteaux du Lauragais ne sont pas « significatifs », estime Mona Rousseau. Les automobilistes qui n'auront pas les moyens de régler une somme supérieure à 16€ de péage pour un aller-retour raccourci de 20 minutes verront même leurs temps de parcours rallongé de 10 minutes en se voyant contraints de renoncer aux déviations intégrées à l'A69 et de passer à nouveau au centre de Soual et Puylaurens, selon les calculs de la magistrate.
"Vous avez le droit avec vous"
Alice Terrasse, défenseuse attitrée des associations d'opposants, boit du petit lait. L'avocate attitrée de France Nature Environnement (FNE) avait vu jusqu'à présent vu tous ses recours en référé rejetés par le tribunal administratif. Elle incite les trois magistrates à se montrer aussi « audacieuses » que leur jeune collègue rapporteure publique en sifflant l'arrêt du chantier. « Ce n'est pas facile, mais vous avez le droit avec vous ». Elle s'emploie à démontrer qu'il n'est pas trop tard pour stopper les engins, alors que le concessionnaire assure que 45% de l'emprise du tracé qui s'étend sur une cinquantaine de kilomètres a déjà été déblayé et 70% des ouvrages d'arts construits.
Avocate de plusieurs associations locales membre de FNE, mais aussi des Amis de la Terre et de la Confédération Paysanne, Alice Terrasse n'est toutefois plus seule à monter une nouvelle fois au front contre l'A69. Trois autre robes noires plaident après elle. Le propriétaire du château de Scopont conteste par exemple le tracé de l'autoroute qui passe trop près de ses fenêtres à son goût et menace les jacinthes de Rome, une fleur rare qui pousse sur la zone humide de son domaine. Le néo-châtelain est soutenu par une société savante d'archéologie et l'association des Vieilles Maisons Françaises. Les altermondialistes d'ATTAC, en revanche, ont été débouté de leur recours par le tribunal. « L'A69 est un cadeau pour les riches au détriment des pauvres », clame Annick Makala dans l'arrière-salle du Winger. La représentante d'ATTAC-81 dénonce « un hold-up sur les biens publics ».
"L'autoroute Pierre Fabre"
Il n'était pas concevable d'attendre que tous les recours soient "purgés" pour lancer le chantier, plaide l'avocat du groupe de travaux publics NGE. Si le tribunal s'avisait de suivre l'avis de la rapporteuse publique, il faudra que les préfets signent de nouvelles dérogations "pour la mise en sécurité du chantier", prévient le défenseur de l'entreprise qui a gagné le contrat de concession et se charge elle-même de la construction de l'autoroute. Les avocats de la défense ont repris les arguments déroulés en boucle par le concessionnaire et l'Etat. L'A69 serait vitale pour le bassin d'emploi de Castres-Mazamet, présenté comme sinistré économiquement depuis la crise du textile des années 70. Un outil « de désenclavement », même si la notion est elle aussi remise en cause par Mona Rousseau qui estime que la sous-préfecture du Tarn ne souffre pas d'un « enclavement excessif ». Echanges de chiffres de l'INSEE et autres indicateurs économiques de part et d'autres de la barre.
A la fin des débats, l'énarque chargé du dossier à la préfecture du Tarn va jusqu'à agiter le spectre d'un possible « délocalisation industrielle » du groupe Pierre Fabre, principal employeur du sud du département. Le groupe pharmaceutique a déjà fermé son centre de recherche de Castres, souligne Maxime-Yasser Abdoulhoussen. Référence sans doute au spectaculaire bâtiment construit à Toulouse sur les ruines de l'usine chimique AZF pour abriter les chercheurs de la branche oncologie du groupe pharmaceutique. L'argument risque toutefois de conforter les critiques des opposants, qui dénoncent de leur coté « l'autoroute Fabre ». Au Winger, une militante tarnaise de LVEL pointe le « chantage à l'emploi » du groupe tarnais, qui a fait fortune dans la cosmétique. Elle le dit sans fard : « les opposants, maintenant, ce sont eux ».