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Ni la météo, maussade et pluvieuse, ni les esprits les plus rétrogrades n'ont réussi à les dissuader. Des centaines de milliers de personnes se sont pressées dans les rues de Toulouse pour assister à « l'opéra urbain » de la compagnie La Machine. Les caméras de vidéosurveillance de la ville et la préfecture, qui a déployé des drones pour inspecter la foule, ont comptabilisé 1,2 millions de spectateurs lors des différentes scènes qui se sont enchaînées à un rythme d'enfer. L'affluence est telle que la ville a du se résoudre à fermer les accès à la place du Capitole, noire de monde samedi à la tombée de la nuit, pour des raisons de sécurité. Touristes et habitants sont venus en nombre, souvent en famille, pour assister au combat annoncé dans le livret imaginé par François Delarozière entre Ariane, l'araignée mécanique géante, et Lilith, la femme-scorpion dévoilée cet été au Hellfest de Clisson (Loire-Atlantique). Dimanche, la foule était si compacte que le fameux Minotaure, spécialement conçu pour Toulouse, a été bloqué en fin de journée dans un gigantesque "embouteillage" humain en tentant de regagner la place centrale de « la ville rose ».
Vade Retro, de Villiers (and Co)
Visiblement ravis, ces inconscients ont bravé l'alerte d'une poignée de catholiques ultras et d'évangélistes grincheux à la sauce trumpiste qui ont décelé un parfum de « satanisme » dans le bestiaire fantasmagorique de Delarozière. Il y a surtout des relents typiquement vendéens de conservatisme médiéval mêlés à un soupçon d'antisémitisme dans la délirante dénonciation de cette démone géante, exhibant fièrement ses nibards. Lilith fait référence à une créature légendaire babylonienne, bien plus rebelle que cette petite coquine d'Eve croquant le fruit défendu dans l'Ancien Testament. Ce monstre de bois et d'acier de 38 tonnes a été conçu spécialement par La Machine pour le grand festival de heavy-metal qui attire de son coté des milliers d'amateurs de décibels tonitruants, entre Nantes et Cholet. Vade Retro, Philippe de Villiers (and Co) ! La ville rose n'est pas en pays chouan et le « Gardien du Temple » vaut bien le Puy du Fou.
Le plus grave « défaut » de ce deuxième opus de l'opéra urbain imaginé par Delarozière, c'est qu'il est encore et toujours... gratuit. Dans une vidéo publiée sur You Tube et autres réseaux dits « sociaux », un influenceur dominicain parisien en robe de bure blanche n'a pas manqué d'insister lourdement sur le coût d'un tel spectacle pour la collectivité : 4,7 millions d'euros. Une paille par-rapport aux 846 millions engloutis pour reconstruire la flèche et la charpente de Notre-Dame de Paris, ravagées par un incendie en 2019. Mais quand on aime, on ne compte pas : on fait des dons lors de la quête à la fin de la messe !
Le roi du luxe Bernard Arnault, propriétaire du groupe LVMH qui avait détrôné les nouveaux nababs californiens de la Silicon Valley dans le classement des plus grosses fortunes mondiales, a promis 200 millions pour la cathédrale de Paname-City. Francis Grass, maire-adjoint chargé de la Culture au Capitole, a péniblement récolté 146.000 € auprès d'une poignée de mécènes pour compléter le budget des trois jours de spectacles en plein-air à Toulouse.
Trois jours sans voitures
Jean-Luc Moudenc, réputé aussi bon gestionnaire que catholique discret, fait mine de pas comprendre d'où vient la soudaine chasse aux sorcières déclenchée contre Delarozière et sa PME de spectacle urbain. Le maire de Toulouse ne craint pas de contredire le curé de la cathédrale Saint-Etienne et de l'église Saint-Aubin qui avait vu des « églises en flammes » sur les affiches du spectacle. Il a résisté à la tentation de la censure brandie par les plus excités des catholiques. Moudenc assume surtout le coût de cet événement en assurant qu'il doit générer plus de 10 millions de retombées économiques pour les hôteliers, restaurants et commerçants. Sans compter la publicité pour Toulouse, à laquelle même les thuriféraires les plus acharnés contre Lilith et le Minotaure ont involontairement contribué. La ville rose a fort opportunément été classée parmi les « dix villes à visiter dans le monde » en 2025 par le guide Lonely Planet, grand prescripteur du tourisme à l'échelle planétaire. Une distinction que Moudenc s'est empressé de relayer sur les réseaux sociaux en fin de semaine.
Selon la ville, près de 40% du budget de ce grand spectacle est consacré à la sécurité. Des camions-bennes du service de ramassage des déchets de la métropole ont été réquisitionnés pour servir de « boucliers » en cas de tentative d'attentat, comme celui qui avait endeuillé les festivités du 14 juillet à Nice en 2016. Forts de l'expérience du premier opus du Gardien du Temple qui avait rassemblé plus de 800.000 personnes dans les rues de Toulouse en 2018, les services municipaux ont bouclé tous les quartiers où défilent les monstres mécaniques de La Machine. Avec l'aide de vigiles de sociétés de surveillance, appelés en renfort. Les cyclistes et les trottinettes sont exclus des périmètres mobiles prévues autour de chaque scène du spectacle. Même le parking souterrain du Capitole est interdit d'accès. Jusqu'à dimanche soir, le centre historique de Toulouse est devenue une vaste zone presque exclusivement piétonne, de la Garonne au canal du midi. Vivement lundi, soupirent déjà les plus "intégristes" des automobilistes impénitents !